Trop cher euro

Trop cher euro

Comme je le remarquais la semaine dernière, voilà deux ou trois ans à peine, les olibrius qui se risquaient à avancer l’idée que la France pourrait un jour sortir de l’euro passaient au mieux pour de doux dingues, au pire pour des Cassandre de carnaval ; en aucun cas pour des gens sérieux. Ce temps est révolu. A l’aube de l’année 2011, le président de la République croit utile de jurer sur un ton volontariste, en présentant ses vœux à la nation, que non, la France ne sortira pas de l’euro ; et la semaine suivante, l’hebdomadaire Valeurs Actuelles publie un sondage montrant que 86 % des Français mettent « l’Euro en accusation » et « le rendent responsable de la vie chère ».

« Ce n’est qu’à moitié vrai », commente Sophie Humann, auteur de l’article, « Et pour certains produits, carrément faux. » Simple précaution de style, à en juger par le contenu de l’article. « Pour un euro, que peut-on acheter ? », demande la journaliste. « Une baguette ? Oui, mais pas la "tradition", ni celle au sésame, encore moins celle aux 17 céréales. Une salade ? Pas certain : en ce moment, la moindre laitue se négocie plutôt autour de 1,50 euro, avec des pointes à 1,70 sur certains marchés. Et pour une scarole, il faut compter jusqu’à 4,50 euros… »

26,50 francs, pour une salade !

« Alors qu’on leur prédit de nouvelles hausses de prix des produits alimentaires pour les premiers mois de l’année, les Français, de fait, commencent à se lasser », écrit Sophie Humann. « Et même plus puisque, à en croire notre sondage exclusif Ifop-Valeurs actuelles, 86 % des personnes interrogées rendent la monnaie unique européenne seule responsable de l’inflation. »

« Un euro aujourd’hui vaut un franc d’hier », affirment nos compatriotes. Cette appréciation rejoint, sans la moindre once d’humour, un sketch de l’humoriste Anne Roumanoff qui affirme exactement la même chose sur le ton de la blague. Qui se souvient des arguments brandis par les eurocrates voilà neuf ans seulement, pour nous faire passer la monnaie unique en pilule ? Un autre sketch d’Anne Roumanoff, joué à la veille du passage à l’euro en 2001 et consultable sur Internet (http://www.wideo.fr/video/iLyROoaftT3u.html), nous les rappelle : dans le discours officiel, il s’agissait d’« aider la stabilité monétaire ».

En effet, la monnaie unique a retiré aux Etats le contrôle de la planche à billets et toute possibilité de dévaluer ; mais on a pu vérifier depuis que la stabilité de la monnaie et la stabilité des prix n’avaient que peu de choses à voir. Ainsi, écrit Sophie Humann, « sur la plupart des produits de base, les prix ont connu, en neuf ans, une explosion ».

A titre l’illustration, Valeurs actuelles fournit les prix de plusieurs de ces produits et le taux d’augmentation entre 2001 et 2010 :

  • 48 ,8 % d’augmentation sur le beurre ;

  • 85 % sur la baguette ;

  • 107 % sur le steack haché ;

  • 127 % sur la pizza surgelée au jambon ;

  • 150 % sur la laitue ;

  • 162 % sur les spaghettis ;
  • 182 % sur le litre de lait ;

  • 187 % sur les 16 pots de yaourt ;

  • 556 % sur le tee-shirt, qui passe de 1,50 € à 10 €.

Moyennant quoi, selon l’Insee, l’indice des prix à la consommation est stable !

Les Allemands aussi…

Pour avoir depuis longtemps passé les 20 ans, j’ai eu une réaction que d’autres « anciens » – je veux parler des générations chenues du siècle dernier, qui se souviennent encore du franc –, partageront peut-être avec moi : l’augmentation de 1,50 € à 10 € me semble moins considérable que celle, correspondante, de 10 francs à 65,60 francs… Ceci explique peut-être que les Français n’aient pas davantage protesté contre cette amputation eurocratique de leur niveau de vie – les salaires n’ayant pas suivi.

Rassurons-nous pourtant : « Ces hausses, qui incriminent l’euro », précise Valeurs actuelles, « heureusement, sont compensées par des baisses significatives. Comme celles des ordinateurs (- 88 % en dix ans) ou des équipements photo (- 81 %). »

Vous n’êtes pas rasséréné ? Moins non plus. D’abord, parce que ces baisses ne doivent rien à l’euro et auraient eu lieu en francs de la même manière. Ensuite parce que j’achète moins souvent un ordinateur qu’un steack haché, et un appareil photo qu’un litre de lait.

Valeurs actuelles cherchent pourtant, à ces hausses de prix, des explications susceptibles d’en exonérer l’euro, et qui d’ailleurs sont fondées : les commerçants n’ont « pas été pour rien dans les "arrondis" excessifs des premiers mois » ; les grandes surfaces ont profité de l’occasion pour accroître leurs marges d’une manière d’autant plus éhontée que les revenus des producteurs, eux, ont fondu de moitié ; les charges sociales liées au coût du travail ont fait grimper les prix, à commencer par les 35 heures dont la mise en place a coïncidé avec le passage à l’euro, etc.

Reste que, 35 heures ou pas, les Français ne sont pas seuls à penser que l’euro les a appauvris : selon Sophie Humann, « les Allemands, pour qui un euro ne valait somme toute que 2 marks (ce qui simplifiait les conversions), ont pris, depuis quelque temps, l’habitude de surnommer l’euro teuro. Un néologisme issu de la contraction de teuer ("cher") et d’euro – autrement dit le "chérot"… »

Concluons. Je me souviens avoir assisté comme journaliste, à l’automne 2004, à la présentation du projet de loi de finances pour 2005. Le ministre de l’Economie et des finances alors en fonction avait souhaité, en répondant aux questions de la presse, que l’on cesse de mentir aux Français en niant contre l’évidence l’effet de l’euro sur l’augmentation du coût de la vie.

Ce ministre de l’Economie s’appelait Nicolas Sarkozy.

Partager cette publication

Comments (1)

  • Philippe Répondre

    Selon l’INSEE l’indice reste stable parce qu’il le doit absolument… mais comment ?

    En appliquant un taux permettant de recalculer le nouveau prix par rapport à l’ancien :

    exemple, comme les yaourts ne sont pas les memes, les experts estiment qu’il est normal que le prix ait augmenté, donc, en appliquant le coefficent correcteur, on fait disparaitre l’augmentation.

    Comme les coefficients peuvent etre appliqué sur presques tous les produits du panier moyen (surtout, il est vrai sur le materiel et les accessoire audio et video), on peut presque faire disparaitre l’inflation.

    Si l’on faisait un comparatif, produit par produit sans coefficient on aurait proabalement de grandes surprises… et si l’on recomposait le panier moyen pour prendre en compte la consommation habituelle réelle des habitants, alors, là aussi, ce serait surprenant.

     

    11 janvier 2011 à 7 h 15 min

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *