Quand Internet abolit les droits d’auteurs

Quand Internet abolit les droits d’auteurs

Avec Internet, nous sommes au tout début d’une révolution. Impossible d’en prévoir l’impact final, ni même de dire, pour l’instant, si elle sera plus ou moins importante que toutes celles qui ont jalonné depuis 10 000 ans l’histoire de l’humanité, ou même, plus près de nous, que la découverte de l’électricité, l’invention de la machine à vapeur, du téléphone, de la radio ou de la télévision… Mais on voit bien que, comme ses grands prédécesseurs, l’invention de l’Internet a vocation à s’étendre au monde entier, à se perfectionner encore et encore, permettant ainsi des usages toujours plus nombreux et plus intensifs.

Comme tous les bouleversements techniques et économiques, Internet aura des conséquences de tous ordres : bouleversement des relations du travail, de l’organisation des entreprises, des conditions de la concurrence, aussi bien au niveau local que mondial. Elle aura, elle a déjà, un puissant impact politique. Elle fera sans doute vaciller les dictateurs comme elle se moquera de toutes les exceptions nationales (comme elle se moque d’ores et déjà de notre grotesque exception culturelle…).

Elle aura aussi des conséquences juridiques. Non seulement, un droit national et international de l’Internet s’élabore et s’enrichit chaque jour, mais encore Internet remet en cause et parfois brutalement les règles juridiques existantes, même les plus sacrées.

Ainsi en est-il du droit de propriété lui-même, pourtant vénéré par tous les libéraux depuis au moins 250 ans.

Avec Internet, hier l’information, aujourd’hui le son, demain l’image, circulent à peu près

gratuitement. L’Agence France Presse veut-elle me faire payer

ses dépêches ? Je vais sur < Yahoo.com > et je les trouve toutes (ou presque), ainsi que celles de Reuter ou d’Associated Press. Ainsi pour le son : la musique n’a jamais été aussi diffusée et aussi peu achetée… Les téléchargements de DVD, à leur tour, se comptent par millions, et se compteront bientôt par milliards.

Les professionnels de la musique, puisque ce sont eux qui sont présentement les plus concernés, s’indignent de ce qu’ils considèrent comme du piratage. Avec leurs auteurs, ils ont des droits sur leurs œuvres et entendent les défendre. En attendant, Internet fait vaciller une industrie qui pèse des milliards de dollars.

Au plan technique, la riposte des industriels apparaît difficile. En effet, quand ils verrouillent leurs CD, pour empêcher qu’ils soient reproduits, les acheteurs les boudent et même, qui plus est, portent plainte car, si la copie publique est théoriquement interdite, la copie privée ne l’est pas… Du coup, ils recherchent des solutions collectives, fondées sur la mutualisation du problème. Ils encouragent la création de sites payants organisés de telle façon que le téléchargement leur rapporte quelque chose. Ils se tournent vers les pouvoirs publics, auquel ils réclament de nouvelles lois, des protections et des interdictions.

En vérité, on voit bien qu’Internet remet en cause, globalement, les droits de ce qu’il est convenu d’appeler la propriété intellectuelle. Depuis longtemps, auteurs et inventeurs se sont tournés vers l’État et ont obtenu de lui une protection de leurs œuvres au nom de laquelle les tribunaux sanctionneront par exemple un plagiat ou l’édition pirate d’un auteur même décédé mais dont les droits ne sont pas encore tombés dans le domaine public.

Forts de ce précédent, les industriels de la musique en veulent autant. Mais le rapport des forces n’est pas du tout le même. Les pirates sont des dizaines de millions. Les outils qu’ils utilisent sont en vente libre. Ils agissent dans le cadre d’une culture basée sur la gratuité, antinomique de la défense sourcilleuse des droits d’auteurs classiques et bourgeois.

