Funeste mépris pour l’enquête rationnelle

Funeste mépris pour l’enquête rationnelle

Insensiblement (mais de plus en plus sensiblement !), nous prenons congé de la civilisation qui nous a forgés.

Ce qui me frappe le plus dans le monde post-moderne où nous vivons, c’est la fin du débat contradictoire – et pas seulement dans le monde politique.

Je ne prendrai que deux exemples, fort éloignés. Le premier vient des suites de la commission Sauvé sur les abus sexuels dans l’Église. Les évêques de France sont en train de mettre en place une commission d’indemnisation des victimes. Cette dernière pose d’énormes problèmes en bien des domaines.

D’abord, sa présidente, la juriste Marie Derain de Vaucresson, ancienne collaboratrice de la ministre socialiste Laurence Rossignol, ne me paraît pas un gage d’impartialité.

Par ailleurs, il semble que les associations diocésaines soient tenues pour responsables des crimes de certains clercs. Ce qui est profondément scandaleux (imagine-t-on une entreprise indemniser des victimes au motif que l’un de ses employés aurait commis un crime ?).

Et c’est, accessoirement, une violation de la loi civile : les associations diocésaines n’ont pas le droit de s’occuper d’autre chose que du culte. Il se murmure d’ailleurs dans les couloirs du parlement que l’on va demander à la majorité de modifier subrepticement la loi de 1905 pour autoriser cette forfaiture. J’ai peine à y croire, mais nous avons vu de telles aberrations juridiques ces dernières années que tout est possible !

Mais, surtout, si j’ai bien compris, cette instance d’indemnisation agira indépendamment de la justice pénale, sans enquête ni débat contradictoire.

Lorsque je me suis étonné de la procédure devant certains ecclésiastiques, on m’a répondu qu’il y aurait dans la commission des psychologues qui sauraient distinguer les affabulateurs des véritables victimes. C’est se moquer du monde. Nous pourrions peut-être tirer quelques leçons du fiasco d’Outreau et procéder à des enquêtes sérieuses, pas à des discussions fumeuses devant une boule de cristal !

Cette absence de débat contradictoire s’est aggravée d’un ubuesque refus de dialoguer avec d’éventuels contradicteurs.

Ainsi, quand huit intellectuels catholiques ont critiqué certaines méthodes et conclusions du rapport Sauvé, Mgr de Moulins-Beaufort et Sœur Véronique Margron ont démissionné de l’académie catholique où siégeaient ces huit intellectuels.

On peut débattre de tout dans l’Église de France, mais pas du rapport Sauvé !

Ce que je trouve très significatif, c’est que ce même mépris du débat contradictoire se retrouve dans une tout autre sphère de la société française, bien éloignée du catholicisme : Yannick Jadot a récemment déclaré qu’aucune personne soupçonnée de harcèlement sexuel ne siégerait dans son hypothétique gouvernement. Mais les mots ont un sens ! « Soupçonnée », cela ne veut pas dire convaincue, ni moins encore condamnée.

Nous revenons donc à marches forcées à la mentalité archaïque (que l’enquête, l’inquisitio médiévale, avait remplacée), selon laquelle ce serait aux dieux de désigner les coupables (en l’occurrence, je suppose que les dieux seront remplacés par la rumeur médiatique !).

Nous pouvons bien critiquer l’Inquisition, nous faisons pire qu’elle en refusant l’enquête, l’écoute du point de vue opposé et le débat rationnel.

Ce refus ne vaut pas seulement pour les affaires judiciaires. Même dans le domaine universitaire ou scientifique, on remplace l’enquête, la contradiction et le débat rationnel par l’argument d’autorité et l’anathème.

L’Europe, bâtie par la passion d’Athènes et de la théologie chrétienne pour la raison, s’effondre en tournant le dos à cette même raison !

Les Partis contre la France

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Comments (3)

  • quinctius cincinnatus Répondre

    Monsieur de Thieulloy pourriez vous nous dire quelles sont exactement les attributions définies par la Loi aux ” associations diocésaines ” ,?qui les composent ? qui en nomme les membres ? quels recours peuvent elles avoir devant le Conseil d’ Etat et / ou le Conseil Constitutionnel ? merci

    19 janvier 2022 à 8 h 51 min
    • guillaume4v Répondre

      Rude question! La jurisprudence est assez compliquée pour ce que j’en sais. Pour la composition, le principal élément est qu’elles sont présidées par l’évêque (il y a une association par diocèse), par contraste avec les associations cultuelles prévues par la loi de 1905 qui avaient été refusées par l’Eglise précisément parce que les diocèses auraient été alors régis par des associations “classiques” (et donc ignorant la structure de l’Eglise: les administrateurs auraient été élus démocratiquement parmi les habitants du diocèse sans tenir compte du rôle de l’évêque dans ledit diocèse). Et, oui, il y a eu pas mal de saisines du conseil d’Etat (mais beaucoup moins, et peut-être même pas du tout) du conseil constitutionnel sur le droit de ces associations très spécifiques. Personnellement, ce que j’utilise quand j’ai à répondre concrètement à une question relative à ces associations diocésaines, ce sont les travaux d’Emmanuel Tawil, qui doit en être l’un des meilleurs spécialistes contemporains – mais je ne prétends pas du tout maîtriser le sujet (cela fait 25 ans que je travaille sur les relations Eglise-Etat, mais beaucoup plus avant qu’après 1905!).

      19 janvier 2022 à 14 h 19 min
      • quinctius cincinnatus Répondre

        Monsieur de Thieulloy je vous remercie pour votre réponse qui montre tout le flou juridique et disons le toute l’ ambiguïté de ce type de structure qui devrait être représentative des Fidèles … chez les Calvinistes c’ est beaucoup plus clair et disons le vraiment démocratique : les fidèles ont un regard direct sur leurs pasteurs

        20 janvier 2022 à 9 h 37 min

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