Introduction à la grandeur et au mystère du juge Roy Bean

Introduction à la grandeur et au mystère du juge Roy Bean

 Il me semble que le Far West ne s’est pas établi sur la bible et le fusil, bien plutôt sur le droit et la manière de déclarer que ce qui est aux autres (les Indiens) est ou à tout le monde ou à moi. C’est un peu comme le discours sur l’inégalité (le premier qui…) ou les privatisations avec leurs fameux noyaux durs !

Et c’est là que le juge Roy Bean intervient, tel un bon apôtre du nouvel ordre mondial, déclarant lui ce qui est bon et ce qui est mal, et parvenant à faire respecter sa bizarre et meurtrière conception. On ajoute là-dessus l’ours et une bonne dose de clownerie et d’ivrognerie (le saloon comme endroit classique pour plumer tout le monde), et l’on a un truculent et rabelaisien personnage du grand Ouest, qui incarne quand même aussi une barbarie décalée et le mythe de la frontière. A l’ouest du Pecos… ou du Jourdain ? On en revient à la Bible, tiens, avec des livres comme Juges et Nombres, véritables épopées des manipulateurs de symboles où tout est bien dûment réglementé. Le juge et sa loi incarnent d’ailleurs le conflit entre les éleveurs et les cultivateurs, que Goscinny reprend dans un des meilleurs Lucky Luke, et qui est bien sûr à la source de la Bible, avec le duel fratricide entre Abel et Caïn, tant de fois repris dans les westerns légendaires.

Mais le juge c’est aussi le romantisme du poster que les aviateurs américains collaient sur leur cockpit avant de bombarder les villes françaises ou japonaises. C’est la pin-up, la star, la Lily Gantry, beauté façonnable digne de Marilyn ou Lola Montes, et qui émeut les foules et les hommes perdus dans leur cambrousse jusqu’à la folie. Nous périrons par le regard si nous n’arrachons pas notre œil.

Avec de tels talents, le juge Roy Bean a donc eu droit à un traitement hollywoodien de choix, et il apparaît deux fois dans des chefs d’œuvre qui exultent et exaltent son romantisme d’opérette, sa grandeur comique et sa cruauté constructrice. Il y a le film de William Wyler avec Gary Cooper et Brennan et celui de Huston (merveilleusement écrit par notre ami John Milius) où Paul Newman s’éclate, enfin sorti de ses rôles d’éducateur.

Walter Brennan est une légende hollywoodienne totale. Le vieil irlandais alcoolo (qui fit toujours avec sa voix traînante le double de son âge) a eu trois fois l’oscar de meilleur acteur… secondaire, alors que partout où il apparaît, à la manière du génial et joycien Barry Fitzgerald, il vole les scènes. Il est exceptionnel en Clayton fou dans My darling Clementine où il affronte Fonda et il excelle à nourrir mal l’équipée sauvage de John Wayne dans Red river. Il a aussi joué dans des films de propagande éducative pour le New Deal !

Ici il est très fou en juge, mais aussi très drôle (il connaît les ruses, les trucs et le lexique de la justice, il est rompu aux symboles pour escroquer les terres) et très savant. Il est de nature double, retors quand il s’agit des hommes, esclave quand il s’agit de l’éternel féminin et de la beauté Gantry.

Il faut voir la scène que Wyler filme avec sa sobriété traditionnelle : Gary Cooper, qui risque d’être pendu et a compris l’obsession iconique du juge, prétend connaître la star de théâtre qui faisait tourner en bourrique le futur gros roi Edouard. Et il assure l’avoir vue, et les yeux du juge brillent, et il la décrit d’ailleurs comme un poète, et les oreilles du juge sonnent comme les cloches.

La scène est incomparable de pureté (l’éclat fantastique de Gregg Toland, le chef-opérateur du siècle) et  de candeur. Wyler assume le plan-séquence avec la maîtrise d’un Bach : il ne films que les expressions de deux cracs. Brennan est tout ému et tout rêveur, assassin et enfantin. Cooper est inimitable de sobriété, alors qu’un Tom Cruise en ferait aujourd’hui vingt-huit tonnes. C’était le grand temps. Les deux personnages vont s’épargner et se tromper ainsi jusqu’à la fin du film.

L’autre film est Juge et hors-la-loi, qui date des années 70, mais ne nous casse pas les pieds avec le révisionnisme de l’histoire de l’ouest. Le juge est une drôle de canaille, bien caricaturée par Newman, et il est aussi très épris de l’image Gantry, en oubliant la jeune indienne qui l’aime (il n’est pas raciste, il est seulement idiot). Son rôle civilisateur est interrompu par l’arrivée de l’avocat (on retrouve le droit…) qui retire à l’ouest toute sa poésie pendant que l’exploitation pétrolière lui retire et son ciel et son sol, à cet ouest qu’on aima tant (et maintenant le parc du grand canyon est défiguré par un balcon suspendu !).

Mais la grande scène est pour moi sans Newman ; vous connaissez d’ailleurs une grande scène avec lui ? On voit enfin Lily Gantry, repue d’ans et de gloire, qui vient voir son fervent admirateur comme on disait alors. Et là, dans le musée – tout est muséifié pour accueillir le chaland –, elle lit la lettre finale du juge, un papier magnifique écrit par le grand Milius où le juge se prend pour Lancelot et explique qu’il a tout accompli à la gloire de sa Dame qui comme Guenièvre lui a donné sa Force pour agir au nom de l’ordre et de la loi. La voix est off, on voit simplement le beau visage immortel d’Ava Gardner s’émouvoir devant la caméra. C’est inimitable. Il faut juste un écrivain et une star. Et un plan… américain.

Non, vraiment, ce juge aura eu un beau partage au cinéma.

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Comments (1)

  • mauvaisedent Répondre

    C’est pas grave

    4 janvier 2013 à 16 h 28 min

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