Céline et l’enfer médiocre à la française

Céline et l’enfer médiocre à la française

Vous n’existez plus, vous n’êtes déjà plus que des souvenirs. Vous n’en savez rien ! Ça c’est prestidigitateur !

Les pamphlets de Céline, je l’ai dit, sont des œuvres remarquables. On les a diabolisés, ce qui garantit leur pérennité, mais on ne les a pas assez lus. Ils sont un texte volcanique de dénonciation entre les lignes du monde moderne, bien au-delà du trop facile antisémitisme qui a fini heureusement par lasser tout le monde.

Ses coups les plus durs, Céline les réserve d’ailleurs à la France. Et je crois que c’est cela qu’on ne lui pardonne pas, à part son incroyable génie verbal, sa virtuosité stylistique sans égale dans notre langue : avant lui, il y a Pascal et Chateaubriand, autres auteurs bien droitiers, après lui il n’y aura personne.

Céline est exaspéré par l’hypocrisie et la tartuferie à la française :

Les Français veulent se donner l’impression qu’ils possèdent encore une mystique. D’où tant de discours. Ils n’ont plus de mystique. Ils n’ont plus que des mots. Les Français sont vides.

Tout comme Vigny avait compris la transformation du guerrier en soldat, puis en militaire, Céline voit l’entropie de la petite classe ouvrière bien syndiquée :

Maintenant il est roué comme potence, rusé pitre et sournois et vache, il bluffe, il envoye des défis, il emmerde la terre, il installe, mais pour raquer il est plus là. Il a plus l’âme en face des trous. C’est un ventriloque, c’est du vent. C’est un escroc comme tout le monde. Il est crapule et de naissance, c’est le tartufe prolétarien, la plus pire espèce dégueulasse, le fruit de la civilisation. Il joue le pauvre damné, il l’est plus, il est putain et meneur, donneur fainéant, hypocrite. Le frère suçon du bourgeois.

Magnifique expression que celle du Tartufe prolétarien. Bien entendu, Céline en déduit avec bonne humeur, en toute logique, que la France est ingouvernable :

Allez gouverner un petit peu dans des conditions pareilles !… Ah ! C’est infernal ! Une horreur ! Je veux bien l’admettre.

La preuve c’est que personne y arrive plus.

La France reste même sous Sarkozy le champion du monde des donneurs de leçons. Voici ce qu’en dit le Maître :

Si c’était par la force des mots on serait sûrement Rois du Monde. Personne pourrait nous surpasser question de gueule et d’assurance. Champions du monde en forfanterie, ahuris de publicité, de fatuité stupéfiante, Hercules aux jactances.

Notre nullité en sport était déjà proverbiale : entre deux dénonciations de l’alcoolisme à la française, Céline constate :

Il (le Français) se démontre sans faiblir jamais, en toute occasion… la rigolade des stades de l’univers…cette infinité des vestes sportives trouble un peu la jactance naturelle du peuple français.

Un des éléments les plus exaspérants de la modernité et de la bêtise à la française est l’obsession humanitaire. Dans L’Ecole des cadavres, Céline explose de joie en décrivant une bonne âme pleurnicharde, bonne pour la plonge à la télé d’aujourd’hui :

Je connais le plus honnête homme de France. Il se donne un mal ! Il se dépense ! Il est maître d’école à Surcy, à Surcy-sur-Loing. Il est heureux qu’au sacrifice, inépuisable en charité. C’est un saint laïque on peut le dire, même pour sa famille il regarde, pourvu que l’étranger soit secouru, les victimes des oppressions, les persécutés politiques, les martyrs de la Lumière.

Secrétaire à la Mairie, il ne connaît ni dimanche ni fête. Toujours sur la brèche. Et un libre d’esprit s’il en fut, pas haineux pour le curé, respectueux des ferveurs sincères.

Mais après la bonne âme se mobilise et veut secourir l’humanité entière. L’obsession humanitaire, antichambre du purgatoire migratoire ; le passage est irrésistible de drôlerie (d’ailleurs à son procès on riait beaucoup) :

Au sacrifice toujours premier !… C’est pour les héros de la mer Jaune… pour les bridés du Kamtchatka… les bouleversés de la Louisiane… les encampés de la Calédonie… les mutins mormons d’Hanoï… les arménites radicaux de Smyrne… les empalés coptes de Boston… les Polichinels caves d’Ostende… n’importe où pourvu que ça souffre ! Y a toujours des persécutés qui se font sacrifier quelque part sur cette Boue ronde, il attend que ça pour saigner mon brave ami dans son coeur d’or…

Le besoin que ça souffre ! Tout est dit. Céline finit avec ces lignes de visionnaire caniculaire et climatique sur notre Apocalypse molle :

Tout ça roule, roule tout venin, tiédasse, dépasse pas 39°, c’est un malheur pire que tout, l’enfer médiocre, l’enfer sans flamme. Y a des guerres qu’arrivent heureusement, de plus en plus longues, c’est fatal.

La Terre se réchauffe.

La terre se réchauffe… D’ailleurs l’immobilier ne flambe-t-il pas un peu partout ?

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Comments (4)

  • courtier Répondre

    fabuleux article, merci bien.

    2 janvier 2015 à 16 h 26 min
  • Anonyme Répondre

    Citation qui est d’actualitè «La merde a de l’avenir. Vous verrez qu’un jour on en fera des discours.» Louis-Ferdinand Céline –

    19 juillet 2011 à 12 h 56 min
  • SMALL BARTHOLDI Répondre

    On pourrait écrire une encyclopédie sur la médiocrité française. Depuis Sedan, elle n’a cessé de se répandre telle une tâche d’encre à tous les échelons. Le XXe siècle fut son indiscutable triomphe. Des Pieds Nickelés à Astérix, de François Pignon aux Bronzés, de la grande vadrouille aux Chtis, des curés à St-Tropez aux innombrables comiques télévisuels, des Henrouille aux Groseille, les Français ne cessent plus de ne pas se prendre au sérieux.

    Les Gabin-Delon étaient les derniers vestiges d’un héroïsme, purs produits de l’ère crépusculaire de la présidence De Gaulle. Après, c’était le tour de Pierre Richard et Christian Clavier. Aujourd’hui, Delon joue les Jules César imbéciles pour Alain Chabat.

    Bienvenue en France, encore et toujours. Cioran avait déjà tout écrit dans un petit livre paru avant la 2ème guerre : De la France. Après cela, on s’étonnera de nos difficultés d’intégration.

    19 juillet 2011 à 8 h 19 min
  • domver Répondre

    Virtuosité stylistique?J’y vois des facilités à faire bailler au bout de quelques pages.On dirait du rap:pour ceux qui aiment…

    18 juillet 2011 à 14 h 38 min

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