Parador de Jaen : le nid d’aigle de De Gaulle

Parador de Jaen : le nid d’aigle de De Gaulle

Il y a deux moyens d’échapper à ce monde, le bon cinéma et les beaux voyages.

L’Espagne en crise ne finit pas nous offrir ses merveilles à bas prix en basse saison surtout ; il y en a qui se précipitent sur les actions (mais elles ont trop remonté), d’autres sur les bons hôtels. Le site hollandais booking.com permet aussi de découvrir des occasions fantastiques aux quatre coins du monde, d’un monde devenu de plus en plus rétréci, étriqué et homogène. Raison de plus pour redécouvrir ce qui est unique, et qui n’est certainement pas situé sur une plage tropicale (toutes les mêmes ou peu s’en faut) ou dans un centre commercial à Dubaï, bien plutôt dans notre extraordinaire et si proche patrimoine européen.

Les paradors sont une des plus belles inventions de la jeune république espagnole, à la fin de la si belle décennie des années vingt, décennie du grand gouvernement Poincaré, du cinéma muet et d’Arsène Lupin dans notre vieille France. La philosophie du parador repose sur un oxymore, le luxe pour tous (80 euros la nuit), et sur un lieu commun, tradition et modernité, qui n’est ici ni caricaturé ni tourné en dérision.

J’ai choisi de célébrer le parador de Jaen, capitale d’une splendide province oubliée du nord de l’Andalousie, bien au sud de Madrid et surtout loin des côtes (car comme disait Claude Piéplu je ne sais où, il y a des cons surtout sur les bords).  Jaen dispose d’un ciel pur, d’un climat méditerranéen un peu continental, de quelques sierras magiques – dont celle de Magina, purement incroyable – et de deux villes patrimoines de l’humanité, Ubeda et Baeza, qui sont deux vraies merveilles discrètes. Jaen est restée assez traditionnelle et catholique, célébrant d’ailleurs la route des châteaux et des batailles qui assurèrent la Reconquista, pas oubliée par tout le monde.

Le parador est un ancien château, citadelle datant non pas des Arabes mais des Romains, sans doute même d’avant. C’est le château santa Catalina, qui domine la ville de sa fière crête rocheuse, élancée comme un condor sur les Andes. Le site est si grandiose qu’on se croirait au Machu Picchu, sauf que le Machu Picchu est inondé de touristes et que l’hôtel, cinq ou six fois plus cher que le parador espagnol, ne donne aucune vue satisfaisante. La décoration et la retape datent de 1965, réalisées par un très bon architecte nommé Picardo, qui a créé un style bois-pierre proche de celui de Bustillo à Bariloche (je me remets à errer en Patagonie quand je suis à Jaen), et qui rend hommage aux fastueuses voûtes gothiques. Les vues des chambres situées plein sud sont bien sûr sensationnelles. On aura compris que ce sont plus que des vues, ce sont des sensations spirituelles.

Il y a  aussi un salon surréel doté d’une petite bibliothèque et d’une fenêtre meurtrière, avec un plafond en caissons digne de Shining. Merveilleux endroit pour potasser Dostoïevski.

C’est dans cette atmosphère impressionnante, hors du monde (pour jouer d’un non-lieu commun), que le général de Gaulle s’est retiré en juin 1969, après avoir justement raccroché les crampons dans ce qui devenait alors l’hexagone. De Gaulle était arrivé en Espagne peu de temps avant, s’est rendu à Santillana (le parador est aussi très bien, bien médiéval), puis en Galice et enfin est descendu vers le sud, en passant par Tolède et Jaen. Sa visite fut un petit événement ici, on bloqua la route d’accès au château, alors moins  encombrée qu’aujourd’hui. Il se levait à cinq heures, m’a-t-on expliqué, écrivait, déjeunait, écrivait à nouveau jusque vers une heure. L’après-midi ses longues jambes le portaient durant des kilomètres à travers des sentiers éclairés par une lumière parfaite. Puis il repartit en laissant 50 000 pesetas (une somme prodigieuse à l’époque, le mois de salaire de tout le personnel) de pourboire au personnel de l’hôtel. On ne s’en remit jamais par ici, et le portrait du général De Gaulle orne l’entrée du parador de Jaen, comme la photo de Sarkozy doit orner les McDonald’s qataris. Je repense nostalgiquement à De Gaulle, quoiqu’on ait pu penser de sa politique, à son nationalisme magique, à sa métapolitique visionnaire, à sa prose majestueuse puisée aux meilleures sources (le travail et Château…brillant), à son insolence aussi vis-à-vis du monde dit moderne, et je dis… château l’artiste !

