Claude Sautet et l’agonie de la France des trente glorieuses

Claude Sautet et l’agonie de la France des trente glorieuses

J’ai célébré l’immense Bardot, et puis Guitry, et bien sûr Duvivier. C’est la France : ce n’est pas marrant tous les jours, ce n’est pas guilleret, c’est un peu tragédie, un peu décomplexé, mais c’est la France quand même. La foi et l’Eglise ne sont jamais bien loin et les sensations chrétiennes non plus. Je ne parle pas de Pagnol. C’est un génie universel, c’est Orson Welles qui le dit, et puis Raimu…

 1960, un peu avant, la camarde passe et c’est la nouvelle vague et les yéyés dont se moque Audiard inquiet dans les Tontons flingueurs. Et puis c’est le grand trou de la civilisation française qui va disparaître avec de Gaulle (en eut-il seulement conscience ou a-t-il été mis pour cela ?), en deux décennies, les années 60 et les années 70. On va arriver dans un terminal hospitalier ou dans un terminal d’aéroport, n’importe où, mais on n’est plus en France. On est dans un petit morceau de l’Europe mué en un petit cap de l’Asie. C’est cela la civilisation moderne, c’est cela la matrice. Et tant pis pour Gautier Théophile, et tant pis pour Blondin Antoine. Tout le monde descend en attendant la république islamique financée par le Qatar et ses dollars gaziers.

 Ne sautons pas l’obstacle. Le grand symbole cinéphilique de tout cela, c’est Vincent, François Paul et les autres, la chronique naturaliste d’une sentimentalité de groupe un peu socialiste il faut dire, la chronique désabusée de gens qui ont trop d’argent, trop de nanas, et surtout pas la foi. Après les socialistes préparés par Montand, Frey, Reggiani, Schneider (quelle fatiguée celle-là, seule notre Victoria de Radio-Courtoisie lui avait donné sa chance avec sa voix merveilleuse, merci Victoria !) et les autres sont arrivés en bloc au pouvoir et nous n’avons plus été chez nous. Ce n’est pas grave remarquez, c’était prédit par de Maistre lui-même : nous marchons vers une grande unité, nous ne sommes broyés que pour être mêlés… De quoi vous plaindrez-vous ?

 J’en ai pris acte, ma femme n’est pas française, mon prêtre n’est pas français, mes témoins n’étaient pas Français, mes amis sont de moins en moins français (on est globalisés, eh ?) et quand je viens en France je sais que je suis Ailleurs. Pour l’aimer en images, il me reste le cinéma de Brigitte et les ouvriers de Duvivier le bien nommé. Pour le reste, prendre en photo le Panthéon…

 Je ne sais pas ce qui a fait le succès du cinéma de Sautet, ni ce qui a fait sa gloire. Un film comme Max et les ferrailleurs est par exemple une véritable abjection. Un vieil ami préfet et écrivain me fait remarquer que cet archétype de la gauche caviar incarne profondément le mauvais rêve français de la vie moderne et d’une certaine manière l’après France. Je lui consacre donc quelques lignes aujourd’hui même s’il m’en coûte quelque peu.

 Je suis retombé il y a peu sur César et Rosalie, dans une braderie de DVD à Almeria, la Mecque du dernier grand cinéma, celui de Lawrence d’Arabie et d’Indiana Jones. Et là…

 Dans le cinéma de Sautet, on passe son temps au troquet ou à la brasserie. On se prépare des triples pontages, un bon cholestérol et bien du cancer du poumon ou de la gorge. Tout le monde fume, clope plutôt, tout le monde toussote et trinque et boit du pinard ou de l’anisette, tout le monde mange le matin, mange le midi, mange le soir. Il n’y en a que pour le cerveau reptilien, qui se satisfait aussi des choses du bas-ventre. On est dans le limbique ou on ne l’est pas. Je digère donc je suis.

