Deux leçons opposées d’économie politique

Deux leçons opposées d’économie politique

Deux événements ont marqué la semaine passée. L’un français, bruyant, l’autre américain, discret.

La France syndicale, dans une débauche de beaux drapeaux, en général rouges, a manifesté pour gagner plus tout en voulant continuer à travailler moins. Vivent les augmentations de salaires et vivent les 35 heures payées comme 39. Les syndicats avaient appelé tous les salariés à manifester. Le secteur public a répondu présent et une fois de plus la SNCF, la RATP ou les aéroports n’ont plus été au service du public. Le jour même, le gouvernement a doublé l’augmentation de salaire prévue dans la fonction publique. Elle est passée de 1 % à 2 %. L’État devra donc réduire ses autres dépenses (routes ou recherche publique par exemple), augmenter nos impôts ou augmenter notre déficit budgétaire.

Un élément intéressant doit être noté dans toutes ces manifestations : les salariés du privé, convoqués comme les salariés du public, ont brillé par leur grande discrétion. Ce qui montre qu’à l’heure de l’Europe et de la mondialisation, les salariés du privé ont compris ce qu’était l’économie de Marché et que leur entreprise pouvait aller s’installer sous des cieux meilleurs que le ciel de France. Les syndicalistes du public ont alors demandé au gouvernement de faire pression sur les patrons et le Medef, pour que les salariés du privé profitent aussi de la grève du métro ou de la SNCF. Ce que le gouvernement a immédiatement accepté de faire.

Finalement, les syndicalistes ont eu raison de manifester. Ils ont une fois de plus réussi à obtenir une augmentation de revenus aux dépens du reste du pays. Nos syndicalistes semblent ignorer que toute augmentation de salaires non accompagnée d’une augmentation de la productivité n’est que du vent. Leur augmentation de pouvoir d’achat ne peut que s’accompagner d’une diminution du pouvoir d’achat de tous les autres, par l’inflation. Nos syndicalistes utilisent le monopole des services publics pour se faire offrir par le public une augmentation de revenus. Bravo. Et Merci…

Pratiquement le même jour, Alan Greenspan, le responsable de la banque centrale américaine (la FED) donne un cours de fiscalité aux sénateurs américains. S’ils veulent que les USA deviennent encore plus riches, ils peuvent le faire. Cette plus rapide augmentation du PIB dépend d’eux. Ils doivent remplacer l’impôt sur les revenus par la TVA. L’explication donnée est lumineuse.

La TVA ne touche que les revenus qui se dirigent sur la consommation, et laisse non imposés les revenus qui sont économisés, c’est-à-dire qui sont confiés à des banques ou à des caisses d’épargne. Or les revenus économisés sont finalement investis. En remplaçant les impôts sur les revenus par la TVA, on permet ainsi aux investissements d’être plus importants. On augmente la productivité et la richesse de tous.

De plus, la progressivité de l’impôt sur le revenu fait que les gros revenus sont les plus imposés. Or ce sont justement les gros revenus qui capitalisent le plus. La progressivité des impôts réduit encore plus les capacités d’investissement du pays, donc ses augmentations de productivité.

Les sénateurs américains ont sagement écouté le patron de la FED. Alors que la sensibilité politique de Greenspan se situe probablement du côté des démocrates, les républicains ont vivement applaudi et certains démocrates ont marqué leur étonnement, mais n’ont pas hurlé.

Un monde sépare la démocratie française de la démocratie américaine.

En France, la rue impose sa loi et elle continue à dicter au politique sa conduite. On ne respecte pas le vote des électeurs. Le rouge dominait fortement dans les défilés. On croit donc encore aux idées de Marx, malgré leur effroyable échec. Enfin, les responsables politiques refusent d’écouter ce que disent les responsables monétaires. Aucune véritable réforme n’est possible. La société est bloquée dans la pauvreté et le chômage.

Aux USA, la rue n’impose pas sa loi. On respecte le vote des électeurs. Les sénateurs font les réformes qu’ils avaient l’intention de faire, en écoutant attentivement ce que disent les responsables monétaires. Et la société évolue vers encore plus de richesse.

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Comments (14)

  • itsme Répondre

    il faut aussi accuser le gouvernement et pas que les syndicats. En effet dés qu’il y a quelques manifestants dans la rue le gouvernement recule parce qu’il a peur et tient aussi à garder des voix. Si le gouvernement continue comme ça on ne pourra jamais réformer le pays. Alors plus d’autorité pour l’état est nécessaire.