Il faut donc revenir aux principes originels qui fondent et qui limitent le droit de propriété. Car celui-ci, pour ses meilleurs théoriciens classiques, n’a jamais eu un caractère absolu. Pour être opposable aux tiers, le droit de propriété doit être légitime et aussi défendable. Il ne suffit même pas d’avoir acquis un bien pour qu’il vous appartienne, encore faut-il être en mesure de prouver qu’il n’y a pas de recel. Et il ne suffit pas d’être légitimement propriétaire d’un bien, encore faut-il être capable de le défendre, soi-même (d’où l’origine du droit constitutionnel de nos amis américains de porter des armes), ou en ayant recours à la puissance publique, celle-ci ayant évidemment le devoir d’établir une proportionnalité entre le droit de propriété bafoué et les moyens à mettre en œuvre pour qu’il soit rétabli. C’est ainsi que chaque jour, des propriétaires légitimes de logements voient leurs droits niés, au prétexte que l’exécution d’une décision de justice risquerait de troubler l’ordre public…

Avec Internet, plus besoin de support matériel pour écouter la musique. Libre aux artistes et à leurs éditeurs de limiter leur diffusion. De faire payer les concerts ou les retransmissions à la radio ou à la télévision. Mais, pour vous, sachez-le, Internet ne sera pas la même poule aux œufs d’or !

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Comments (4)

  • Hugues de Fombelle Répondre

    Vous l’avez dit, “nous sommes au debut d’une revolution”. Comme toute revolution, Internet s’est developpe dans une anarchie digne du Far West des premiers temps: “free for all”. Les Americains ont jusqu’a maintenant defendu la gestion du reseau par une agence agissant sous le controle d’un des departements d’etat. Cette volonte est en partie fondee sur la mefiance viscerale des Etats-Unis vis-a-vis de tout ce qui ressemble a une structure administrative internationale. Mais ne feignons pas la naivete, Internet ne pourra pas faire l’economie d’un cadre legal international pour gerer les transactions qu’elle supporte. Il y a des principes universels qui s’appliquent a tous les domaines. L’imperatif de reguler les transactions en fait parti. Les Etats-Unis, pousses par les groupes de pression economique, n’auront d’autre choix que d’accepter la creation d’une agence internationale qui pays par pays permettra la creation et l’application d’un droit international. Le probleme du droit d’auteur sur Internet n’est pas un probleme technique, c’est un probleme juridique. C’est la creativite juridique des fondateurs de Kazaa qui leur a permis de reussir. Cette societe a, sans rentrer dans les details, repartie ses activites sur trois continents (avec pour l’Oceanie un siege social situe au milieu du pacifique sur une ile perdue), la rendant ce faisant insaisissable juridiquement. La prochaine grande evolution d’Internet ne sera pas technologique, elle sera juridique. Ainsi vont les revolutions, qu’elles soient politiques ou technologiques.

    16 février 2004 à 7 h 19 min
  • Zoom-Zoom Répondre

    La gratuité ne fait pas partie de la doctrine libérale, non plus que la culture du beurre et de l’argent du beurre – c’est à dire du parasitage – qui se répand comme une trainée de poudre sur le web. Le libéralisme postule au contraire la responsabilité et la notion que chaque chose a un prix. Ce n’est pas une coincidence si les gauchistes et antilibéraux de tout poil combattent les brevets et refusent le prêt payant dans les bibliothèques. On a même pu voir le “philosophe” Michel Onfray se fendre d’un article intitulé “A mort les droits d’auteur” et qui se passe de commentaire. Même s’il peut être nuancé dans les détails, le libéralisme doit rester intangible sur les principes de base. Je trouve assez inconséquent de défendre le droit de propriété quand il s’agit de biens immobiliers, tout en prônant la collectivisation des biens culturels.

    4 janvier 2004 à 16 h 49 min
  • bob Répondre

    l’Internet ” est ” la gratuité…ceux qui ne l’ont pas compris disparaîtront ou pleureront!

    15 décembre 2003 à 13 h 45 min
  • JD Répondre

    “la défense sourcilleuse des droits d’auteurs classiques et bourgeois”.? Hum ! Auteur, compositeur, je travaille des heures et des heures sur des créations et des arrangements. En quoi vouloir que mon travail soit protégé est-il “bourgeois” ? A chaque fois que vous utilisez votre téléphone, votre ligne Internet, votre téléviseur, vous payez pour avoir le plaisir d’utiliser le travail des autres. Il en va de même pour la musique qui est le résultat d’un travail plus ou moins prononcé et dont le seul mode de rétribution consiste en ce que l’usager paie pour l’utiliser. Bourgeois, le fait de revendiquer son droit à être rétribué pour un travail ? curieuse conception…

    14 décembre 2003 à 17 h 59 min

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