Entretien avec Jean Sévillia

Entretien avec Jean Sévillia

Entretien avec Jean Sévillia,
Ecrivain et journaliste

 

 Charles Ier : « un chrétien, un mari, un père et un monarque exemplaire » Ecrivain et journaliste, Jean Sévillia s’est depuis longtemps pris de passion pour l’Autriche des Habsbourg. Président de l’Association pour la béatification de l’impératrice Zita, il avait consacré en 1997 une biographie remarquable – et remarquée – à l’épouse du dernier empereur d’Autriche et roi de Hongrie. Il publie aujourd’hui celle de Charles Ier.
 
 
Les 4 Vérités : Jean Sévillia, vous avez publié en 1997 une biographie de Zita de Habsbourg, « impératrice courage ». Pourquoi consacrer aujourd’hui un livre à son mari, l’empereur Charles Ier ?
 
Jean Sévillia : Le personnage de Charles Ier apparaissait souvent dans le livre que j’ai consacré à l’impératrice Zita. J’ai pu, depuis, avoir accès aux actes du procès en béatification du dernier empereur d’Autriche, qui n’existaient pas lorsque j’ai écrit le premier livre et où j’ai trouvé de nouvelles sources, très importantes. Par ailleurs, j’ai constaté que, depuis la béatification de Charles par le pape Jean-Paul II le 3 octobre 2004, sa personnalité suscite un certain intérêt en France : par exemple, un chapitre du pèlerinage de Chartres s’est créé sous son patronage, son portrait figure dans la basilique de Lourdes, des groupes de prières se sont formés pour demander son intercession… Tout cela m’a incité à entreprendre la biographie de l’empereur lui-même. On retrouve évidemment la même histoire et les mêmes événements que dans mon ouvrage sur l’impératrice, mais considérés cette fois à travers le regard de Charles.
 
Ce regard diffère-t-il beaucoup de celui de Zita ?

L’un et l’autre se complètent. Ce couple a été très uni, dans le bonheur comme dans le malheur, mais Charles et Zita se sont parfois trouvés en désaccord sur des sujets politiques. La forte personnalité de Zita a laissé penser à certains de ses biographes qu’elle emportait la décision et que Charles se montrait faible et effacé devant sa femme. Il n’en est rien. Au contraire, à chaque fois, c’est son avis, à lui, qui s’imposa.
 
Du vivant même de l’empereur et sous son règne, on reprocha aussi à l’impératrice d’avoir trop d’influence sur lui, et même une mauvaise influence. C’est un reproche qui, lors de la Révolution française, avait également été adressé à Louis XVI et Marie-Antoinette…

On peut trouver de nombreux parallèles dans l’histoire de ces deux couples royaux, comme on peut en trouver avec la famille impériale de Russie. Comme Louis XVI et comme Nicolas II, Charles Ier succède encore jeune à un aïeul qui a eu un long règne. Comme eux, il a pris la mesure du changement d’époque et voudrait réaliser des réformes dont il est empêché. La partie est déjà perdue lorsqu’il monte sur le trône. Leurs épouses sont victimes de la calomnie : on accuse Zita de vendre les plans de l’armée aux Français ou aux Italiens, comme on a accusé Marie-Antoinette de trahir la France au profit des Autrichiens. Enfin, leurs trois destins sont tragiques : Louis XVI sera décapité, Nicolas II fusillé et Charles Ier mourra en exil.
 
Louis XVI fut détrôné en grande partie parce qu’il s’opposait aux mesures anti-catholiques, notamment à celles prises à l’encontre des prêtres réfractaires. A votre avis, pourquoi n’est-il pas béatifié, comme Charles Ier ?

Louis XVI était évidemment un roi catholique, mais pour être béatifié, il faut avoir fait montre tout au long de sa vie de la volonté de s’inscrire dans le plan de Dieu. C’est toute une vie qui est jugée. La sainteté est le fruit d’une relation personnelle entre l’âme du saint et Dieu. Par ailleurs, pour qu’une personne soit béatifiée, il faut qu’un miracle ait été opéré par son intercession : dans le cas de l’empereur Charles, une religieuse polonaise vivant au Brésil a bénéficié d’une guérison inexplicable après l’avoir prié. De son vivant, déjà, l’empereur était considéré comme un saint : une association de fidèles qui priaient déjà pour lui a œuvré à sa béatification après sa mort. La cause a été ouverte sous Pie XII. Jean-Paul II, dont le père était officier dans l’armée de la double monarchie, a tenu à ce qu’elle aboutisse, non seulement parce que Charles, en tant que souverain, mit en application la doctrine sociale de l’Eglise et rechercha la paix, mais aussi parce que, comme l’a écrit le pape polonais dans le décret du 12 avril 2003 proclamant l’héroïcité des vertus de Charles, « Il était un chrétien, un mari, un père et un monarque exemplaire. » Ce n’est pas l’homme politique qui a été béatifié, mais l’homme privé, appelé à la sainteté comme n’importe quel être humain. En accomplissant son devoir d’état comme souverain, puis dans les épreuves, il s’est toujours comporté en chrétien.
 
Politiquement, vous montrez qu’il a été d’échec en échec…

En effet, il n’est pas parvenu à sortir l’Autriche-Hongrie du conflit mondial, ni à accomplir les réformes intérieures qu’il aurait souhaitées, ni à échapper à l’emprise allemande, ni à sauver son trône, ni à empêcher l’éclatement et le morcellement de l’empire ; mais les circonstances historiques auxquelles il se trouvait confronté aurait broyé n’importe qui. Mais il faut aussi parler de ses réussites : ce qu’il a fait pour améliorer le sort des combattants, ou sa politique sociale. Charles Ier était l’empereur du peuple.
 
