Trevelez et le génie de chrétien de la montagne andalouse

Trevelez et le génie de chrétien de la montagne andalouse

Nous montions, nous descendions, côtoyant les précipices, traçant des zigzags et des diagonales, car nous étions dans les Alpujarras, inaccessibles solitudes, chaînes escarpées et farouches…

 Il devient impossible ou même inutile de trouver un endroit idéal pour les vacances. La mer est sale ou mouvementée, le temps mitigé comme on dit, les prix trop élevés, il y a trop de monde, et surtout l’endroit est possédé par le boucan, les pancartes et les promotions, il a perdu son âme ou son caractère, et il n’y a plus qu’à se jeter dans les vieux films ou dans les écrits des grands voyageurs pour redécouvrit un lieu magique avec une âme, un peuple et même un physique. C’était d’ailleurs le sujet de mon livre le Voyageur éveillé, publié il y a une douzaine d’années, dans lequel je recensais les moyens de passer outre à l’homogénéisation qui ravage le monde, ses paysages, ses coutumes, sa nourriture. Mais dans son Voyage en Espagne, publié il y a déjà presque 170 ans et bien sûr toujours plus d’actualité que tous les guides des routards, Théophile Gautier écrit :

C’est un spectacle douloureux pour le poète, l’artiste et le philosophe, de voir les formes et les couleurs disparaître du monde, les lignes se troubler, les teintes se confondre et l’uniformité la plus désespérante envahir l’univers sous je ne sais quel prétexte de progrès. Quand tout sera pareil, les voyages deviendront complètement inutiles, et c’est précisément alors, heureuse coïncidence, que les chemins de fer seront en pleine activité.

Certains endroits sont encore préservés, et que je ne devrais pas nommer. Mais ma bonne volonté est la plus forte ! Je ne serais pas trop long.

Grenade est bien sûr connue pour son Alhambra saccagée par le tourisme de masse (qui n’enrichit même pas la ville, et c’est une observation que l’on peut faire partout : les touristes de masse sont des sauterelles, une vraie plaie d’Egypte) et par les horribles liftings que lui font subir sa bureaucratie. A force de retouches et de réformes, on n’a plus l’impression d’être devant un monument authentique mais sa copie. On va d’ailleurs y construire des ascenseurs ! Je me console avec le philosophe Feuerbach qui écrit à la même époque que Gautier :

Pour ce temps-ci, il est vrai, qui préfère l’image à la chose, la copie à l’original, la représentation à la réalité, l’apparence à l’être, cette transformation est une ruine absolue ou du moins une profanation impie, parce qu’elle enlève toute illusion. Sainte est pour lui l’illusion et profane la vérité.

C’est la définition de tous les monuments classiques recyclés par l’industrie touristique et la profanation restauratrice de la sur-science pédante et moderniste.

Et si l’on en a assez comme moi de Grenade (où j’ai vécu deux fois, mais où n’ai-je pas vécu !), on peut alors se rendre dans la montagne andalouse, en évitant la Sierra Nevada, bondée de skieurs en hiver et bien pelée l’été pour gagner l’autre côté (dirait Kubin), un versant bien métaphysique, bien andalou, bien mystérieux, connu aussi, mais pas encore profané. C’est la montagne sacrée des Alpujarras, que les espagnols reconquirent méthodiquement aux siècles modernes (comme on sait la toujours partisane littérature de voyage anglo-saxonne a régulièrement célébré l’image romantique des mores). Une série de pueblos blancs et suspendus au-dessus de l’homme et du temps –pour la faire à la Nietzsche ! – se tiennent le long des vallées et des barrancos, le long de la rivière Trevelez, rivalisant de beauté, de caractère, d’âme et d’énergie. C’est le château de pureté, la réserve de force.