    25 mars 2005 à 15 h 50 min
  • Jean-Claude Lahitte Répondre

    A Lahraoui particulièrement, salam !et à tous les autres lecteurs ou lectrices, bonjour ! oui, certes, les USA (et surtout leur actuel Président et ses néo-cons, et pas seulement eux !), et, d’une façon générale, les pays prétendus “riches” qui finiront par crever à force d’aider et surtout d’accueillir “toute la misère du monde”, sont ceci et/ou cela comme vous pensez pouvoir le prétendre, mais la plupart des pays soit-disant(ou prétendus) “pauvres” (qui, pour la plupart, disposent de ressources naturelles qu’ils sont incapables de mettre en valeur) pourraient songer qu’il est plus que temps de se prendre en main, à exploiter leurs richesses naturelles, à ne pas laisser croître et multiplier une population dont l’excès accroît la misère (je ne parle pas là d’IVG: comment faisaient nos, vos, ancêtres ?),à ne pas sombrer dans l’assistanat permanent (“un peuple d’assistés n’est pas un peuple de gens libres!” a dit Maurice DRUON)en laissant leurs dirigeants tendre continuellement la sébile en leur nom sous le prétexte d’aider au développement du pays (alors qu’ils en profitent pour s’en mettre plein les poches, en ne laissant que des miettes à “leur” peuple, ce qui les rend complices des “pays riches” qui les arrosent !), etc. Les USA (pour ne parler que d’eux, ne sont forts que de nos faiblesses… Et je m’adresse là particulièrement aux élites qui, ayant fait leurs études (souvent brillantes) en Occident, se gardent bien d’aller mettre leurs capacités au service de leur pays. Et, quand ils y retournent, c’est le plus souvent pour exploiter à leur tout leurs “frères”. Je ne me souviens plus comment on dit “Aide-toi le Ciel d’aidera” en arabe… Courtoisement vôtre, Jean-Claude Lahitte

    24 mars 2005 à 14 h 59 min
  • LAHRAOUI Répondre

    usa est une societe qui vit sur le dos des autres en massacrant ,en terrorisant,en colinisant , en volant et spoliant la richesse des pays pauvres

    23 mars 2005 à 22 h 17 min
  • SAS Répondre

    A pierre, le deficit américain est abyssal…mais la balance des paiements équilibrée=bonne gestion américaine Le problème n’est pas là et que les américains font marcher la planche à billets US (c’est pour cela qu’on a mis en route l’euro)…DANS LE COMMERCE PROPRE AU USA cela ne représente qu’une goutte comparée aux echanges mondiaux qui se font eux en US dollars….LE PROBLEME C EST QUE NI LES FRANCAIS NI LES AUTRES PAYS du monde(à quelques exceptions)n’ont les moyens de continuer à payer le train de vie des”yankees”…(fond de pension ultralibéral et spéculateurs)ni les moyens ,ni l’envie d’ailleur…Et comme l’euro est une fumisterie minée de l’intèrieure(angleterre,italie…pays de l’est et bientot la turquie)…LE PROJET INITIALE POUR S OPPOSER AU PAIEMENT MONDIAUX EN DOLLARS EST UN MYTHE… sas

    22 mars 2005 à 21 h 40 min
  • gustave rodriguez Répondre

    salut aux internautes pierre et m. Lahitte.. j’espere que ces propos ne vont énerver personne. il y a poudre aux yeux puisque google vaut plus en bourse que general motors ou ford. harley davidson vaut plus que renault. Le marche US des valeurs est surévalué. l’endettement US pour 2010 devrait etre de 12000 milliards de dollars d’apres le new york times (je sais c’est un canard de gauche anti-américvain…) les USA vivent aux crochets du Monde, aves l’assentiment il est vrai des Asiatiques. Dans les 4verites Tremeau critique tout le temps nos deficits : que dire de ceux de Bush ? Il a fait la politique de ses sponsors, comme son père, pas de ses électeurs. je trouve pqr ailleurs que Bush n’est ni liberal ni de droite : son discours d’investiture démocratiste était pitoyable (qu’auraient dit les américomaniaques s’il s’était agi de Clinton???) de messianisme progressiste ; il ne cesse d’intervenir dans l’économie par le biais de deficits keynesiens abyssaux et de budgets militaires effranats (la moitié des dépenses militaires mondiales TOUT DE MEME) ; ET il interdit maintenant l’euthanasie dans le cas de la malheureuse dont tout le monde parle. Tout ce que l’on peurtdure de lui et des USA c’est qu’il n’a pas que des défauts comme Chirac et l’UMP ; mais ce n’est pas une raison pour l’encenser en permanence.

