La Révolution vue par ses contemporains

La Révolution vue par ses contemporains

La France abimée Xavier MartinJ‘ai déjà eu l’occasion de dire dans ces colonnes (n° 654 "Régénérer l’espèce humaine, de Xavier Martin") toute l’admiration que je portais au travail du Professeur Xavier Martin. Cet historien des idées politiques, spécialiste de la pensée politique de la Révolution, est en retraite de l’enseignement… mais non de la recherche, puisqu’il publie imperturbablement – chez l’excellent éditeur Dominique Martin Martin – un nouvel ouvrage tous les deux ou trois ans. Et chacun de ces ouvrages est une merveille !

Le dernier ne fait pas exception. Xavier Martin a eu l’idée (qui, à ma connaissance, n’a aucun précédent) d’étudier dans la littérature, les déclarations des hommes politiques et les articles des journaux, l’image que les contemporains avaient eue de la Révolution.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le résultat est édifiant. Il tient tout entier dans le titre de ce dernier ouvrage : « La France abîmée ». Pour l’immense majorité des contemporains en effet, la Révolution a été perçue comme un déclin.

De toute évidence, Xavier Martin ne fait pas partie des zélateurs des « grands ancêtres » (pendant que nous en sommes à sonder les reins et les cœurs, je puis bien avouer que moi non plus !). Mais c’est un universitaire scrupuleux. L’objet de son ouvrage n’est pas de « mesurer » ce déclin, réel ou supposé. L’auteur s’est fixé un but beaucoup plus limité, mais aussi beaucoup plus original et intéressant : montrer que les contemporains ont, quant à eux, éprouvé ce sentiment de déclin.

Et, naturellement, ce qui est le plus intéressant dans cette enquête, c’est que ce sentiment de déclin de la France n’a pas été éprouvé seulement par les contre-révolutionnaires, mais aussi par les républicains.

Ce déclin n’est pas tant, dans les esprits, un déclin militaire, politique ou économique, qu’un déclin de la civilisation. On connaît le mot célèbre de Talleyrand : « Qui n’a pas connu l’ancien régime n’a pas connu la douceur de vivre. » Mais on pourrait imaginer que le vieil aristocrate perce encore sous l’évêque constitutionnel, soutien de tous les régimes de 1789 à la Restauration ! En réalité, ce point de vue est très largement partagé. C’est ainsi que le républicain La Révellière-Lépeaux, demeuré républicain même sous Bonaparte, regrette « l’heureux état intermédiaire où l’ancienne gaieté française, sans son ivrognerie et sa grossièreté, régnait encore » (que dirait-il, le malheureux des amusements de ses lointains descendants !…), ou encore le temps où l’on observait partout « le ton d’une bonne éducation avec la simplicité de la campagne » (cité p. 96).

Le grand libéral Benjamin Constant, aussi peu fidèle aux Bourbons que possible, a quant à lui défendu la monarchie capétienne en ces termes : « La monarchie française était le type d’une monarchie modérée par les mœurs et par l’opinion. » (cité p. 97)
Et Mme de Staël, fille de Necker et maîtresse de Constant, elle non plus guère dévote de l’absolutisme, ajoute en écho : « Ce qui m’est odieux dans la Révolution française, c’est le chaos dans lequel elle jette tous les sentiments et toutes les idées. Je ne sais plus où est le vrai, le beau, le juste. » (cité p. 210)

Malicieusement, Xavier Martin rappelle les mots fameux de Montesquieu : « La liberté ne peut consister qu’à pouvoir faire ce que l’on doit vouloir. » Et les met en regard de ceux-ci, moins connus, de Camille Desmoulins : « Nous avons pu chercher à persuader au peuple qu’il avait voulu être libre. » (cité p. 103-104).
Est-il besoin d’ajouter que les contemporains n’ont pas tous apprécié d’être forcés à être libres… D’où ce que rapporte un témoin allemand de la Terreur : « On ne voulait point incommoder le peuple par la vue de ses dirigeants » (cité p. 104) ! Ces échos assourdis de la Révolution, rapportés par des auteurs petits ou grands, sont assez impressionnants et constituent effectivement un dossier cohérent.

La Révolution a sans doute marqué un réel déclin de la civilisation française, en coupant cette dernière de ses sources gréco-latines (quand bien même les révolutionnaires se prenaient pour les descendants de Sparte ou de Rome !) et judéo-chrétiennes. Mais le Professeur Martin, quant à lui, est heureusement épargné par cette rupture de civilisation. Il écrit toujours aussi plaisamment et cite avec une déconcertante facilité les classiques du XVIIIe et du XIXe. Encore un ouvrage à lire, à relire et à faire lire !

