Jeanne Augier, la Riviera et le charme français du Négresco

Jeanne Augier, la Riviera et le charme français du Négresco

Je ne cesse de recommander de voyager l’hiver sur la côte d’azur. On dramatise les effets du réchauffement climatique, alors pourquoi ne pas en profiter pour faire des croisières dans l’Arctique l’été durant et pour redécouvrir les chambres de la côte d’azur l’hiver ? On a le ciel alcyonien qui enchantait Nietzsche, Sissi et les tzarines ; on n’y a jamais froid ; on n’est pas les uns sur les autres ; et la pollution comme l’humidité sont des plus raisonnables. Il règne un charme et une majesté qui vous tire des forces et vous entraîne sur les sentiers menant aux villages perchés ; les petits bateaux de pêche encombrent l’eau les belles journées, et l’on oublie les monstres estivaux, les gros croisières et puis les insupportables super-yachts. Les prix pratiqués sont des plus humbles, parfois au tiers de ceux pratiqués au mois d’août.

Evidemment, pour ceux qui préfèrent skier nautique aux Seychelles, muséifier chinois ou faire un spa à Goa… Mais j’ai déjà donné, en vieux routier des voyages et je recommande de revenir au basique : le dix-neuvième siècle avec Santander, plus belle station balnéaire d’Espagne et peut-être d’Europe, et Nice bien sûr pour ses palais napoléoniens, ses jardins cariocas, et pour son Négresco, sans oublier sa promenade jadis bordée de beaux jardins et non d’immeubles. N’oubliez pas non plus que les impératrices se rendaient dans ces parages durant les hivers, quand on n’y transpirait pas. On allait passer l’été à Bride, Luchon ou bien Baden, en laissant les futurs vacanciers s’entasser dans les campings de demain ! Non, voyager l’hiver, c’est vraiment retrouver l’esprit divin et le ton alcyonien de la côte d’azur ! Prenez comme compagnon de lecture Ecce homo de Nietzsche, il vous l’expliquera très bien ; ou bien mon Voyageur éveillé publié jadis aux belles lettres dans l’espoir de raviver l’esprit du voyage initiatique et dilettante.

J’ai décidé de m’offrir le Négresco pour mon anniversaire en compagnie de ma femme. Que vaut une fanfreluche à côté d’un tel souvenir ? Nous sommes arrivés un beau matin, et nous avons visité le hall qui compte l’histoire de la belle Maison, gagné les couloirs, les musées et les couloirs magiques couverts de moquettes Vasarely. Chaque étage a sa ou ses décorations thématiques. J’ai un faible pour les Lumières et pour les chinoiseries, d’autres adoreront la galerie africaine au premier. Le musée palace dispose de toiles de Largillière, de Rigault, de Cocteau et bien sûr de Dali, un des grands amis de la maîtresse de la maison, avec Sofia Loren qui exigeait en bonne italienne de pouvoir cuire sa pasta à la cuisine ! C’est un musée à ciel ouvert, ou pour mieux dire à ciel fermé, muet comme une tombe et laissant la magie intérieure irradiante des chefs d’œuvre agir en pleine nuit.

Nous avons eu la chance d’être à l’étage napoléonien, le quatrième, en partie consacré à l’Empire et à la grandeur impériale. Je ne suis pas bonapartiste pour un sou mais lorsque je suis devant Lui, l’Empereur, je fonds comme Léon Bloy devant l’âme de Napoléon. C’est à pleurer. Pourquoi ? Pourquoi l’empereur est-il à pleurer ? Il est beau, il est glorieux, et il a tant de goût. Le style empire, c’est l’Egypte pharaonique en plus noble. Napoléon, le Fils du Ciel.

Le personnel est convivial, sans ce côté trop pro et robotique qui est la marque des chaînes de palace d’aujourd’hui réservés à une surhumanité mécanisée par l’impression de faux dollars. Plus qu’une famille, mot galvaudé par le capital, il est une discrète communauté. Le Négresco, c’est le kolkhoze vraiment fleuri, pour reprendre le mot d’Audiard. Je traîne dans la galerie Chantecler, nimbée du symbolisme des coqs, de Rostand, du soleil. C’est plus qu’un voyage dans le temps, c’est un voyage dans l’Esprit de la France. Je découvre un très bon tableau figuratif et symbolique d’Isabelle Planté, qui portraiture la grande âme de l’endroit, tout en détaillant par le menu ses intentions symboliques : pourquoi elle a peint un œuf, une tête de bélier, une table d’échecs, un pile de livres. Au milieu trône Jeanne Augier, la grande âme du Négresco, dirait Victor Hugo, et moi aussi, comme en passant.

