Les grands écrivains et les assassins en série

Les grands écrivains et les assassins en série

La société actuelle, qui ignore le péché originel, se gorge de monstruosités diverses et de cannibales lecteurs ; mais si une once de violence sur le terrain se manifeste, elle s’offusque : et de s’interroger sur les raisons bien sûr politiques d’un massacre en série. Car tout électeur populiste est un assassin en masse qui s’ignore.

Sauf que pour le massacre de Nanterre, on ne parle ni de l’écologie ni de la ligue des droits de l’homme, et que lorsque des musulmans massacrent qui l’on veut où l’on veut, on s’empresse de déclarer savamment que ce n’était pas écrit expressément dans le Coran, et que l’islam bien sûr est une religion d’amour, de tolérance et de prêchi-prêcha, etc.

Les écrivains du XIXème siècle avaient, eux, les yeux bien ouverts sur l’humanité massifiée. Reprenons le grand classique sur l’envie de tuer : Crime et châtiment. Voici ce qu’écrit Dostoïevski de la tentation de Raskolnikov ; ce dernier entend d’ailleurs une conversation d’étudiants qui reproduit sa propre obsession. Cela signifie qu’il n’est pas une exception.

Je plaisantais, évidemment, mais écoute : d’un côté, cette vieille femme stupide, insensée, médiocre, malade, méchante, dont personne n’a besoin, et qui même au contraire est nuisible, qui ne sait pas elle-même pourquoi elle vit et qui bientôt mourra naturellement.

Le dégoût de son prochain est le fondement, dans la société déchristianisée, de cette volonté d’éliminer autrui : l’enfer c’est les autres, n’est-ce pas ?

Mais est-ce que la vie de cette misérable et stupide vieille phtisique compte dans la balance commune ? Pas plus que la vie d’un cafard, d’un pou et moins encore, car elle est nuisible. Elle empeste la vie des autres…

Sur la passivité des victimes modernes et de tous les temps d’ailleurs, Dostoïevski écrit fort à propos ces lignes :

Lisaveta est à ce point simple, à ce point habituée aux coups et aux brimades, qu’elle ne lève même pas la main pour se protéger le visage, quoique ce soit le geste le plus naturel à faire en cet instant où la hache est levée au-dessus de sa figure.

Comme on le sait, Dostoïevski a beaucoup influencé les Français. Il a inspiré Camus et son Étranger célèbre (qui tue un arabe armé à cause d’un coup de soleil, mais qui est jugé et guillotiné… sacrée France coloniale et raciste tout de même !), Sartre et son Erostrate, la troisième nouvelle de l’excellent recueil Le Mur (qui parle aussi de l’extrême droite dans l’Enfance d’un chef, mais plus intelligemment que Libération…). Erostrate, qui est bien sûr inspiré de l’incident de l’antiquité grecque, narre la geste d’un petit-bourgeois qui rêve de tuer, tue en effet un passant dans la rue, puis se dégonfle et se rend à la police, après avoir glissé son revolver par-dessous la porte des toilettes publiques… Il y a certes une dimension absurde et existentialiste dans tous les actes insensés qui se déroulent maintenant un peu partout dans nos sociétés de lemmings en conserve. Cela ne signifie pas qu’il faut brûler l’existentialisme ou l’absurde, cela signifie que Sartre et Camus avaient bien vu le problème.

Autre lecteur de Dostoïevski, Gide qui, dans ses célèbres et oubliées caves du Vatican (roman conspirationiste avant l’heure, qui parle des jésuites et des francs-maçons…), nous propose le cas désormais scolaire de l’assassinat gratuit commis par Lafcadio : ce dernier est toutefois exaspéré par sa victime, dont il affirme : iln’a pas l’air heureux. Il doit souffrir d’une fistule, ou de quelque affection cachée. L’aiderai-je! Il n’y parviendra pas tout seul…

Il se propose donc un challenge, comme tous les assassins hollywoodiens ou hitchcockiens : Un crime immotivé, continuait Lafcadio: quel embarras pour la police!A travers son jeune et blond héros, Gide célèbre le libre développement de la faculté créatrice, puis affirme comme tout bon soixante-huitard que de ces cadres sociaux qui nous enserrent, un adolescent a voulu s’échapper; un adolescent sympathique

Enfin (mais on pourrait écrire un livre sur le sujet), je citerai cette nouvelle de Roald Dahl (Crash, Charlie et la chocolaterie), qui fascinait Philippe Muray, où l’on voit des enfants normaux « inexplicablement » exterminer la population des adultes bobos d’un condominium de luxe. Dahl annonce assez bien ces assassinats de campus, fruits d’une éducation massifiée, des jeux vidéo, du confort matériel qui dégénère en angoisse existentielle. C’est l’ère du vide de Lipovetski, l’époque du cauchemar conditionné d’Henry Miller, mais dont on ne vient plus à bout que par le fusil-mitrailleur en vente libre.

