Kraftwerk et les maléfices de la technologie moderne.

Kraftwerk et les maléfices de la technologie moderne.

J’avais consacré un chapitre de mon livre Mal à droite à la technophilie, la jugeant désastreuse, tout comme le Net d’ailleurs, sur les mentalités et les méthodes de travail, voire d’appréhension du réel, des occidentaux moyens. En une génération, on peut dire que beaucoup de choses se sont passées en Europe et en Amérique, les vagues migratoires, les révolutions sexuelles toujours plus déjantées, l’effondrement culturel, la dérive humanitaire, mais que rien ne nous aura autant frappés que cette technologie dévastatrice qui devait nous promettre une nouvelle économie et ne nous a amenés à aucune économie du tout ; seulement des déficits commerciaux, des montagnes de dettes et des indices boursiers en déroute qui reflètent l’instabilité des psychologies dégénérées et l’omnipotence de nos sacro-saints algorithmes. Il y aurait d’ailleurs une histoire maudite des mathématiques à écrire, via Dédale, Galois, le fameux Gerbert, les mythes pythagoriciens et l’histoire du malheureux Turing, que j’avais évoqué dans mon Internet nouvelle voie initiatique.

Qu’est-ce que la technologie ? Je dirais que la technique c’est ce qui permet de dominer le monde matériel, alors que la technologie est ce qui permet de l’oublier. Tout le monde pense tout être avec sa machinerie, et c’est bien ce que nous promet Satan, d’être comme des dieux.

Je vois après coup comme Milton que nous sommes dans de mauvais rêves et du subconscient déconstruit, mais je constate surtout que la technologie a eu un effet catastrophique sur le cinéma ou sur la musique : il n’y a plus que des dessins animés en 3D ou bien des boîtes à rythmes. Dans le domaine de la finance et de la banque, ainsi que me le disait un éminent ami lyonnais, ancien juge au tribunal de commerce, tout a aussi été détruit par les mathématiques, les produits dérivés et les ordinateurs de la facilité. Il n’y a plus de professionnels depuis que la manipulation d’une certaine machine fait que tout le monde se prend pour Einstein, Proust (regardons l’effet dévastateur des blogs sur la vie littéraire), Kubrick ou Mozart (que l’on a osé comparer au miteux Zuckerberg, tout de même). La technologie des manipulateurs de symboles, pour reprendre l’heureuse expression de Robert Reich, a altéré notre rapport à la réalité. D’où les dettes et le reste.

L’homme est un animal certes paresseux mais il faut lui tenir la bride comme à tous les paresseux. Sinon voici ce qui arrive : je cite le livre de Wolfgang Flür (*), ancien des Kraftwerk, groupe mythique de la musique électronique allemande. C’est Kraftwerk qui a justement célébré le progrès, l’électronique, la technologie, la mode branchée, la fin des sexes, l’écologie, l’Europe, le monde transfrontalier, bref tout ce qui s’écroule maintenant. Mais avant la disparition de son monde, Kraftwerk avait, en vrai héritier spirituel de l’Allemagne nihiliste festive hitlérienne (je pèse les trois épithètes, on s’en doute), enregistré la disparition de sa musique dépassée par la technologie : et voici comment.

« Le fait d’avoir peu oblige à être inventif… le succès grandissant, nous avons pu nous acheter les instruments les plus performants… Plus Ralf et Florian achetaient de matériel, plus ils passaient de temps à déchiffrer le mode d’emploi », comme cette fameuse maison de Bill Gates, imbibée de domotique, et dans laquelle même notre crâne d’œuf perdait l’esprit. Il est bon d’ailleurs de rappeler que notre bienfaiteur vient de recommander sous le micro soft ébaubi des journalistes du Monde les bienfaits de… l’Agriculture !

Lire des modes d’emploi, c’est bien le problème. Car, ajoute Wolfgang Flür, « lorsqu’on passe plus de temps à lire le mode qu’à faire de la musique, le résultat est catastrophique… l’appareil nous a ainsi plus handicapés qu’autre chose ».

C’est ici qu’il faut se rappeler Lie Tseu, Héraclite, Platon (le dialogue de Thot et Thamous dans le Phèdre) et ceux qui plus modestement prônent les activités d’éveil pour les enfants ; car imaginons Mozart avec un ordinateur : il serait mort avant que d’être né, comme l’indice du Nouveau Marché ! Dixit Flür : « lorsqu’on a peu de matériel mais que notre imagination est aussi immense que celle d’un enfant, on invente alors des choses qui n’ont rien de scientifique mais qui surprennent tout le monde ».

A la bonne heure ! Qui sait ce que les matheux de Goldman Sachs qui nous dirigent, via Draghi, Monti ou je ne sais quel Grec de Harvard bon à écœurer Juvénal, ne vont pas inventer pour nous endetter jusqu’au cou, nous jeter à la rue et nous rappeler enfin que le réel existe !

(*) Wolfgang Flür, J’étais un robot, Camion blanc, 2003.

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Comments (3)

  • isocrate Répondre

    Excellent. Je suis complètement d’accord avec l’analyse de Bonnal. Il y a bien pire encore. Le "savant"   ou ce qui se fait passer pour savant est devenu aujourd’hui  une manière de  "périphérique" de bases de données. Plus un instant pour la réflexion sur la chose étudiée et le monde, si ce n’est  des naïvetés qui auraient fait éclater de rire Aristote ou Spinoza, mais  usage compulsif  et ad nauseam de  "logiciels"  prétendus de plus en plus "performants", plus ou moins identiques quelle que soit la discipline, et dont le seul objectif  (commercial) est  une représentation 3D multicolore de ce qu’ils croient être une pensée .. je crois qu’Aron Upinsky avait déjà traité de  cette "perversion mathématique"… nous y sommes en plein, plus que jamais… et le pire est devant nous.
    Réduire la pensée à des interconnexions  de plus en plus fines et nombreuses de nano-circuits  est une sinistre blague.

    Le cerveau humain   échappe à toute réduction mécaniste, j’allais dire,  Dieu merci !

    22 novembre 2011 à 12 h 03 min
  • blah Répondre

    Je lis toujours tes articles, la technologie est la maintenant, et tant que les groupes humains intelligents, ayant acces au secrets de la technologie se reproduiront, elle restera.
    Avec l’intelligence artificielle, il se pourrait qu’on arrive au point de laisser a la machine le soin de tout faire, creer des films, la musiques, penser les plans anti cata, penser l’avenir etc…on aura plus besoin de penser, peut etre plus besoin de vivre?

    21 novembre 2011 à 14 h 19 min
  • blah Répondre

    Je lis toujours tes articles, la technologie est la maintenant, et tant que les groupes humains intelligents, ayant acces au secrets de la technologie se reproduiront, elle restera.
    Avec l’intelligence artificielle, il se pourrait qu’on arrive au point de laisser a la machine le soin de tout faire, creer des films, la musiques, penser les plans anti cata, penser l’avenir etc…on aura plus besoin de penser, peut etre plus besoin de vivre?

    21 novembre 2011 à 14 h 19 min

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