L’Espagne méconnue : Ubeda et la route de la Reconquista

L’Espagne méconnue : Ubeda et la route de la Reconquista

Quel esprit ne bat la campagne ?
Qui ne fait châteaux en Espagne ?

La Fontaine

 Oublions quelques minutes les problèmes économiques et culturels de l’Espagne, ruinée par l’euro et toujours criminalisée pour son passé par ses propres historiens et médias (l’expulsion des mores, l’inquisition, la colonisation, le franquisme…), et indiquons plutôt le meilleur de ses destinations : celles restées méconnues par le tourisme international. La catastrophe des grosses croisières actuelles achève par exemple par exemple de saboter les côtes et les villes qui sont prises d’assaut par les meutes de touristes fauchés auraient dû, comme leurs ancêtres, crier : « Moros a la costa ». Le touriste de masse est le tartare des temps modernes, le sarrasin de la culture.

 Certaines villes comme Grenade ou Séville ont été recouvertes par le tourisme international, leurs monuments, dont la visite devient hors de prix, ont perdu peu à peu tout leur enchantement, entre la masse de visiteurs et le scandale des restaurations dénaturantes (Balthus disait qu’il faudrait couper la main des restaurateurs), qui font ressembler tous les monuments anciens à leur copie de Las Vegas ou des parcs d’attraction : mais c’est l’effet recherché. Frappée aussi par la crise et par une immigration de reconquête islamiste, Grenade n’est plus que l’ombre d’elle-même, tandis que Cordoue garde de son chic ancestral et de sa discrétion andalouse. Ses patios viennent d’être honorés du titre de patrimoine de l’humanité. On les visite surtout au printemps, mais je maintiens que l’Espagne, comme en général tous les pays méditerranéens ou la Crimée, mérite le voyage l’hiver ou tout au moins hors saison. Cordoue sent le parfum de l’intérieur : on est loin des côtes et la population y est plus traditionnelle et donc plus sereine. Cordoue reste la cité de Sénèque. La magie andalouse n’est pas sur les côtes, bien plutôt le long du légendaire Guadalquivir dont le patronyme faisait rêver François Mitterrand dans la paille et le grain.

Théophile Gautier l’inégalable :

 « Devant nous se déployait comme dans un immense panorama le beau royaume d’Andalousie. Cette vue avait la grandeur et l’aspect de la mer. »

 Les autorités en matière de tourisme ont eu une bonne initiative qui rafraîchit comme je dis toujours l’imagination des bons chrétiens tout en exaspérant les imbéciles : la création d’une route des châteaux et des batailles liée à la reconquête de leur pays par les Espagnols (si grande en son temps qu’ait été la civilisation moresque, on est tous d’accord).

Un beau musée est ainsi consacré à la grande bataille fondatrice, celle de las Navas de Tolosa (peut-être qu’un néo-historien aura décidé qu’elle n’avait pas eu lieu ou qu’elle n’avait pas eu l’effet escompté !) en 1212 dans la province de Jaen, la plus lointaine des provinces perdues espagnoles (avec peut-être Lugo en Galice). Jaen est couronnée d’un parador magnifique, le couvent de Santa Catalina. Elle est aussi fameuse pour sa cathédrale ainsi présentée par l’écrivain et voyageur romantique Théophile Gautier :

 « La cathédrale, immense entassement d’architecture, qui, de loin, semble plus grande que la ville elle-même, se hausse orgueilleusement, montagne factice auprès de la montagne naturelle. »

 Dans cette province de sierras, d’oliviers et de grande force tellurique (la terre en Espagne irradie plus qu’ailleurs), on trouve la petite ville de Bailén, célèbre pour son beau rôle dans la guerre d’indépendance comme on dit ici, et deux joyaux sensationnels, Ubeda et Baeza.

Les deux cités sont situées à 700m d’altitude, à neuf kilomètres l’une de l’autre. Comme le centre de Cordoue, elles ont été préservées du monde moderne, de sa laideur industrielle et de sa massification. La population y est restée aussi bien chrétienne – on n’est pas à Barcelone – et cela confère à ces cités une aura de candeur et de grandeur. On est au château de pureté célébré par Mallarmé. Construites par des évêques et de grandes familles, ces cités sont des merveilles d’art renaissant, plateresque ou maniériste, je laisse les spécialistes en découdre à l’aide leurs guides touristiques. Je visite des villes pour m’y sentir bien, pas pour en dénombrer les monuments et énumérer leurs caractéristiques !

Je n’en décris plus d’ailleurs ; seul Gautier pouvait décrire une cathédrale sur dix pages ; je considère que l’on a trop de guides et trop d’images pour cela maintenant, sur Google, sur les blogs et le reste. Je recommande Baeza pour sa petite unité magique, sa densité monumentale et son coucher de soleil. Malheureusement la route nationale passe en dessous de cette discrète citadelle, et cela donne parfois un coefficient sonore négatif, surtout sur le chemin des miradors. Ubeda est plus grande, plus espacée, mieux équipée aussi peut-être en hôtels : nous avons gardé un excellent souvenir de la Rosaleda de Don Pedro, en plein casco historico, dont la variété des chambres et de leurs caractéristiques est remarquable. Ubeda est connu aussi pour son parador discret mais cher (les paradors sont en faillite, et l’on comprend pourquoi). On retrouve aussi le chic raffiné et la lenteur des temps anciens, on en oublie que l’on a une télé dans la chambre, ce qui est la preuve de la grande libération du Soi, non ?

Ubeda est ceinte de murailles mais aussi domine un paysage immense et enchanté, celui des oliviers et des sierras oubliées, comme celle de la Magina, incroyable d’isolement et de densité spirituelle. L’air et le soleil y sont tout différents. Tout près on aussi la sierra de Cazorla, déjà plus touristique. Le lever de soleil sur les oliveraies d’Ubeda est sensationnel, surtout l’hiver. Cette cité sacrée est aussi renommée pour ses viandes.

Cette Andalousie oubliée doit bien sûr le rester ! Elle doit évidemment à son isolement son charme imprenable. Je la recommande tout de même, conscient qu’il n’y a pas d’aéroport voisin ni de port de croisières, ni trop d’autoroutes non plus. Seuls les gens bien motivés qui sont des gens de qualité viendront la découvrir, en relisant Théophile Gautier qui a écrit le meilleur guide de voyages jamais consacré à l’Espagne. Regardez cette phrase :

 « Boire de l’eau est une volupté que je n’ai connue qu’en Espagne; il est vrai qu’elle y est légère, limpide et d’un goût exquis. »

Nicolas Bonnal

– Province de Jaen, villes d’Ubeda et Baeza.

– Musée de la bataille de Navas, Santa Elena, Jaen.

– Hôtel Rosaleda, Ubeda. (www.hotelrosaledaubeda.com)

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Comments (1)

  • Le KET Répondre

    Concernant les villes de Baeza et surtout Ubeda, elles méritent effectivement une visite détaillée et surtout un séjour dans le merveilleux Parador d’Ubeda.
    Par contre, concernant la culture de l’olive sur des dizaines de milliers d’hectares, il y aurait beaucoup à raconter, notamment en ce qui concerne les pesticides et les engrais, la récolte et la pression. Comme pour la vigne, les espagnols font aussi “pisser ” les oliviers !

    7 janvier 2013 à 11 h 00 min

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