André Hunebelle ou l’artisan oublié du cinéma français

André Hunebelle

André Hunebelle ou l’artisan oublié du cinéma français

André HunebelleEnfant, je n’ai juré que par lui, comme des millions de petits Français, même ceux qui ne lisaient jamais les génériques. Hunebelle, c’était la garantie du duel et de la chevauchée, de la poésie et de l’histoire enchantée, à la Nerval, à la Dumas, si vous voyez ce que je veux dire : on est avant les moteurs ! Hunebelle c’est la générosité, la prestance et la voix de Jean Marais avec les trois chefs d’œuvre qui se suivent dans l’histoire, le Bossu, le Capitan et le Miracle des loups. On est en 1960, on peut encore rêver, le général est de retour, Kennedy bien vivant, l’Algérie est française, on peut croire au père Noël ! Après ce sera le feuilleton de Fantômas (« je t’aurai, Fantômas, je t’aurai ! »), cette joyeuse métaphore sur la transformation cybernétique et industrielle de la France, et bien sûr OSS 117, que notre ami Dujardin a parodié comme il faut, en suscitant un engouement nostalgique chez les plus jeunes, pourtant privés de patrimoine (ah, la scène du muezzin…).

 Hunebelle a duré jusque dans les années 70, sans doute trop longtemps ; mais il n’était pas le seul. Ensuite, il est passé de mode, et a été méprisé par tout le monde. Je n’ai pas même pu trouver un blog qui lui soit consacré ! Hunebelle, on le sait, c’est la France ringarde, aigrie, moisie, la France de cape et d’épée, des espions fachos et des uniformes en guimauve. Or, ce qui m’a amusé, c’est qu’il était très côté en union soviétique, où l’on voyait tous ses films, où Jean Marais était une vedette comme chez nous, alors qu’il était bien sûr ignoré par la matrice américaine.

 Hunebelle est venu au cinéma très tard, comme Pizarre au Pérou. Il était artisan verrier de grand niveau, après avoir préparé polytechnique ! Pas le crétin prévu par la presse de gauche ! C’est cette dimension artisanale qui assure l’inspiration chrétienne et patrimoniale de son cinéma populaire. Populaire ne voulant pas dire commercial, mais inspiré par l’âme d’un peuple et sa mémoire.

 Immédiatement, au lendemain de la guerre, il a entamé une carrière phénoménale au service de la France, de son imaginaire, de son histoire, de son aura. Mais il l’a fait dans un esprit enfantin, dans la joie et la bonne humeur, sans le côté compassé des vieux maîtres de l’époque, Jean Delannoy en tête, cet austère protestant qui ne se marrait jamais ! Il réalise des comédies et proverbes qui parlent des amours fleuries des françaises modernes, il illustre nos albums d’histoire et nos personnages populaires, cadet Rousselle ou les mousquetaires, et il mûrit ses grands œuvres. Car notre maître verrier va ajouter quelques vitraux à la cathédrale de France.

 Quand on y réfléchit bien, ou plutôt quand on y regarde bien (car réfléchir c’est oublier de regarder), le Bossu, le Capitan et le Miracle des loups sont de grands films patriotes. Soit il faut lutter contre la spéculation (on est à l’époque de Law) et les traîtres libertins, soit il faut affronter la conspiration étrangère et Concini (« chévalier, jé vé faire dé vous ouné espione à mon sévice… » ; enfin il faut se lever contre le sinistre Charles le Téméraire qui rêve de dépecer le royaume et d’enlever notre roi. Ce sont aussi de grands films physiques et d’aventures, avec des bretteurs de premier ordre, de très bons lutteurs (Roger Hanin est d’ailleurs excellent, comme toujours à cette époque), une sublime ascension de la tour et libération de la princesse, de très belles courses-poursuites à cheval. Bref, on rêve debout. Et puis bien sûr, il y a l’esprit français, la badinerie, le ton coquet des amours de Bourvil et de sa soubrette italienne. Et à la fin, le grand romantisme final et le coup d’épée du roi – ou du régent – qui ramène l’ordre dans un pays déphasé.

Cette série de films transcendantaux n’a pas, je crois, d’équivalent dans l’histoire du cinéma moderne. La France, on y croyait encore, on s’en faisait une certaine idée, elle n’était pas là, la France, pour amuser la galerie Twitter, bombarder la Libye ou pour se mutiler au service des fous de Bruxelles.

Je pense à trois scènes, quand je pense aux films d’Hunebelle : le sublime dialogue de Concini et de Jean Marais, qui refuse de se laisser acheter parce qu’il est « de petite mais bonne noblesse » ; s’ensuit une bagarre homérique dans les couloirs retors du palais conspirant ; le miracle des loups proprement dit, qui voit ces bonnes bêtes, pas toutes du Gévaudan quand même, épargner la belle héroïne italienne (on est à l’époque de belles coproductions nationales, on n’a pas besoin de l’Europe et de ses cabris) pour s’en prendre aux méchants seulement ; enfin, l’apprentissage de l’escrime par un Bourvil brouillon et complexé, mais sérieux tout de même car promis à la lutte contre l’usurpation.

Concernant l’éducation de la petite Aurore, qui sera plus tard son épouse, par le chevalier Lagardère, il y a quelque chose qui mérite d’être rappelé : dans le froid et scolaire remake des années 90 ou 2000 (car quand sommes-nous ? Vous le savez, vous ?), avec Auteuil et Villain, on a supprimé la noce finale. Politiquement incorrecte : les petit-bourgeois qui nous gouvernent ou qui nous divertissent sont plus coincés qu’on ne le croit !

Allons, pas trop de nostalgie, pensons à l’avenir de la France, tout plein de la dette immonde, de voyous en furie, de lois liberticides et de navets à la chaîne. Euh… concernant l’avenir de la France, ne serait-il pas temps que les gens de petite et bonne noblesse, sans oublier leurs escrimeurs valets, s’y mettent ?

En tout cas, sache-le : je t’aurai, Fantômas, je t’aurai !

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Comments (2)

  • QUINCTIUS CINCINNATUS Répondre

    après Hunnebel et Delanoy ne manque plus au palmarès du ciMoche français que René Clair !

    26 octobre 2012 à 15 h 09 min
  • Fab Répondre

    Monsieur Bonnal, quand vous parlez de Nerval, je suppose que vous faites allusion à Paul Féval. En dépit de ce petit cafouillage, j’ai bien aimé votre article et je m’y suis retrouvé avec nostalgie.

    25 octobre 2012 à 22 h 20 min

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