Le suicide judiciaire d’Alain Juppé atteint Jacques Chirac

Le suicide judiciaire d’Alain Juppé atteint Jacques Chirac

Alain Juppé a laissé ses amis politiques vitupérer contre une décision de justice, et, par là même, mené une surprenante campagne contre le principe même de l’indépendance des magistrats. Quand, vendredi dernier 30 janvier, est tombé, à 14 h 20, dans la salle d’audience du tribunal correctionnel de Nanterre, le jugement le condamnant à mort politiquement, il aurait mieux fait de s’en prendre aux vrais responsables, c’est-à-dire, outre lui-même, son avocat et aussi son père en politique, un certain Jacques Chirac.

Car un accusé, quel qu’il soit, jusqu’au dernier moment de l’audience publique, conserve la liberté de choisir, au moins, les moyens de sa défense. Et Alain Juppé, dans cette affaire, a été très mal conseillé par l’avocat personnel de Jacques Chirac, Maître Francis Szpiner, sur l’instigation duquel, jusqu’au bout, il a pris le parti de nier les faits, pourtant évidents et d’ailleurs reconnus comme tels par plusieurs de ses adjoints. À savoir que, jusqu’en 1995, date de la première élection à la présidence de la République de Jacques Chirac, la Mairie de Paris a bel et bien été utilisée non seulement comme un quartier général permanent de campagne mais également comme une vache à lait.

Tout le monde, y compris les trois magistrats du tribunal de Nanterre, sait bien que les sept emplois fictifs reprochés à l’ancien adjoint aux finances de la Mairie de Paris, pris en charge par la ville de Paris et aussitôt mis à la disposition du parti, ne constituent qu’une goutte d’eau dans un océan de turpitudes.

Bien sûr, comme l’avait fait en son temps son adversaire politique Henri Emmanuelli dans l’affaire Urba, il était possible à Alain Juppé de plaider de larges circonstances atténuantes. Il n’était qu’un maillon d’une chaîne… Les mauvaises habitudes étaient anciennes (1977, date de la première élection de Jacques Chirac à la Mairie de Paris)… Les lois sur le financement des formations politiques étaient récentes (à partir de 1988)… La loi criminalisant la prise illégale d’intérêt des hommes politiques n’a été votée, sous le gouvernement

d’Édouard Balladur, qu’en 1995…

Si telle avait été sa ligne de conduite, il aurait pu obtenir l’indulgence du tribunal, sous la forme d’une condamnation ferme mais limitée dans le temps, peut-être même assortie d’un sursis, et sans inscription sur son casier judiciaire de toute inéligibilité.

Chirac n’est plus le garant de l’indépendance des magistrats

Au lieu de quoi, il a non seulement nié l’évidence, méprisé le tribunal (en lui demandant la permission de ne pas assister à la première semaine des débats), mais encore il a lui-même cru devoir donner à son affaire le maximum de résonnance en annonçant, comme une menace, qu’un jugement sévère pour lui l’amènerait à quitter la vie politique. C’était un défi absurde et inutile que des juges normalement indépendants ne pouvaient pas ne pas relever.

Il est à la fois tragique et comique de voir un homme dont tous ses « amis » vont répétant qu’il est de la trempe des grands chefs d’État commettre une telle erreur de jugement. D’autant que personne ne conteste par ailleurs sa rapidité intellectuelle. Quand il était à l’ENA, sortant de la prestigieuse École Normale Supérieure, il était même surnommé Amstrad, du nom d’un ordinateur qui a eu son heure de gloire mais qui est aujourd’hui au cimetière de l’informatique. Comme lui, Alain Juppé fonctionne vite. Mais son logiciel psychologique et politique laisse souvent à désirer…

À sa décharge, il ne pouvait pas faire autrement que de protéger Jacques Chirac dont il était, au moment des faits, le subordonné, comme a tenu à le noter dans son jugement le tribunal de Nanterre. En disant qu’il ne savait pas, il pouvait aussi soutenir, a fortiori, que Jacques Chirac ne savait pas non plus. Mais, après le jugement du 30 janvier, qui l’accable pour avoir solennellement menti, c’est le chef de l’État lui-même qui se retrouve en première ligne.

