1811-2011 : Théophile Gautier et le bicentenaire de la réaction française

1811-2011 : Théophile Gautier et le bicentenaire de la réaction française

L’exception française est morte, raison de plus pour la célébrer. Il y a deux siècles, naissait Théophile Gautier, un an après Schumann ou Musset, la même année que Liszt, un an avant Dickens, et deux avant Wagner. Heureux premier dix-neuvième siècle !

Impeccable magicien ès-lettres pour Baudelaire, Théophile Gautier incarne ce refus artiste de la modernité, de l’ingénierie, du politiquement correct à la petite cuiller (on disait « la vertu »), du culte de la science à tout-va. Il est celui qui dit non, et de la manière la plus provocante qui soit, sans avoir besoin de passer par Hitler comme les ânes bâtés du festival de Cannes. Donnons-lui la parole. Dans sa fameuse préface à la demoiselle de Maupin, écrite à vint ans, il défend par exemple une philosophie hédoniste : « Dieu qui, enfin, n’a accordé qu’à nous seuls ce triple et glorieux privilège de boire sans avoir soif, de battre le briquet, et de faire l’amour en toutes saisons, ce qui nous distingue de la brute beaucoup plus que l’usage de lire des journaux et de fabriquer des chartes. »

Puis il s’en prend au culte de la science et du progrès : « Mon Dieu ! que c’est une sotte chose que cette prétendue perfectibilité du genre humain dont on nous rebat les oreilles !… On dirait en vérité que l’homme est une machine susceptible d’améliorations, et qu’un rouage mieux engrené, un contrepoids plus convenablement placé peuvent faire fonctionner d’une manière plus commode et plus facile. »

La machine ayant tendance à devenir obèse, et l’appétit à croître, par les temps qui courent, on donnera cette solution chirurgicale, proposée par le maître : « Quel économiste nous élargira l’estomac de manière à contenir autant de beefsteaks que feu Milon le Crotoniate qui mangeait un bœuf ? »

Gautier demande au roi d’abolir la liberté de la presse qui l’a porté au pouvoir lors des Trois Glorieuses : « Si Louis- Philippe, une bonne fois pour toutes, supprimait les journaux littéraires et politiques je lui en saurais un gré infini, et je lui rimerais sur-le-champ un beau dithyrambe échevelé en vers libres et à rimes croisées ; signé : votre très humble et très fidèle sujet etc. »Car, ajoute notre poète, qui n’avait pas lu Télérama ou les Inrocks, « Le journal tue le livre, comme le livre a tué l’architecture, comme l’artillerie a tué le courage et la force musculaire. On ne se doute pas des plaisirs que nous enlèvent les journaux. Ils nous ôtent la virginité de tout ; ils font qu’on n’a rien en propre, et qu’on ne peut posséder un livre à soi seul… »

Au-delà de la drôlerie et de la verve, il y a un procès philosophique d’intention : Gautier voit poindre la destruction de tout par l’industrie, comme Balzac qui dans la superbe ouverture de Béatrix explique que les œuvres seront remplacées par des produits. Dans son très actuel voyage en Espagne, l’auteur du Capitaine Fracasse écrit :

« Les esprits dits sérieux nous trouveront sans doute bien futile et se moqueront de nos doléances pittoresques, mais nous sommes de ceux qui croient que les bottes vernies et les paletots en caoutchouc contribuent très peu à la civilisation, et qui estiment la civilisation elle-même quelque chose de peu désirable. »

Bien avant nos bons esprits de droite et traditionnels, Gautier redoute « l’homogénéisation et la mondialisation (et des vocables) : C’est un spectacle douloureux pour le poète, l’artiste et le philosophe, de voir les formes et les couleurs disparaître du monde, les lignes se troubler, les teintes se confondre et l’uniformité la plus désespérante envahir l’univers sous je ne sais quel prétexte de progrès. »

Dieu avait en effet créé la diversité des races et des cultures : « Nous croyons que tels n’ont pas été les desseins de Dieu, qui a modelé chaque pays d’une façon différente, lui a donné des végétaux particuliers, et l’a peuplé de races spéciales dissemblables de conformation, de teint et de langage. »

Notre réactionnaire progressiste ne se trompe qu’une fois, lorsqu’il surestime l’intelligence de l’homme moderne : « Quand tout sera pareil, les voyages deviendront complètement inutiles, et c’est précisément alors, heureuse coïncidence, que les chemins de fer seront en pleine activité. À quoi bon aller voir bien loin, à raison de dix lieues à l’heure, des rues de la Paix éclairées au gaz et garnies de bourgeois confortables ? »

Quand tout sera pareil, les gens voyageront plus encore ; il n’y a qu’à voir à Grenade !

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Comments (5)

  • Jaures Répondre

    Cher Small, je ne suis pas plus prof de lycée que vous et me contente de donner mon point de vue sur les oeuvres évoquées et sur les interprétations que d’autres en donnent.
    Vous pouvez ne pas les partager mais il est inutile pour autant d’en perdre son sang-froid.