Vous le décrivez comme un chef militaire très économe du sang de ses soldats et très humain à leur égard.

L’empereur a passé les deux années de son règne à voyager à travers tout l’empire. C’est le seul chef d’Etat qui, au cours du premier conflit mondial, ait vu d’aussi près l’action et l’œuvre de la guerre, sur le terrain. Il avait pu mesurer toute sa monstruosité et souhaitait qu’elle prenne fin le plus vite possible.
 
Ce vœu rencontrait celui du pape Benoît XV…

Il existait entre eux une communauté de vues et ils avaient noué des rapports secrets. Benoît XV désirait jouer un rôle d’intermédiaire pour trouver une solution au conflit, ce qui correspondait à la vocation de médiateur universel du successeur de Pierre. Quand il publia son appel à la paix, en 1917, Charles y répondit favorablement. Malheureusement, les efforts du pape restèrent vains, en raison de l’hyper-nationalisme des peuples européens en guerre.
 
Les démarches entamées par Charles Ier auprès de la France en vue de terminer le conflit échouèrent à la fois du fait du comte Czernin, ministre autrichien des Affaires étrangères, en désaccord avec l’empereur, et, côté français, de Georges Clémenceau, alors président du Conseil. L’attitude de ce politicien radical et franc-maçon n’a-t-elle pas été inspirée par la détestation qu’il vouait à un empire austro-hongrois apparaissant comme le pilier du catholicisme en Europe centrale ?

L’hostilité montrée par Clémenceau à l’égard de ce qu’il appelait la « monarchie papiste » était en effet de nature idéologique, mais il est aussi entré une part de jeu dans la révélation des pourparlers de paix avec la France secrètement initiés par l’Autriche. Leur divulgation par Clémenceau sabota la paix et aboutit à rendre Charles encore plus étroitement prisonnier de l’alliance allemande. C’était d’ailleurs l’avis d’Aristide Briand, ancien président du Conseil, qui nota dans son journal : « Voilà une impulsion qui nous coûtera cher, elle rejette l’Autriche dans les bras de l’Allemagne. » Poincaré, président de la République, s’affligeait pour sa part de l’« impétuosité » dont avait fait preuve le « Tigre ».
 
N’est-ce pas également une conception idéologique, celle du droit des nationalités, qui conduisit, au lendemain de la guerre, le président américain Thomas Woodrow Wilson à privilégier la destruction de l’Autriche-Hongrie et le maintien de l’unité allemande, ce qu’un Jacques Bainville devait dénoncer avec clairvoyance ?

A l’origine, Wilson n’avait pas de préjugé. Petit à petit, cependant, le travail de persuasion des émigrés tchèques et yougoslaves le convainquit que l’Autriche-Hongrie méritait d’être détruite. A partir de 1918, les Alliés ne regardent l’Autriche-Hongrie que sous l’angle des peuples qui la composent, et financent des « gouvernements » en exil qu’ils mettront en place au lendemain de la guerre
 
Après la chute du trône, Charles Ier fait deux tentatives de coup d’Etat pour retrouver sa couronne. En 1921, en Hongrie, le projet s’appuie même sur des troupes. Pouvait-il espérer réussir ?

Oui, il l’aurait pu, et les vainqueurs auraient pu accepter une restauration. Des négociations secrètes avaient eu lieu avec Briand, qui aurait promis de donner son accord si le coup d’Etat réussissait, mais avait prévenu qu’il désavouerait Charles en cas d’échec. Finalement, la tentative fit long feu.
 
Cette destruction de l’empire des Habsbourg déstabilisa durablement l’Europe centrale – on le vit bien lors de la deuxième guerre mondiale. Aujourd’hui, que reste-t-il de l’Autriche-Hongrie dans l’imaginaire et la mentalité des peuples qui composaient l’ancien empire ? Ont-ils totalement évacué cette partie de leur histoire ?

Non, des affinités culturelles et historiques demeurent et servent de « passerelles » entre eux. Une conscience commune existe. Avec l’empire des Habsbourg, on a détruit un équilibre régional qui n’a jamais été reconstruit : la Yougoslavie, par exemple, Etat artificiel, a implosé, et cette implosion a engendré les guerres qu’on y a connu. Les peuples des Habsbourg se retrouvent aujourd’hui au sein de l’Union européenne, mais cette Europe technocratique n’a pas d’âme. Rien n’a donc pas remplacé la monarchie austro-hongroise en Europe centrale.
 

Jean Sévillia, Le Dernier Empereur – Charles d’Autriche 1887-1922, Perrin, 360 pages, 21,80 €.
A commander aux 4 Vérités (+5.50 € de port):
18-24, quai de la Marne 75164 Paris cedex 19

Association pour la béatification de l’impératrice Zita, Abbaye St-Pierre, 1 place Dom Guéranger F – 72300 Solesmes. Cotisation annuelle : 20 € pour les membres ordinaires, à partir de 50 € pour les membres bienfaiteurs
http://www.beatification-imperatrice-zita.org

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Comments (1)

  • SAS Répondre

    Mr JEAN SEVILLA , très bon auteur et fort documenté……

    en revanche, interpelé in vivo et had hominem…..lors de sont passage aux antilles (POLITIQUEMENT CORRECT)…..j ai eu l occasion de l interpeler sur la présence et la nuisance de la franc maçonnerie dans nos chaînes de commandement ripoublicain…..et particulièrement en martinique….

     

    ca n avait pas eu le loisir de retenir son attention…..donc conclusion simple : idiot ou initié….

    J opte assurément pour le 2 eme qualificatif.

    Je le salue tout de même et le remercie pour ses embryons de vérités….

    sas

    10 octobre 2009 à 14 h 14 min

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