Les juges du tribunal de Nanterre ont eu raison de rappeler dans leurs attendus qu’il était grave, pour un élu, de tromper la confiance du peuple souverain en se livrant à des actes condamnés par le Code pénal ou électoral, et plus encore de la part d’un élu issu des meilleures écoles de la République, ancien Premier Ministre…

Tous les partis politiques – à l’exception notable du Front national – ont été touchés c’est vrai par « les affaires » (termes pudiques pour désigner les crimes et délits commis par des élus). À gauche, à l’exception d’un dossier qui doit être plaidé à Bayonne au mois de mai, les procédures sont presque toutes purgées. Mais c’est loin d’être le cas du côté de l’UMP qui, dans les deux années qui viennent, aura au moins cinq autres procès à haut risque politique à affronter.

L’indépendance des juges du tribunal de Nanterre peut constituer un exemple pour beaucoup d’autres. Il n’est pas sûr qu’en poussant ses amis à dénoncer la soi-disant partialité des juges, Jacques Chirac ait fait le bon choix…

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Comments (20)

  • Gino Répondre

    Merci de cet article si instructif. Donc résultat des courses : OUT ! L’artiste “indispensable au pays” est viré par la petite porte. Pour la petite histoire, je me demande de quoi Juppé se plaint. Il y a quelques mois, en pleine période de négociations sur le sujet sensible des retraites, il annonçait -comme pour mieux narguer le Français moyen- qu’il allait prendre sa retraite, ceci 10 ans avant les autres. Et puis, remarquons au passage, que dans d’autres pays qui tendent à une véritable démocratie, la sortie se serait faite de toutes façons en dehors de toute décision de justice. Ce pays doit être le champion des cumuls de mandats, à la fois dans la durée et sur le nombre de sièges que l’on peut occuper en même temps. Ceci finit par amener nos “ténors” politiques à se considérer absolument irremplaçables pour la bonne marche du pays … voire de l’humanité toute entière.

    14 février 2004 à 8 h 31 min
  • Solit23 Répondre

    Tout a été dit par les journalistes, les lecteurs à leurs journaux et même sur Internet, sur le cas Juppé. Le drame, est que cette désastreuse affaire est venue en même temps que la discussion sur le voile islamique et que les deux affaires réunies ont donné au monde entier un spectacle de la France qu’il vaut mieux ne pas qualifier. On a de plus en plus l’impression que notre pays est de plus en plus “déboussoulé” et qu’il n’a plus en lui-même les moyens de se redresser moralement et aussi financièrement car là également la situation est plus que désastreuse. On finit sans doute par se rendre compte qu’après tout nos dirigeants sont aussi des français et que comme leurs administrés, ils ont “perdu les pédales” et qu’inversement “les peuples ont les gouvernements qu’ils méritent”. Le Génie de la France est mort. Mais la critique est aisée et il paraît plus difficile de trouver une solution. Vous les journalistes, habitués à la plume êtes les seuls à pouvoir éventuellement réagir. Il suffirait que vous vous fixiez un idéal et que vous le suiviez dans vos écrits et dans vos déclarations sans vous préoccuper des critiques et des pièges des adversaires que vous ne manquerez pas de rencontrer. Je sais que cela est loin d’être aisé.

    11 février 2004 à 14 h 09 min
  • Tisserand Répondre

    votre exposé est à la portée de tous et oblige à une profonde réflexion pour les votes prochains. De toute façon le vote du 21 avril a été faussé par une stratégie de malhonnêteté politicienne sur l’opinion publique, avec ” l’insécurité” durant les 6 mois qui ont précédé l’échéance. A chacun sa manière et ses mots pour dire qu’il faut mettre un terme à la braderie de la France. Tout appareil politique est organisé et dirigé par des Personnages élus, qui ont revendiqué la confiance popularis, donc ils sont responsable de leurs actes au nom de la “responsabilité” prise contre rénumération autre que RMI ou RMA … Dans le cas de M. Juppé, je partage avec beaucoup de Concitoyens, cet abus d’influence d’opinion par les allocutions d’un 1er Ministre, puis du Président de la République lorsqu’ils disent: < la France a besoin de M. Juppé, c'est un homme exceptionnel, un homme honnête ...>. Pour moi toute personne qui se trouve mêlée à une affaire politico judiciaire, qui fréquente le prétoire se doit d’accepter la sanction, d’autant qu’auparavant il s’agit d’une loi votée par lui même en quelque sorte. Comment peut-on faire croire aux Français qu’il suffit d’inventer une gomme magique appelée UMP qui efface un parti trouble RPR, au nom d’une nouvelle virginité. Les mystères de l’Hôtel de ville de Paris seront-ils un jour percés?. Bon courage à tous soyons vigilants et sanctionnons par notre prochain vote en notre âme et conscience.