    Quant à la vieille idée du déclin que vous semblez partager, elle est aussi vieille que le monde existe. On en trouve la trace dés Saint Augustin. Sans remonter si loin, demandez vous objectivement si la France que contemplait Céline, celle de 1914 (le Voyage) à 1944 (D’un château l’autre) était si attrayante comparée à celle d’aujourd’hui.

    Quelle que soit la réalité d’une époque, on la regrette toujours quand on l’a vécue jeune. Mon grand-père, prisonnier durant la guerre pendant 3 ans dans des conditions exécrables achevait toujours l’évocation de ses souvenirs d’un:"C’était le bon temps, on était jeune".

    Vous pouvez maudire notre époque autant que vous voudrez, vous ne pourrez pas pour autant abolir le temps.

    6 juin 2011 à 9 h 53 min
  • vozuti Répondre

    small bartholdi,                         c’est vrai la disparition de la france n’interessera pas les historiens car la france est en train de s’écraser comme une merde sur laquelle poussera une autre nation.                                                     les soixantehuitards ont décidé un suicide national collectif en livrant le pays aux franc-maçons.                         quand on voit l’incroyable combativité de la génération qui a résisté à verdun,on se demande s’il y a vraiment un lien de parenté avec les soixantehuitards,ces mort-vivants qui n’ont meme pas été capables de transmettre le flambeau aux générations suivantes.

    5 juin 2011 à 2 h 19 min
  • SMALL BARTHOLDI Répondre

    JAURES,

    Je devine en vous le prof de lycée, qui fait la leçon et la censure, pour bien corriger toutes les inepties de droite qui pourraient pousser par mégarde dans les têtes de ses élèves, soit la société française toute entière, par définition à rééduquer.

    Votre arrogance démontre que vous faites partie de la classe dominante aujourd’hui en France, et que vous le savez. Vous êtes un dogmatique de gôche qui traquez toutes les contestations qui sont en nous et "nulle part ailleurs". Donc, ce que nous voyons, nous le voyons pas. C’est une auto-hallucination de nos esprits dérangés. Il y a 15 ans, vous deviez faire partie de ces gens qui prétendaient avec le plus grand sérieux que l’insécurité n’existait pas, uniquement le sentiment d’insécurité. Donc celui qui crie au loup devrait être interné d’urgence car lui seul est le problème.

    Je dois être dérangé pour constater que la société française s’enfonce d’année en année dans la médiocrité la plus consternante.

    Avec vous, la pirouette du lettré remplace l’intuition. Bonnal est parfois exaspérant, on est d’accord, mais lui au moins a parfois des VISIONS, ce qui ne sera jamais votre cas. Vous, vous vous coontentez de réciter vos polycopiés de fac.

    Enfin, vous trouvez une bonne formule : "hymne au suicide collectif". C’est effectivement la meilleure définition de la gauche.

     

    5 juin 2011 à 0 h 56 min
  • Jaures Répondre

    Small Bartholdi, si vous lisez bien Céline, le bout de la nuit est en lui et nulle part ailleurs.
    Comme il est en vous lorsque vous prenez le bus.
    N’oubliez pas que l’auteur du "voyage" est aussi celui de "Bagatelle pour un massacre", véritable hymne au suicide collectif, cri de haine nauséeux à toute l’espèce humaine dont il se donne au bourreau.

    Et ne tombez pas dans les travers de Bonnal qui croit que le comble de l’intelligence est de prendre une citation d’un auteur et de faire un parallèle factice avec un fait divers d’aujourd’hui. Il n’y a pas moins d’histoires de culs dans Eschyle, dans Molière ou dans Proust que dans Céline et on peut aisément, depuis Homère,se livrer à ce petit jeu puéril digne d’un lycéen de seconde.

    4 juin 2011 à 11 h 00 min
  • SMALL BARTHOLDI Répondre

    Puisque vous évoquez la réaction française, pourquoi ne pas parler du Grand Banni de 2011, soit Louis-ferdinand Céline. Dès 1932; soit il y a près de 80ans, une vie d’homme, il avait inventé Bardamu, la parfaite incarnation de l’Européen d’aujourd’hui. Lâche, pacifiste, obsédé par ses histoires de cul (bonjour DSK), vacancier triste, sans l’ombre d’un idéal ou d’un remords d’héroïsme, il avance à petits pas, titubant souvent comme l’Ulysse de James Joyce sortant d’un pub irlandais.

    Nous en sommes là : au bout de la nuit. Mais rassurons-nous : la dégringolade n’est pas terminée. Prenez un bus dans Paris un jour comme aujourd’hui pour en avoir une idée très concrète. Ceux qui ont vu l’Europe plus belle peuvent pleurer, et pleureront. La trahison des élites est, en ce pays, une habitude que les médias ne relèvent plus.

    Le bout de la nuit, ce sera demain, après-demain, ce pays où devront survivre mes enfants. Les fameux bobos ne sont qu’une transition vers autre chose. Et toute cette piètre histoire n’intéressera aucun historien.

    Céline avait raison : tout cela n’est même pas intéressant.

    3 juin 2011 à 23 h 12 min

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