Le basculement de la Turquie

Le basculement de la Turquie

J’ai été, voici quelques années, favorable à l’entrée de la Turquie dans l’Europe. J’y voyais un moyen d’interrompre l’intégration européenne telle qu’elle s’opérait et un moyen d’arrimer ce pays au monde occidental. Je pensais qu’un basculement de la Turquie vers l’islam radical serait un cataclysme géopolitique majeur.

Nous sommes aujourd’hui à un moment très différent. L’intégra­tion européenne s’est poursuivie et le continent est dans l’état de confiscation des démocraties que l’on sait. La Turquie n’a pas été arrimée au monde occidental. Elle a basculé dans l’islam radical. Le cataclysme se produit sous nos yeux.

Avec le basculement de la Turquie, c’est le pays qui a la plus importante armée de l’Otan après les États-Unis, qui est désormais allié des ennemis du monde occidental. C’est une continuité islamique allant du Pakistan à l’Europe qui prend place. C’est un axe qui se dessine et qui permet à l’Iran de renforcer, au-delà de la Syrie de Bachar el Assad, son ancrage dans le monde sunnite. C’est une puissance économique dynamique qui change de camp, et une puissance qui, de surcroît, peut, au sein de l’Europe, s’appuyer sur une communauté importante dans la principale puissance de l’Union européenne, l’Allemagne où, en raison des changements démographiques en cours, la population musulmane d’origine turque est en train d’acquérir un poids massif. C’est un réordonnancement du monde musulman lui-même qui peut se profiler, puisque la Turquie a été, au temps de l’empire ottoman, et jusqu’en 1924, le siège du califat, dont la plupart des islamistes ont la nostalgie.

Les conséquences à moyen terme ne peuvent être pleinement mesurées encore. Elles s’inscrivent dans une phase de recomposition planétaire voulue et acceptée par l’administration Obama, pour laquelle un monde plus stable devrait être un monde régi par un cartel de régimes autoritaires. Dans le cadre de cette stabilité envisagée, les États-Unis seraient affaiblis et dépendants, l’Europe asservie et soumise, l’ordre international assuré par l’intermédiaire des Nations Unies.

Le déclin du monde libre

Ce qui serait menacé rapidement, ce serait la liberté d’entreprendre, la liberté de culte et la liberté de parole. Surviendrait probablement ensuite une série de guerres et de turbulences, car les régimes prédominants dans le cartel seraient porteurs de visées de domination conflictuelles.

Le monde qu’on appelait il n’y a pas si longtemps le monde libre a connu une puissance hégémonique, les États-Unis. Cette puissance a vaincu le nazisme, le fascisme et le communisme. Elle a connu des phases de retrait qui ont correspondu à des moments de violence et de désordre sur la terre. On peut espérer encore que nous soyons, simplement, dans une phase de retrait au-delà de laquelle la puissance américaine se ressaisira, mais les dégâts sont d’ores et déjà préoccupants. S’il devait s’agir de davantage qu’une phase de retrait, nous pourrions entrer dans des temps chaotiques et barbares.

Nombre d’ennemis de la liberté, de myopes, de borgnes et d’aveugles en Europe se réjouissent du retrait américain, sans paraître voir ce qui pourrait en résulter. Les antisémites avoués ou cachés derrière le masque de l’antisionisme salivent en songeant qu’Israël se trouve ainsi menacé, sans discerner qu’au travers d’Israël, c’est bien davantage qu’Israël qui est en jeu.

Tôt ou tard, sur les décombres, la civilisation renaîtrait, certes mais après une période effroyable et tragique.

J’espère encore que le pire sera évité. Mais j’ai cessé d’attendre quoi que ce soit de l’Europe : c’est une région du monde où ni politiciens ni intellectuels n’ont, à de rares exceptions près, appris quoi que ce soit de leurs erreurs et errements passés, on ne cesse de le voir. Je veux penser que les États-Unis se redresseront, que l’erreur grave commise en 2008 sera rectifiée, et que les années Obama appartiendront vite au passé.

Comme l’a écrit un grand essayiste américain, Mark Steyn : l’Europe a pu connaître une agonie relativement paisible parce qu’il y avait la puissance américaine, l’agonie des États-Unis serait moins paisible, car personne ne jouerait pour eux le rôle qu’ils ont joué pendant l’agonie de l’Europe…

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