    10 février 2004 à 21 h 58 min
  • lagorre Répondre

    Nos chefs, pourtant élus selon une procédure démocratique, manquent de légitimité. Qui s’en étonnera? Les partis sur lesquels ils s’appuient pour accéder au pouvoir devraient ne recevoir que des fonds privés. C’est dailleurs le reproche qu’on leur fait de détourner des fonds publics. Les partis ne sont pas la République, ils ne doivent pas se financer avec l’argent de celle-ci. Mais les Francais s’engagent peu dans la vie publique et a fortiori y consacrent peu de leur argent. Or les partis n’ont pas d’autre objet que de représenter les tendances de la société. Les partis, intermédiaires entre la société et l’appareil d’Etat, sont devenus des occupants sans titre de la République qui cherchent auprès des Francais une justification imméritée. Tous ces crapaudages engluent les chefs dans les féodalismes, si bien qu’ils ne peuvent plus s’en détacher pour représenter,une fois élus, la Nation.

    9 février 2004 à 14 h 52 min
  • nico Répondre

    tout simplement consternant pour ne pas dire gerb… Démocratie??????????????? on peu se demander si ce mot a encore un sens COURAGE A TOUS

    8 février 2004 à 21 h 52 min
  • Franco Fisch Répondre

    Vive la France!!!! Liberté? Egalité? Fraternité evtl. Ou sommes nous? En Europe-dans un ballon peut-ètre dans une bulle de savon voir UMP (U nion M orale P résidentielle)!!! Il faut chanter la Mayonaise pour figurer au hit-parade!!!

    8 février 2004 à 18 h 49 min
  • Pierre Répondre

    Bravo, pour votre article. Jacques Chirac est bel et bien le maitre d’oeuvre de ses affaires, comme il est aussi celui qui dessert systematiquement les interets de nos compatriotes. La gestion du gouvernement Raffarin-Sarkosy est proprement catastrophique et ce sur tous les plans… Il est de salut public que Jacques Chirac et ses porteurs de valises qui ont les mains sales (et veulent se soustraire aux lois) s’en aillent… Amities

    8 février 2004 à 12 h 08 min
  • Bernard Glaser Répondre

    You do the crime, you do the time!

    8 février 2004 à 9 h 53 min
  • TOTEM Répondre

    QUELLE EST LA DIFFERENCE ENTRE UN HOMME POLITIQUE ET UN HOMME D ETAT? LE PREMIER CHERCHE A ETRE REELU A TOUT PRIX C EST LE CAS DE JUPPE QUI CHERCHE A S ACCROCHER LAMENTABLEMENT AU POUVOIR, ALORS QU IL S EST SUICIDE POLITIQUEMENT; L’HOMME D ETAT, OEUVRE POUR L AVENIR DES GENERATIONS FUTURES, ET POUR L ‘INTERET COLLECTIF. MERCI POUR L ARTICLE D ALAIN DUMAIT

    8 février 2004 à 9 h 33 min
  • chriskor Répondre

    je trouve ce texte très pertinent, mais personne d’autre, dans nos “grands” médias n’ose aller si loin, malheureusement. pour ce qui est de “l’affaire”, en soi, cette condamnation est une bonne chose; pour autant, on remarquera que Juppé méprise toujours autant ce qui ne lui est pas favorable. Pour autant, malgré cela, on a toujours pas atteint la cible; pourquoi croyez-vous qu’il soit quasi certain que Jacques Chirac se représente aux éléctions présidentielles? Son fauteuil de président est la seule chose qui le sépare encore des tribunaux. J’ose ésperer que le “peuple” français saura déceler tout cela, sans même parler de partis politiques.

    8 février 2004 à 9 h 17 min
  • Sabatige Répondre

    Monsieur Juppé est brillant, il a fait l’ENA. Mais, il a 58 ans, qu’a t’il fait depuis? Je constate que de la médiocrité, surtout en tant que Premier Ministre. Et il vient une nouvelle fois de le montrer avec son affaire.