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Comments (2)

  • Anonyme Répondre

    En attendant de lire "La France abîmée", je me permets de citer les réflexions suivantes, touchant à notre devise républicaine, issues du blog  : http://claudec-libre-pensee.blogspot.com/

    De la Liberté
    « Une expérience journalière fait reconnaître que les français vont instinctivement au pouvoir; ils n’aiment point la liberté ; l’égalité seule est leur idole » Chateaubriand

    Pour autant qu’elle ne relève pas du rêve, la Liberté se définit par les limites que la loi lui octroie ou que chacun voit assignées à la sienne par celle des autres. Loin d’être cet idéal d’indépendance que chacun vivrait à sa guise, le Liberté a un caractère faisant hautement référence à la vie collective et réclame de ce fait une attention toute particulière, eu égard aux revendications de plus en plus inopportunément formulées par les uns et les autres à son sujet.

    La liberté consiste à faire à son propre gré ce qui ne nuit pas à autrui. Ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque individu ou groupe d’individus est subordonné à ce qui assure aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. C’est en cela qu’il n’est pas de liberté sans devoirs. La loi pouvant aider à fixer et codifier ces droits et ces devoirs, c’est elle qui arbitrera autant que de besoin.

    La liberté de chacun « finissant où commence celle des autres », elle peut être considérée non seulement comme une richesse mais comme un espace. Il est dès lors évident que plus le nombre de ceux qui partagent cette richesse-espace est grand, moins la part de chacun le sera. Sauf à concevoir bien entendu qu’elle soit extensible à l’infini. Or, de ce point de vue et en attendant la conquête pour tous de l’espace sidéral infini, l’humanité est confrontée à ses frontières matérielles ; celles de la planète sur laquelle elle vit, ou plus exactement aux limites dans lesquelles il lui est possible de vivre sur cette planète. Cet espace vital est en effet inexorablement grignoté, chaque jour davantage, par une inconscience aggravée par le nombre.

    Plutôt que de revendiquer toujours plus de ce qui se raréfie à chaque instant, c’est la révision de ses exigences en matière de Liberté qui s’impose à l’homme. Si par exemple la réduction des libertés des uns est due à une croissance démographique imputable à d’autres, comment faire pour empêcher ces autres d’empiéter sur l’espace de liberté des premiers ? Que ce soit possible par la contrainte ou par la raison, il s’agit bien de limiter les libertés individuelles de tous.

    Il s’agit là encore d’un partage, qui nécessite davantage de pragmatisme que de bonnes intentions.

    Ne peut-on voir dans une telle analyse une explication supplémentaire du fait que la codification d’un système de valeurs, qu’il s’agisse banalement de politesse, de bienséance, de cordialité ou plus généralement de tout ce qui touche à la considération due à autrui, en même temps qu’à l’égalité de tous devant la loi, ne se fonde pas impunément sur des considérations abstraites, idéalistes, voire idéologiques et dogmatiques, a fortiori lorsqu’elles naissent dans l’euphorie et l’utopie ? À croire que la raison, comme la vérité, finit toujours par sortir du puits.

    Peut-être sommes-nous tout simplement confrontés aux conséquences de « l’emploi de l’esprit aux dépens de l’ordre public […] une des plus grandes scélératesses […] de toutes la plus dangereuse, parce que le mal qu’elle produit s’étend et se promulgue par la peine […] infligée […] des siècles après lui ». (Duchesse de Choiseul au sujet de J.J. Rousseau). À noter qu’il s’agit ici de la liberté de penser qui, pour le meilleur et pour le pire, ne connaît pas d’autres limites que celles de la raison et que c’est lorsque cette raison est bafouée que l’autre liberté, la liberté d’être, est en danger.

    Entre dès lors en jeu la responsabilité, sans laquelle la liberté n’est plus qu’une vue des esprit les plus fumeux ou les plus malhonnêtes, elle n’est même plus un espace à partager ; elle est un mythe qu’entretient la démagogie et son compagnon le mensonge.

    De l’Égalité
    “La liberté et la fraternité sont des mots, tandis que l’égalité est une chose” (Henri Barbusse)

    Peut-être, s’il avait été plus pragmatique, Barbusse eût-il choisi d’évoquer l’inégalité plutôt que l’égalité. L’inégalité est en effet incontestablement plus naturelle et largement répandue que son contraire. Les pères de notre devise nationale et républicaine ont d’ailleurs pris la précaution de préciser qu’ils parlaient d’Égalité de droit, ce qui autorise à concevoir que sa traduction dans les faits soit sujette à bien des difficultés, sinon à l’inaccessible. L’égalité de fait n’est pas de ce monde, dans lequel aucune chose ne ressemble à une autre ; qui refuse tout nivellement. En conséquence, les plus intégristes sont contraints d’admettre, même s’ils se gardent de l’avouer, le caractère mythique de cette Égalité inscrite au fronton de nos monuments.