Je vais personnellement passer l’été à Trevelez, plus haut village d’Espagne juché à quand même 1700 m d’altitude, un village connu pour ses jambons, ses châtaigniers, son froid sec hivernal, son bon climat estival (en deux jours ma tendinite avait reculé). L’intérêt de vivre sous un climat aussi tempéré est qu’on y sent moins la montagne que, le long de la rivière Trevelez, la campagne avec des champs inondés de soleil, des rosiers sauvages, des peupliers, des herbes thérapeutiques, et une harmonie naturelle rassurante, plus que celle de la montagne. La montagne, elle est là haut comme les brigands du temps jadis, et on peut aller la chercher si l’on veut : c’est le plus haut sommet de l’Espagne, c’est le mont Mulhacén. Le murmure des torrents retrouve son écho dans le chant des feuillages.

Trevelez est très bien peuplé. C’est une belle population, énergique, travailleuse, et assez prospère dans un pays ruiné par l’Europe et par le « socialisme libertaire » du bourricot  Zapatero, ce socialisme aîné du hollandisme qui a amené la démoralisation de la péninsule et son effondrement économique suite au pseudo-boom immobilier. Je note l’énergie de la population, avec ses enfants dont aucun n’est gros (c’est un exploit ici), avec ces vieillards dynamiques qui grimpent comme des cabris, avec ses ouvriers du jambon et ses services qui ne cessent d’aller et venir. Les fêtes sont là, les deux églises sont pleines, les abuelas prient pour toute la famille. Pour une fois j’ai tendance à ne pas trop maugréer sur mon époque. Le village est certes plus construit, mais plus beau et plus blanc qu’avant, quand les routes n’existaient pas et que des conditions de vie misérables obligeaient les hommes à partir en Allemagne (d’où les chroniques familiales disent qu’ils ramenèrent ordre, discipline et propreté !) ; Trevelez a pour l’instant bien résisté au progrès et à ses tentations qui ont dévitalisé l’Espagne de la movida. Mais on n’éprouve aucune nostalgie pour le début du siècle dernier ou la satanique guerre d’Espagne qui horrifia Bernanos.

Des dizaines de bouquins polyglottes proposent et décrivent les interminables balades de montagnes, les sentiers du bord de rivière, les nids d’aigle ronflants. Pour se loger pendant une longue durée, on peut louer chez l’habitant (le village est vraiment beau, réservant des points de vue stupéfiants) ou, plus brièvement, se rendre à l’hôtel Fragua, petit parador familial tenu par Antonio et sa sœur Rosa, infatigables travailleurs des montagnes. Le Fragua 1 préserve l’ambiance ancestrale avec des chambres aigues et une superbe terrasse-mirador, le Fragua 2 pour un prix modique vous concède une proximité avec la nature, une belle piscine ronde et harmonique (j’ai un faible pour certaines piscines, bassins propices à la méditation), et des chambres gigantesques. On se croirait dans un hôtel de luxe en Suisse pour le cinquième du prix et le dixième des précipitations… mais on va croire que je leur fais de la pub alors que nous allons loger chez Asunción…

Les Alpujarras sont connus aussi pour leur solide et porcine gastronomie, car rien ne vaut la cuisine familiale à base de produits de la terre. Il faut réapprendre à cuisiner, le bonheur est dans la cuisine, cette maison dans la maison, disait je ne sais quel auteur de fabliau au moyen âge. Si l’on n’aime pas Trevelez ou qu’on le trouve trop reculé, on peut s’arrêter en route dans d’autres petits mondes villageois, comme le ravissant Bubion ou Campaneira, symbole de cette résistance chrétienne et hauturière de ce qui nous reste de civilisation. C’est pourquoi je préfère recommander ce type de haut-lieu à des lecteurs choisis que d’attendre le roturier importun qui mettra fin au rêve !

Un dernier mot : l’été dans les Alpujarras, c’est deux mois de soleil !

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Comments (2)

  • Banro64 Répondre

    Bravo pour cet excellent article !
    Je ne connais pas Trévelez, ni où se trouvent les Alpujarras, mais après avoir lu l’article, on a envie d’y aller.

    2 juillet 2013 à 22 h 19 min
  • mariedefrance Répondre

    Des vacances ?

    allez à l’Ile d’Yeu (même s’il ne faut pas faire de pub)
    Et pour les yeux…… du repos : pas de prières de rue.

    2 juillet 2013 à 13 h 30 min

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