La hauteur métaphysique de ce lieu, la longueur des couloirs, la majesté des ogives et des salles, la splendeur géométrique des vues, la profondeur de la lumière hivernale, tout fait de ce parador une source d’inspiration. C’est en tout cas la preuve, bien connue des pessimistes comme moi (le pessimiste cherche toujours la sortie avant les autres, qu’il s’agisse d’un mauvais film ou d’un gouvernement incapable), que les beaux lieux subsistent, que sans doute la gangrène les gagnera, mais qu’elle y mettra le temps.

Bien des paradors en Espagne méritent le détour, comme le prévoyait La Fontaine avec ses châteaux en Espagne. N’étant pas un maniaque des collections, je ne les fréquenterai pas tous, mais je recommanderai, outre celui de Jaen, dont le personnel a été exceptionnel, ceux de Santillana déjà nommé, de Tui en Galice ou de Siguenza la sublime et celui d’Alarcon, perdu quelque part en Castille, tout au nord d’Albacete. Comme disait  Théophile Gautier avant la bulle immobilière, ce n’est pas la terre qui manque en Espagne et ce pays merveilleux et plus grand que nature a d’ailleurs plus que le monde anglo-saxon donné ses lettres de noblesse,  y compris ses noms et sa culture chevaline, au grand ouest américain, à ses sierras, à ses corrals, à ses canyons, à ses poétiques errances. L’Espagne a bâti les plus belles villes coloniales d’Amérique, détruites par le siècle des autoroutes. Et n’oubliez pas, avant de partir pour Jaen, de lire Gautier et son voyage en Espagne, qui vaut tous les Lonely Planet du globe nouveau et avéré.

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Comments (4)

  • Chrvreuil Répondre

    Il faut connaître l émerveillement de la vue sur la montagne au sud vie qu à partage de gaule époustouflante et tragique la beauté a l état pur

    11 novembre 2020 à 2 h 24 min
  • Comnene Répondre

    Erreur de l’auteur de l’article: c’est en Juin 1970 (et non 1969) que de Gaulle a effectué son premier voyage (privé) en Espagne; ce fut aussi son dernier voyage….
    L’auteur, citant Santillana del Mar, la Galice, Tolède et Jaén comme étapes de ce voyage, en oublie une significative: le passage par El Pardo, près de Madrid, la résidence du chef de l’Etat espagnol, le “Caudillo” Francisco Franco, qui y convia l’ancien président français à une entrevue suivie d’un “almuerzo”, le lundi 8 Juin. De Gaulle, à son retour à Colombey, écrivit au “generalisimo” une lettre de gratitude, publiée dans les “Lettres, notes et carnets”, adressée à celui qui “assure, au plan le plus illustre, l’unité, le progrès et la grandeur, de l’Espagne”.
    Assez curieusement, de Gaulle voyageait à cette époque dans un pays ( à l’évidence le seul) où l’on pouvait encore observer, çà et là, exposées à la vue du public, à titre honorifique et commémoratif, des croix gammées hitlériennes (en hommage aux combattants espagnols de la “Division Azul” sur le front soviétique. Curieuse ironie de l’histoire!!

    8 avril 2013 à 17 h 28 min
  • Philippe Lemaire Répondre

    Vive De Gaulle! Novembre 1970 un deuil dont je ne me suis toujours pas remis…

    9 février 2013 à 11 h 17 min
  • quinctius cincinnatus Répondre

    votre amour du monde hispanique et indiens est contagieux

    8 février 2013 à 19 h 17 min

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