Europe : retour au réel, à la politique et aux peuples
Le 9 mai dernier, nous fêtions – sans enthousiasme – les 60 ans de la déclaration Schuman, à la base de la Communauté économique du charbon et de l’acier et donc de l’actuelle Union européenne.
L’atmosphère morose de cet anniversaire tient évidemment aux difficultés économiques que traversent certains pays membres, à commencer par la Grèce. Et surtout au fait que ces difficultés menacent d’entraîner l’explosion de l’euro.
Pourtant, il y aurait des motifs de se réjouir. En 60 ans, malgré toutes les critiques, l’Union européenne a considérablement avancé. Après des siècles de « guerre civile » européenne, la paix s’est installée sur notre continent. Lequel a d’ailleurs été réunifié par la chute du mur de Berlin. Par ailleurs, l’Europe a connu un développement économique sans précédent. Tout cela n’est pas négligeable…
Pourtant, aucun de ces succès n’a été imputé à la « construction européenne ».
À mon sens, cela tient à un motif central : l’oubli de la politique. Cet oubli est constitutif de la construction européenne. Les premiers fondateurs, Jean Monet en tête, ont toujours dit qu’il fallait tenir les peuples en dehors de ces questions. Les peuples sont supposés trop stupides (ou, ce qui est peut-être une insulte encore plus grave par les temps qui courent, trop « archaïques » ou pas assez « modernes ») pour comprendre le projet génial qui doit faire leur bonheur. Par conséquent, ils n’ont jamais été consultés. Et, d’ailleurs, chaque fois qu’on consulte un peuple de l’UE sur le projet européen, la réponse diffère de celle qu’attendaient les « élites »…
L’autre aspect de cet « oubli du politique », c’est l’idée bizarre de « faire l’Europe » par l’économie. L’idée de « faire l’Europe » est déjà bizarre en soi, quand nous avons quelques siècles de coexistence. Mais la « faire » par l’économie est encore plus absurde. Il n’y avait pas besoin d’être prophète en 1992, pour remarquer les difficultés au-devant desquelles nous nous élancions avec ce faramineux projet de monnaie unique, alors que nos économies avançaient à des rythmes fort disparates…
De toute évidence, la logique était de dire : faisons l’union monétaire, dans quelques années, l’union budgétaire et, en définitive, l’union politique deviendront incontournables. Mais c’est là une fuite en avant et non une stratégie politique !
Plus grave encore, les « élites » européennes ont cru pouvoir remplacer les choix politiques par la « gouvernance technique » (ou technocratique, comme vous voudrez…). Or, rien dans les chiffres, ne nous dira s’il faut une armée ou une diplomatie européennes ! Ce sont des choix « régaliens », que l’on ne peut pas imposer par la technique. À budget égal (mais à stratégie différente), on peut choisir des armées nationales, une armée européenne, ou encore une armée intégrée dans l’OTAN…
Cette « construction » qui poserait déjà d’insolubles problèmes avec des technocrates de bon sens devient un casse-tête avec des technocrates atteints de folie des grandeurs.
Car la politique économique, qui fut pendant longtemps la principale réussite de l’Union européenne, est désormais un fiasco cuisant. Et pour cause, elle repose sur des logiques absurdes qu’un enfant de cinq ans discernerait comme telles si on les lui exposait clairement.
Qu’on en juge : voici un peu plus d’un an, une grave crise économique a éclaté, dont le facteur principal était un endettement des particuliers et des entreprises croissant dans des proportions fantastiques. Pour y remédier, on a augmenté de façon non moins fantastique les dettes des États… sans toucher le moins du monde à celles des particuliers et des entreprises.
Aujourd’hui, la bulle de l’endettement des États éclate à son tour. Que croyez-vous que proposent les « élites » ? Tout simplement alimenter la Grèce (en attendant le Portugal, l’Espagne, la Grande-Bretagne et la France…) en argent prêté par les autres pays européens… qui n’en ont pas le premier euro !
En français courant, cela signifie : faire gonfler la bulle. Et l’économie commence à rejaillir sur la politique… mais pas dans le sens initialement prévu par Monet et consorts.
La crise grecque est la première responsable de la sévère défaite électorale subie par Angela Merkel aux récentes régionales de Rhénanie. Elle est aussi la cause principale des difficultés rencontrées par les libéraux et les conservateurs britanniques pour former une coalition…
On ne peut pas ignorer indéfiniment la politique ; elle se rappelle toujours à notre bon souvenir !
Comments (5)
Je ne suis qu’à moitié d’accord avec cette analyse. Pour moi, la faillite de l’Europe s’explique en grande partie par l’oubli de la culture. Nos dirigeants ont décidé de tourner le dos à tout ce qui a trait à notre civilisation et notre histoire (même conflictuelle) communes, pour ne privilégier que l’économie. Sans racines un arbre ne peut pas pousser.