Faut-il que ces messieurs Dostoïevski, Sartre ou Camus, Gide, Dahl soient islamophobes pour ne pas comprendre les réelles raisons d’un assassin de masse !

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Comments (4)

  • Daniel Répondre

    Iosa: 
    Belle série de bonnes observations.
    "Le crime immotivé n’existe pas….même par acte gratuit ou par nonchalance"
    Entièrement d’accord!.

    "…et un accident meurtrier n’est pas un crime, qu’il soit commis sous l’emprise de l’alcool ou des drogues, il demeure imprévisible."
    Oui même si le choix d’une drogue  est  déjà le choix de la mort, il s’agit de la sienne, et non de celle des autres.  

    "Par contre, laisser se déployer une soit disante "religion" dont le but est d’asservir le monde est un crime non dépourvu de motivations,
    "
    certainement même un savant calcul qui pètera à la figure de ceux qui y participent.

    "Société du Pardon où les plus "gros" ne sont pas assujettis aux mêmes lois que les plus humbles."
    Là, il faut remarquer qu’il ne s’agit pas de Pardon mais bien du livre froid "Code de Droit" qui se veut la référence de la relation obligatoire à l’autre. Il y est écrit en permanence l’inverse du Pardon: la sanction est sa raison d’être. Par ex sanction pour les dangereux criminels qui ont dépassé de 5 kmh la nouvelle vitesse "autorisée";   et la reconnaissance sociale et financière pour ceux qui depuis 40 ans créent une dette de 1700 milliards (chiffre fiable bien sûr puisqu’il est estimé par ceux qui ont créé cette dette) sur le dos de leurs concitoyens, et de leurs enfants… qu’ils aiment tant; ce serait comment s’ils ne les aimaient pas? .
    Il faut tout de même observer que ces gens se classent comme l’élite et qu’ils n’ont pas la capacité intellectuelle d’établir un lien entre leur "état" (devenu leur nature) raciste et les morts qui en découlent. Comme ils n’ont jamais pensé par eux mêmes, ils prennent la légalité pour de la moralité.   Ils n’ont donc pas choisi de tuer,  ils ont juste choisi de ne pas penser et ont délégué ce choix à des spécialistes du Droit qui vivent eux mêmes des désordres qu’ils créent dans la société.  Ce n’est pas un crime choisi. C’est un crime non choisi… mais particulièrement motivé.
     
    Le souci, c’est que si on ne devait punir, contenir ou retenir que les criminels conscients et ayant la notion de leur immonde bêtise, on ne punirait personne car pour prendre la dimension du crime, c’est la victime de l’injustice qui a la bonne mesure.
    N’oublions pas que le Pardon est une notion spirituelle individuelle qui n’est pas à la portée de ceux qui se satisfont du Droit comme référence de pensée!. Les 200 millions de morts, par voie légalisée, du siècle dernier n’a même pas ouvert une brèche dans les certitudes  des tenants du Droit. La leçon a très peu servi, et ils nous préparent à refaire l’expérience. 
    Le Droit reste en l’absence du Devoir  la référence des complexés.  Quel pouvoir personnel  peut acquérir un complexé sans l’aide du Droit?

    7 août 2011 à 0 h 50 min
  • IOSA Répondre

    Le crime immotivé n’existe pas….même par acte gratuit ou par nonchalance et un accident meurtrier n’est pas un crime, qu’il soit commis sous l’emprise de l’alcool ou des drogues, il demeure imprévisible.

    Par contre, laisser se déployer une soit disante "religion" dont le but est d’asservir le monde est un crime non dépourvu de motivations, car nul ne peut prétendre le Coran comme un livre saint alors même qu’il préconise le massacre en masse et la pédophilie comme moyens pour gagner le Paradis.