    8 février 2004 à 3 h 58 min
  • claude Morton Répondre

    Dire” que seul le FN est à l’ écart de ce gzenre d’ affaires” c’ est méconna^tre la gestion de l’ ancien séide de JMLP Maigret, ou encore les dénis de démocratie de l’ incertain Chevallier . Avez-vous la mémoire courte ou sélective? Pour avoir une ” chance” de figurer au hit-parade des ” affaires” encore faut-il, précisément arriver aux affaires.

    8 février 2004 à 0 h 35 min
  • J.P.A. Répondre

    Je tiens tout d’abord à faire part de mon incompréhension à l’importance accordée à la condamnation de M. Juppé. Lorsque l’on triche, on récolte ce que l’on mérite! J’ai voulu par curiosité regarder ce qu’était capable de répondre M. Juppé pour sa défense.J’avoue qu’il a failli me faire pleurer lorsqu’il n’a pas voulu s’apitoyer sur son sort par égard aux “pauvres” de notre pays. Qui les “fabrique” ces pauvres si ce ne sont des politiques comme lui ? Inspecteur des finances de formation, n’est-ce pas lui qui en 1995 a fait voter des lois de finances pénalisant les économies des “petites gens” ? Sa suffisance n’ayant d’égal que son mépris envers les élus, celui-ci s’est bien gardé de répondre au journaliste d’une chaîne de télévision qui voulait l’interviewer avant la réforme des retraites.(lui, qui a bien sûr pris la sienne, malgré le cumul de ses mandats)Il en fut du reste de même ce jour là pour M. Barrot dont la franchise n’est pas non plus le fort et pour M. Fabius. Je pense que les politiques n’ont pas encore compris le message de l’électorat français à leur encontre lors des dernières présidentielles.

    7 février 2004 à 22 h 58 min
  • largentier jean Répondre

    Parfaitement bien ecrire comme parfaitement juste les “sacrifices” de la bande de 3 : Chirac+Juppé+Raffarin et ses lieutenants “cire bottes” : Sarko, Douste,….Bravo encore mille fois et on se demande : Quand Chirac démissonne au moins pour les vraies valeurs : Honnete, Respondabilité,Dignité…

    7 février 2004 à 22 h 12 min
  • fred Répondre

    ce qui me frappe le plus, c’est que mr juppé s’est “déjugé” lui-même en adoptant le mardi une attitude aux antipodes de celle qu’il s’était fixée le jeudi précédent. Quelle confiance accorder à un homme politique qui se renie aussi vite et sur un sujet qui ne regarde que lui (que sera-ce quand il aura à affronter les manifestations, les syndicats, la conjoncture..,= Il est peut-être rapide, mais il est NUL

    7 février 2004 à 21 h 51 min
  • jean claude meyer Répondre

    Vive la censure ; vous êtes des chefs.êtes vous adeptes de la lcr.

    7 février 2004 à 21 h 33 min
  • jean claude meyer Répondre

    Un homme d’état se doit-il d’être courageux ou lache? Faut-il sauver sa peau à tout prix? La fidelité a t’elle une valeur ? Balancer , ou penser aux intérets superieurs de la Nation ? Est- ce à Al

    7 février 2004 à 21 h 30 min
  • Raymond Tagnard Répondre

    On ne manquera pas évidemment de souligner que JMLP a été condamné pour avoir défié vigoureusement une élue… Mais il serait bon d’avoir une information objective pour comprendre que l’élue en question est venue provoquer le conflit… Que ne ferait-on pas pour tuer “la Bête”. >Tous les partis politiques – à l’exception notable du

    7 février 2004 à 21 h 28 min
  • R.Ed. Répondre

    Un élu prend 18 mois de taule! Il plastronne et continue à recevoir ses émoluments que lui verse le bon peuple !Un petit truand comparait en flagrand délit: il prend 3 mois !Il fait appel, et vous croyez qu’il sort (de prison)? Non,il attendra sagement en prison sa nouvelle comparution ! Deux poids ,deux mesures ! Cf. les fables de La Fontaine ! Coluche aurait peut-être dit ” Et vous trouvez ça drôle ?

    7 février 2004 à 21 h 01 min
  • Serge Capdessus Répondre

    Bravo et merci pour ce texte vif et pertinent Serge Capdessus

    7 février 2004 à 19 h 51 min

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