Réflexions sur Pagnol et sur la disparition de la France et de sa Provence

Réflexions sur Pagnol et sur la disparition de la France et de sa Provence

Toutes les nations m’avaient environné ; au nom de l’Éternel, certes je les ai détruites.

Je pourrais faire le coup du château de ma mère, de Bouzigues et d’Escartefigue, de la marine française qui te dit merde, de cela fait quatre tiers… Je n’en ai pas envie. Tant pis pour la nostalgie, il y a un moment où il faut bien dire qu’elle fait l’idiote, la nostalgie, et qu’elle nous prend pour des cons, la nostalgie. La tolérance, il y a des maisons pour cela, disait l’autre ; la nostalgie, il y a des radios. On recycle et on vous vend du programme mental tout fait et tout complet. Quand je parle de cinéma ancien, c’est parce qu’il est bon, pas parce qu’il est ancien. Mais j’en viens à Pagnol, ce filmeur de bons mots un peu trop repassés.

 Lorsque j’étais petit, je voyais les Pagnol à la télé française. C’était une institution ; on entourait le tout d’explications ; on venait nous éclairer ; les personnes âgées venaient avec leur nostalgie ; c’était l’aube du bon vieux temps. Ah, de mon temps…

Ce bon vieux temps n’est plus, on n’est plus en 1970, 80, 90, mais en 2000 et quelques, à l’aube d’un millénaire qui n’est déjà plus grand chose, et promet de n’être bientôt plus rien, entre la disparition des sexes et des pays, des races et des cultures, des personnes trop âgées et de la terre même. Je me souviens déjà que dans les années 80, le fils Fernandel, qui avait présenté des émissions à la provinciale et sympa station RMC (Serge de Beketch avait même interviewé Zappy Max !), militait pour le Front national. Il sentait la menace, il sentait que tout allait disparaître, et qu’on ne pourrait pas nous faire le coup de Regain comme chez Giono. Tout allait disparaître dans cette fin de millénaire en solde.

Pagnol raconte quelque part qu’à l’hôpital, en 46, un jeune géant paraît, que c’est Orson Welles. Il veut voir Raimu. Mais Raimu est mort. Welles ne tient pas sa peine ; quel dommage, le plus grand acteur du monde. Comme dit Pagnol dans la gloire de mon père, on avait compris bien avant lui. Mais vous vous imaginez expliquant la partie de cartes aux jeunes vandales des banlieues, et la femme du boulanger au temps du mariage gay ? Réveillez-vous les amis, nous sommes en 2012, pas en 1970, 80, 90, la nostalgie c’est terminé. On ferme, comme dirait Muray. La Provence a été recouverte d’hôpitaux (presque tous psychiatriques), de centres commerciaux, de résidences secondaires, de lotissements pour immigrés, d’hospices pour personnes âgées, de supermarchés et de centres de bricolage, de discothèques et de piscines pour tous, d’autoroutes et rocades pour ficher le camp vers une agonisante Espagne, la Provence a été recouverte de petits villages retapés luxueux, de petits ports de plaisance bien friqués et de pizzérias à trente euros loukoum compris. Le port de Marseille, la marine française, ils peuvent vraiment aller se faire voir… Voir un film de Pagnol aujourd’hui, c’est voir un film sur le moyen âge ou l’antiquité romaine (le vieux port avait moins changé en deux mille ans qu’en cinquante), ce n’est plus voir un film sur la Provence d’il y a cinquante ans. Ce n’est pas qu’elle soit morte, ce n’est pas qu’elle ait vieilli, c’est qu’elle n’a jamais existé.

De Pagnol, comme j’ai décidé de la jouer politique, j’ai un faible pour Regain, qui n’est pas très politiquement correct, et qui se la joue bien maréchaliste, bien retour à la terre, cette terre qui ne ment pas. Ce n’est pas pour rien que Pagnol a traduit les Géorgiques de Virgile : je vous recommande ce texte magique, en particulier l’éloge de la vie rustique au chant II et tout le chant IV consacré aux abeilles, à ces merveilleuses abeilles qui vont bientôt nous quitter. Comme dit notre bonne vieille bible quand elle n’est pas très chrétienne :

Les nations m’avaient environné comme des abeilles ; elles ont été éteintes comme un feu d’épines ; au nom de l’Éternel, certes je les ai détruites.

Qu’il se rassure, le psalmiste pas très bien inspiré du psaume 118, il n’y a plus ni nations, ni abeilles : c’est pour bientôt, le triomphe de la mauvaise volonté, avec toutes les blattes dans le centre commercial qui fera le tour du monde en quatre-vingts heures pour faire plaisir aux Illuminati de tout poil !

De Pagnol j’aime bien aussi la fille du puisatier, pour la jouer encore plus politique. Le métier est mytho, comme l’on dit chez moi, et puis il y a le discours du maréchal, le maréchal putain comme disent les politiquement correct, et qu’écoutent religieusement devant leur TSF les personnages, c’est-à-dire les acteurs du grand dramaturge et cinéaste. On le lui aura reproché ce passage !

Dans son génie immense, prométhéen presque à sa manière provençale, Pagnol avait trouvé les ressources pour forer, chercher de l’eau, créer des studios, devenir producteur, employer des équipes, traduire du Shakespeare et bien d’autres choses encore. Je crois même qu’il avait prévu le futur, en filmant les profs et les pions torturés dans Merlusse, en dénonçant les magouilles des édiles politiques et des générales des eaux dans Topaze, et en se demandant ce que pourrait devenir les villages en cas d’afflux des étrangers dans Manon.

 Eh bien, on le sait maintenant.

 Je finis par Céline. Lui avait compris avant Pagnol à quelle sauce les nations seraient mangées (mettez Provence à la place de sœur) :

J’aurais été curieux de savoir comment il pouvait la retrouver lui sa sœur dans une nuit pareille.

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Comments (1)

  • Justine Répondre

    C’était mon temps à moi aussi, merci pour ce bel article qui prend au ventre.

    5 novembre 2012 à 15 h 46 min

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