    Seule la notion d’irresponsabilité de ses actes subsiste et conduit au massacre en masse par l’absence quasi totale de "punition" adéquat.

    En fait, la merde vient de la suppression de la peine de mort en France et qui a conduit à une "nouvelle grille allégée" des punitions au détriment des valeurs morales qui régissent toutes les sociétés et qui sont malgré tout le ciment des nations.

    Plus personne ne se retrouve dans le dédale de la Société du Pardon où les plus "gros" ne sont pas assujettis aux mêmes lois que les plus humbles.

    D’où la possibilité pour les gros bonnets de commettre tous les crimes inimaginables au nom du profit et d’inventer les termes de dommages collatéraux… les exonérants de fait de leurs responsabilités pénales.

    Mais ce qui s’appliquent aux plus gros, ne s’appliquent pas aux plus petits et pour celà, il n’y qu’a voir la fermeture administrative de la boite de nuit dont le crime fut de servir à boire à une fille qui alla plus tard tuer 4 personnes dans un accident de voitures.

    Oui cette fille était alcoolisée….mais qui permet de vendre de l’alcool si ce n’est l’ ETAT ???

    Alors qui est le grand assassin en série ?

    IOSA 

     

    4 août 2011 à 12 h 52 min
  • Edgar Detriach Répondre

    Bonjour

    Il me semble que Murray évoquait Ballard au sujet des enfants tueurs. D’ailleurs le roman "Crash" est également de cet auteur. Le roman sur les enfants tueurs est "le massacre de Pangbourne" réédité chez Tristram sous le titre "Sauvagerie".

    Permettez-moi de citer un extrait de l’article de Murray sur le court roman de Ballard :

    L’excès de tolérance est une forme de dépossession ou de déprivation auprès de quoi la vieille aliénation des temps historiques fera bientôt figure de douce plaisanterie, au même titre que la frustration ou l’angoisse de castration de l’époque freudienne et contre laquelle de nouvelles formes monstrueuses et inconnues de ripostes ne cesseront de s’organiser. Il existe désormais un despotisme des valeurs de positivité, d’amour, de "respect de l’autre" capable de rendre enragés ceux qui ne se résignent pas à vivre  sous ce régime comme sous une nouvelle espèce de dictature contre laquelle, à l’inverse de ce qui se passait avec les tyrannies de l’age historique, personne ne peut rien,  même pas se fantasmer en résistant ou en rebelle. […] La civilisation actuelle s’est engagée dans la besogne titanesque consistant à éradiquer l’instinct de mort, quelque soit le nom qu’on lui donne (part maudite, hostilité primaire, violence, péché, négativité, Mal, etc…), au profit de l’édification d’un monde abstrait. stylisé, épuré, nettoyé de toutes les irrégularités, de tous les accidents, de tous les écarts, de toutes les perturbations, de toutes les velléités de destruction ou d’autodestruction des siècles révolus. Très longtemps, l’intolérance aura fait partie, et de manière sanglante des entreprises de l’homme pour prouver qu’il était autre chose (quelque chose de meilleur et aussi de pire) qu’un simple animal. (les animaux ne tuent que pour survivre). […] La tolérance illimitée rend fous ceux qui n’ont pas la capacité de s’y plier comme à une nouvelle servitude inévitable. C’est exactement la situation du criminel telle que la décrivait Nietzsche, c’est à dire l’homme fort placé dans des conditions défavorables, l’homme fort que l’on a rendu malade, à qui l’on a retiré la jungle, à qui manque la jungle, et dont les capacités sont désormais mises au ban de la société. 

    L’article en question a pour titre "les ravages de la tolérance" et se trouve dans le tome 3 de ses exorcismes spirituels.

    Cordialement

    3 août 2011 à 17 h 47 min
  • Hoëllard Répondre

    Bonjour,
    Vous parlez ici de la nouvelle de Dahl intitulée Crash in Charlie et la chocolaterie et qui intéressait tant Muray. Je ne la déniche réellement nulle part. Pourriez-vous me fournir plus de précisions ?
    De Muray, je possède un texte sur Pangbourne d’après JG Ballard. Serait-ce la même ?
    Merci. MH

    3 août 2011 à 12 h 38 min

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