    Si bien des exemples illustrent ce caractère illusoire, auquel le législateur tente de pallier par ses textes, il peut être divertissant autant que significatif de considérer à ce titre la différence d’usage que les monarchistes anglo-saxons et les républicains français font du vouvoiement et du tutoiement, signe d’égalité entre tous aux yeux de ces derniers. Cet exemple donne la mesure des dérives auxquelles conduit l’enthousiasme, fut-il républicain, lorsqu’il érige en valeurs ses utopies.
    Les anglophones usant systématiquement du vous, les francophones héritiers de la Révolution emploient le vouvoiement et le tutoiement selon des règles révélatrices d’une certaines dérive de leurs valeurs de référence.

    De la Fraternité
    Des trois termes de notre devise nationale, la Fraternité est peut-être le plus précaire. En effet, si la Liberté et l’égalité – devant la loi – se peuvent décréter, nul ne peut contraindre qui que ce soit à une fraternité à laquelle celui ou ceux à qui elle s’adresse peuvent au demeurant être indifférents.

    Paradoxalement, la fraternité est un sentiment qui ne peut être que personnel. Passe encore pour la solidarité, pour l’exercice de laquelle la collectivité peut se substituer aux individus pour en faire preuve en leur nom et à leurs frais. Proclamer valeur républicaine et universelle la fraternité fut et demeure un vœu bien peu laïque, directement influencé par un évangélisme prêchant l’amour du prochain. La diversité des individus supposés en faire preuve et l’obligation d’égoïsme que la nature fait à chacun de donner priorité à ses propres intérêts sur ceux de son prochain dictent une toute autre loi ; même les plus philanthropes doivent en convenir lorsqu’ils ont à lutter contre.

    Quoi qu’il en soit, le fait qu’elle ne puisse être que consentie à titre strictement personnel distingue, voire isole, en quelque sorte la Fraternité des deux autres valeurs proclamées que sont la Liberté et l’Égalité. Éminemment individualiste, elle peut être refusée par certains, sans ôter quoique ce soit à celle pratiquée par d’autres – et vice versa – et peut-être est-ce pour cette raison que le principe de solidarité tend à se substituer à une fraternité qui est tout autre chose. Curieux que la question soit aussi peu débattue dans les sphères politico-intellectuelles.

    27 novembre 2009 à 11 h 57 min
  • Philippe Landeux Répondre

    Juste un petit rappel :
    1) à la veille de la Révolution, la France est au bord de la banqueroute, d’où la convocation des Etats Généraux.
    2) la Révolution a tellement fait décliner la France qu’elle rayonne encore à travers le monde de la gloire qu’elle a acquise alors (sans nier la gloire qu’elle a aussi hérité de la monarchie).
    Les gens de droite ont la fâcheuse tendance à voir dans les gauchistes les héritiers de la Révolution, puisqu’eux-mêmes se prennent pour tels sans toutefois revendiquer les révolutionnaires. Grave erreur ! Nos gauchistes n’ont effectivement rien de commun avec ceux qui ont défendu la patrie en danger et vaincu l’Europe. Ils ne retiennent de la Révolution qu’un universalisme insipide et occultent le patriotisme ardent, qui a pour eux des relents de fascisme. Que le gauchisme soit la cause du déclin de la France, c’est à n’en pas douter. Mais que les gauchistes servent de prétexte à ceux qui, pour X raisons, n’aiment pas la Révolution, pour ternir son image, c’est ridicule. Les républicains de gauche, patriotes jusqu’au slip, partisans de la discipline, de l’autorité, de l’ordre, de la souveraineté du Peuple, de l’indépendance nationale, de la décentralisation (la centralisation avait été initiée par la monarchie, mais la France en guerre fut obligée d’y revenir, non par doctrine, mais par la force des choses), du libéralisme civilisé, les véritables héritiers de la Révolution, les admirateurs des vrais révolutionnaires, ne sont en rien des gauchistes et ont bien plus de points communs avec ceux qui bavent en permanence sur la Révolution que ces derniers ne le croient. La Révolution, quand on la connait bien, n’inspire pas le gauchisme, mais le patriotisme, pas le laxisme, mais la fermeté, pas la résignation, mais l’énergie, pas la faim de droits, mais le sens du devoir, etc. Taper sur la Révolution et les révolutionnaires au lieu de les enseigner correctement est donc contre-productif de la part de ceux qui, finalement, déplorent la perte des valeurs que, précisément, ils illustrent.

    27 novembre 2009 à 10 h 25 min

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