 C’est que c’est la France des trente glorieuses, la France qui enchantait Jean Fourastié, l’homme le plus bête du XXème siècle après Marshall McLuhan (proclamé par Debord « l’imbécile plus consommé de son siècle » ; ce Debord tout de même !). C’est la France de la croissance, des chefs d’entreprise plantureux (pauvre Montand, qui se cogne la tête contre tous les murs), des grands fumeurs et bons vivants, la France qui descend à Saint-Tropez, se fait le week-end normand et qui énerve un peu Henri Vincenot !

 Chez Sautet, on n’a pas non plus trop de préoccupations spirituelles, ni morales, ni intellectuelles. On est de la matrice, on ne se pose plus de questions. On n’est plus là pour cela, et l’on sait à peine si l’on est vivant, pour reprendre l’expression de mon écrivain russe préféré et pas très politiquement correct !

 On va me dire que je me trompe (j’ai l’habitude !), que c’est français, Sautet, que Charensol au masque et la plume disait que c’était notre meilleur cinéaste, et qu’il était savant homme pour expliquer ses œuvres (cela aussi j’ai l’habitude : les explications pédantes ne font pas les bons films, voyez Walsh…) en utilisant les images de la peinture et du contrepoint de Jean-Sébastien. On va me dire que Nelly et Mr Arnaud, ce pince-fesse frigide en papier glacé est un grand film testamentaire (il était temps d’ailleurs !). Mais ce n’est pas ça non plus.

 Non seulement, ce n’est pas du grand cinéma, mais ce n’est plus la France. C’est les années Giscard et Pompidou, j’y suis né, j’y crûs même et je n’y ai jamais cru. J’avais compris à douze ans en me barbant devant ma télé à mater du Sautet qu’on finirait par prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages. Eh bien c’est fait !

 Vive la France quand même. Elle peut mourir pour renaître ?

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Comments (3)

  • tirebouchon Répondre

    C’est ainsi la nature humaine a toujours été attirée par le vide…Les Français faute de vouloir le FN auront l’islam…
    Dieu leur donne encore une petite chance pour les prochaines élections locales…Mais je doute de l’intelligence de ce peuple qui a plus encensé les alcolos, les déviants sexuels, les déviants intellectuels, les psychopates, les camès, les criminels, les escrocs et autres salopards, les traîtres à la patrie…la liste n’est pas exhaustive on les trouve surtout chez nos dirigeants et les friqués….Seulement la tare de la masse c’est sa petite cervelle moins apte à comprendre que le cerveau d’un rat !

    Qui n’a pas reçut la photographie de Me Bettencourt chez elle avec sur un petit meuble un énorme godmichet de bronze poli….Notre peuple se tatoue, se drogue, se détruit seul….les nouveaux barbares n’ont que peu a attendre pour que la France écarte ses cuisses pour être prise par ses sauvages….

    28 novembre 2012 à 17 h 32 min
  • SMALL BARTHOLDI Répondre

    Le cinéma français de cette époque a, effectivement, vu le triomphe de l’anti-héros très bien assumé. Dans le genre, revoyez tout le cinéma d’YVes Robert, de son Alexandre le Bienheureux (vantant le soulagement jouissif qui consiste à se délester de toutes ses responsabilités) à ses films avec Pierre Richard, Pierrot lunaire infiniment lugubre au fond, en passant par les célibataires d’un Elephant ça trompe énormément. Nous irons tous au paradis, avait-il promis. C’est bien l’objectif ultime de la Nouvelle France : être des anges au paradis, aux mains bien blanches et au portefeuille bien rempli. On peut aussi considérer Les Valseuses comme un tournant, sorti à l’orée des années Giscard. Sa rare vulgarité dit tout de l’époque qui se concocte. Et on pourrait enfin ajouter La Grande Bouffe : se remplir la panse jusqu’à l’implosion. Bouffer, s’endetter, et puis crever, sans jamais croire à rien, sans jamais un élan de foi, et après cela on s’étonne de la chute de Goldman Sachs.

    25 novembre 2012 à 8 h 05 min
    • quinctius cincinnatus Répondre

      la ” culture ” DOMINANTE d’une époque est , en effet , toujours le miroir cruel de SA société et la nostalgie de ces temps ” heureux ” est bien le signe de notre …avilissement

      25 novembre 2012 à 15 h 24 min

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