Juvénal, Rome et le déclin éternel de l’occident

Juvénal, Rome et le déclin éternel de l’occident

Va, insensé, Hannibal, cours à travers les Alpes escarpées, pour finalement amuser des écoliers et devenir un sujet de déclamation.

Rien ne change depuis des milliers d’années ; nous pouvons penser le plus grand mal de notre époque ou de nos dirigeants, mais nos ancêtres pessimistes faisaient de même. Je pense à Juvénal, le grand poète romain dont je relis les satires (*) comme pour me consoler de l’actualité terrible de cette année de Somalie, du tsunami, de DSK, des émeutes de Londres ou de la chute des bourses, de la fin de l’euro, et de ce qui nous attend après.

Nous sommes devenus incapables de venir à bout de Kadhafi ou de trois voyous de banlieue ? Juvénal écrit dès sa première satire, la très acérée remarque :

Aujourd’hui nous souffrons des maux d’une longue paix, plus cruelle que les armes ; la luxure nous a assaillis pour la revanche de l’univers vaincu. Aucun crime ne nous manque, aucun des forfaits qu’engendre la débauche, depuis que la pauvreté romaine a péri.

Se plaint-on du pouvoir de l’argent ou de la montée de l’or ? Juvénal écrit que :

Le premier, l’or obscène a importé chez nous les mœurs étrangères ; avec son luxe honteux, la richesse, mère des vices, a brisé les traditions séculaires.

Parle-ton (encore) de sexe ou de libération des mœurs ? Le poète satiriste explique que « lorsque l’amant fait défaut, on livre assaut aux esclaves ; faute d’esclaves, on appelle un porteur d’eau ; si enfin il n’y a pas moyen de trouver d’homme, on n’attendra pas davantage, on se couchera sous un âne ».

Regrette-t-on l’avortement ? Juvénal rappelle «  le moment même où Julie nettoyait d’une foule d’avortons sa féconde matrice et se délivrait de fœtus qui ressemblaient à son oncle. »

L’incrédulité se développe à son époque ; et ceux qui critiquent Harry Potter et son influence sur les (anciennes) têtes blondes de Londres ou d’ailleurs feront bien de lire ces lignes :

Existe-t-il des mânes, un royaume souterrain, une gaffe de nautonier, un Styx avec des grenouilles noires dans son gouffre, et une barque unique pour faire passer le fleuve à des milliers d’ombres ? Même les enfants ne le croient plus, sauf ceux qui n’ont pas encore l’âge de payer aux bains.

Nous plaignons-nous de la domination des « manipulateurs de symboles », des médiatiques et des diététiciens et des bateleurs d’estrade ? Notre poète écrit :

Dis-moi ce que c’est qu’un Grec ? Tout ce qu’on veut : grammairien, rhéteur, géomètre, peintre, masseur, augure, danseur de cordes, médecin, magicien, que ne fera point un grec famélique ?

Plus fort que Tapie ! Sur l’immobilier, les embouteillages, la mauvaise alimentation et bien sûr l’insécurité, Juvénal a réponse à tout…

« On meurt d’insomnie, ici ; on est malade de mauvaises digestions qui entretiennent des fermentations dans l’estomac. Où louer un appartement où l’on puisse fermer l’œil ? Il faut une fortune pour dormir dans notre ville. Voilà ce qui nous tue. Le passage embarrassé des voitures dans les rues étroites, le désordre bruyant du troupeau, ôteraient le sommeil à Drusus lui-même… Ou bien un chenapan te surprend de son couteau… Pendant que nos gardes font la police dans les marais Pontins et dans les bois, les brigands accourent au pillage de Rome.

Sur l’étatisme, la fiscalité, les contrôles tous azimuts, notre génie caricaturiste se défoule ainsi :

Qui oserait vendre ou acheter ce poisson, quand tant de délateurs surveillent les côtes ? Il y a partout des inspecteurs qui chercheraient noise au pauvre pêcheur ; ils affirmeraient que le poisson a été élevé dans les viviers de César, qu’il s’en est échappé et qu’il revient de droit à son premier possesseur.

Poétique enfin, écologique presque, Juvénal remarque aussi que « nous n’avons plus un arbre qui n’ait à payer une taxe au Trésor : il mendie, ce bois dont les muses ont été exilées. »

A nouveau révolté, Juvénal nous met en garde contre l’allongement de la durée de vie, qui va nous ruiner et dont les imbéciles font leurs choux gras :

" Donne-moi longue vie ; accorde-moi, Jupiter, de longues années. "C’est le vœu, le seul, qu’en bonne santé tu formes, ou malade. Or quelle suite d’affreux maux accablent une longue vieillesse ! Tout d’abord un visage déformé, laid et méconnaissable ; une vilaine peau au lieu de chair, des joues pendantes, des rides autour de la bouche comme sur la face d’une vieille guenon des épaisses forêts.

Enfin, Juvénal ne dit rien sur l’Europe de Bruxelles, alors qu’Horace nous met en garde contre le méchant vent Eurus (dont l’ablatif donne euro…). Mais il affirme « ne plus supporter, ô Quirites, une ville devenue… grecque. »

On comprend pourquoi on ne lit plus les classiques ! Ils vous feraient mal voter, encore !

Nicolas Bonnal

(*) Satires excellemment traduites, dans un français provocant et goûteux, par Henri Clouard.

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Comments (2)

  • Anonyme Répondre

    Bonnal Nicolas : "Nous sommes devenus incapables de venir à bout de Kadhafi ou de trois voyous de banlieue"
    –        Croyez vous "vraiment" que "nous sommes devenus incapables de venir a bout de Kadhafi"? Vraiment, je ne vous le souhaite pas.
    Et d’autre part, croyez vous vraiment que le danger vienne de "trois voyous de banlieue" quand les Etrangers sont deja tres nombreux dans les médias, dans l’Economie, dans l’industrie, dans les cabinets d’avocats, parmi les médecins et chirurgiens, parmi les Pilotes de ligne – ces salopards qui sont en partie responsables de l’immigration -, quand ils sont a tous les niveaux du commerce et des services, et qu’ils occupent des postes de pouvoir en France?
    Ouvrez simplement l’annuaire de votre ville!

    Mancney
     

    17 août 2011 à 1 h 54 min
  • Anonyme Répondre

    Remarquable rappel des textes anciens. Merci M. Bonnal. Tout n’est peut-être pas perdu. Ou tout aussi bien, quand on sait ce qui est arrivé à l’Empire Romain, on peut croire condamné l’Empire Occidental

     

    15 août 2011 à 17 h 54 min

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