Nous avons la chance de la croiser le soir, tout près du hall surveillé par une merveilleuse équipe de réceptionnistes polyglottes et de concierges polis par l’humour. Nous sommes dans un bar meublé à la perfection. Jeanne Augier cherche un chat, le chat roux Carmen à côté de qui nous nous sommes assis, préférant sa compagnie féline et doucement endormie à celle des bavards impénitents descendus des Carpates. Ma femme la reconnaît, nous la saluons, et nous entamons une petite discussion. J’agite l’album aux souvenirs, puisque j’ai été titré au Négresco en 1979, pour une poésie patriote sur le drapeau ; c’était organisé par l’association des plus grands invalides de guerre ! On ne se refait pas. La dame est très émue. Elle m’explique de sa voix lente et appliquée ses intentions, son projet, son goût pour l’art et pour les animaux. Je lui montre le plafond à caissons de son majestueux salon Versailles (Mme Augier préfère dire Louis XIV), démonté d’un initiatique château habité jadis par la famille Mancini, et où je crois retrouver un sujet mythologique pointu : Prométhée libéré du Caucase par Hercule. Un aigle gît terrassé par l’arc du grand héros. Madame Augier a le regard humide, mon épouse aussi. Mais elle doit se retirer. Nous la quittons en espérant la revoir bientôt.

Notre chambre grande et bleue, finement meublée, avec ses papiers choisis par notre amphitryon, donne sur la mer et surtout sur la villa Masséna, un joyau de l’art impérial, qui appartenait à la famille du grand maréchal au siècle dernier (c’est-à-dire il y a presque deux siècles maintenant !). Le musée offre des images et des photos merveilleuses de ce que fut Nice à l’époque de Garibaldi et des impératrices ! Mais comment peut-on naître comme moi avec plus de cent ans de retard ! Le personnel de la villa Masséna est très bien aussi, on se sent fier d’être Français ! Bonne ville de Nice ! Cocorico, dit dame Augier ! Je me souviens de vers de ma jeunesse :

Je chante le drapeau comme un autre moi-même, / Un autre moi qui brille et qui s’essaime… / Un autre moi qui vibre à chaque vent / Et donne à chaque mot un océan de sens.

Un palace comme le Négresco, c’est une maison, une belle demeure, une mansion, comme on disait jadis, dotée d’une âme et d’un principe. Ici l’âme est très grande puisque c’est celle de madame Augier. Et lorsqu’une grande maison est aussi bien tenue, on n’a plus envie d’en sortir, pour effectuer une tournée dans les couloirs et saluer les toiles animées ; ou bien pour se promener sur l’immortelle promenade toujours bruyante hélas. Mais on n’a pas lieu de se plaindre. On y vivrait une vie, au Négresco, ou tout au moins une saison, et pour y écrire des contes mystérieux dans toutes les langues de sa clientèle.

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Comments (2)

  • isocrate Répondre

    “Mais comment peut-on naître comme moi avec plus de cent ans de retard !”…

    C’est bien vrai, ça …. quel dommage! vous avez raté les tranchées de Verdun, le Chemin des Dames et surtout la croisière sur la Somme…. les gourbis y étaient un peu moins classieux qu’au Negresco, mais, y’a pas à dire, retenir les tripes de son copain éventré par un obus, c’était autrement dyonisiaque que de tailler une bavette émue avec Madame Augier sur son canapé Louis XIV.

    17 décembre 2012 à 15 h 19 min
  • quinctius cincinnatus Répondre

    le lit était il moelleux mais pas trop cependant pour un réveil lumbagosique , le petit déjeuner copieux et surtout chaud , la porcelaine non ébréchée , l’argenterie brillante , le cristal sans traces suspectes , les riches tapis couvrant le sol non souillé par le sperme de tous ceux de la jet-set qui vous ont précédé , l’ascenseur silencieux et doucereux …
    comme je vous envie !

    15 décembre 2012 à 17 h 13 min

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