    22 mars 2005 à 15 h 13 min
  • gustave rodriguez Répondre

    salut aux internautes pierre et m. Lahitte.. j’espere que ces propos ne vont énerver personne. il y a poudre aux yeux puisque google vaut plus en bourse que general motors ou ford. harley davidson vaut plus que renault. Le marche US des valeurs est surévalué. l’endettement US pour 2010 devrait etre de 12000 milliards de dollars d’apres le new york times (je sais c’est un canard de gauche anti-américvain…) les USA vivent aux crochets du Monde, aves l’assentiment il est vrai des Asiatiques. Dans les 4verites Tremeau critique tout le temps nos deficits : que dire de ceux de Bush ? Il a fait la politique de ses sponsors, comme son père, pas de ses électeurs. je trouve pqr ailleurs que Bush n’est ni liberal ni de droite : son discours d’investiture démocratiste était pitoyable (qu’auraient dit les américomaniaques s’il s’était agi de Clinton???) de messianisme progressiste ; il ne cesse d’intervenir dans l’économie par le biais de deficits keynesiens abyssaux et de budgets militaires effranats (la moitié des dépenses militaires mondiales TOUT DE MEME) ; ET il interdit maintenant l’euthanasie dans le cas de la malheureuse dont tout le monde parle. Tout ce que l’on peurtdure de lui et des USA c’est qu’il n’a pas que des défauts comme Chirac et l’UMP ; mais ce n’est pas une raison pour l’encenser en permanence.

    22 mars 2005 à 15 h 13 min
  • Thierry Répondre

    Petites précisions incidieuses dans ce débat de comptables: Il y a 4 ans, le déficit de la France était inférieur à 3%, le taux de chômage à 8%(après avoir baissé d’un tiers en 3 ans),la croissance était supérieure à la moyenne européenne et les comptes sociaux étaient en équilibre. Dans le même temps, les impôts sur le revenu baissaient, notemment sur les bas salaires alors que la vignette auto était supprimée et la T.V.A réduite d’1 point. Il faut dire qu’alors la France était gouvernée par les vrais libéraux: ceux qui savent faire accepter aux Français une économie de marché. C’est d’ailleurs durant cette période que la productivité a battu tous les records sans provoquer une vague de revendications. Vous êtes libéraux, votez socialiste.

    22 mars 2005 à 13 h 34 min
  • Ameladius Répondre

    Succulent, de voir nos antiamericains habituels tomber dans le panneau de la propagande de gauche des medias. Le deficit des USA n’est pas ABYSSAL comme vous le croyez, ou comme vous l’avez gobe. Ramene a leur PIB il est de 3.6% Or le notre est de 3.7 % Celui de l’Allemagne 3.9 %. Les USA ont un deficit du meme ordre que nos pays europeens “modeles”. Sauf que nos pays europeens, n’ont pas augmente leur depenses militaires, ni finance la reconstruction de l’Irak. Donc, les USA font mieux que nous. Ensuite, la france est en DEFICIT interrompu depuis 30 ans. Alors que les USA alternent deficit et excedent. Ex sous Clinton, ils etaient excedentaire.

    21 mars 2005 à 15 h 32 min
  • Pierre Répondre

    Bonjour gustave rodriguez. Je tenais juste à faire une ou deux petites remarques. La balance commerciale américaine est de plus en plus déficitaire en effet mais bastiat nous l’a bien montré dans ses sophismes, est-ce vraiment important ? Le plus important est que la balance des paiements soit équilibrée et elle l’est ce qui montre le dynamisme de l’économie américaine. De plus concernant leur impossibilité à innover ou à construire des voitures: http://www.fuelcellsworks.com/Supppage1367.html Il faut aussi se rappeler qu’ils ont inventé Internet qui nous permet aujourd’hui de discuter, Le GPS, ils ont marché sur la lune et le feront bientôt sur mars….. Pas si mal pour de la poudre aux yeux. Cordialement.

    21 mars 2005 à 14 h 53 min
  • Simon Répondre

    Pour nous, le 19ème siècle ne semblerait pas si loin avec les prochains votes et vous nous parlez d’irresponsabilité des syndicats ????? Mais c’est un comble !!!!! Mes arrières grands-parents d’origine belge ont connu la misère lors de leur arrivée en France. De ce passé, un témoignage subsiste que je vous soumets, éléments d’investigation qui ne peuvent que vous aider pour appuyer vos idées sur cette dérive libérale du droit au travail. Nous ne voulons pas revivre cela, c’est pour cette raison que ce sera NON !!!! L’IMMIGRATION OUBLIÉE Face au patronat ~ Dans la saga de l’immigration belge, les patrons français furent portés par « l’optimisme de l’élan libéral. Ils étaient animés par une logique du profit libre d’entrave. En effet, les lois de 1791 qui supprimèrent les corporations, interdirent aussi les mutuelles et les syndicats et tout ce qui était susceptible de gêner la liberté d’entreprendre. Elles entretenaient le mythe de l’égalité du patron et de ses employés dans l’individualisme le plus strict. De fait, jusqu’en 1864, on croyait par exemple le patron « sur son affirmation » en cas de différend avec ses ouvriers sur le paiement d’un salaire. Les grévistes étaient passibles de prison car la grève était considérée comme un délit. Par la pratique du livret ouvrier, les salariés se trouvaient de fait à la merci du patron. Sans livret, un ouvrier n’avait pratiquement plus de moyen d’être embauché et risquait de devenir vagabond. Cette situation était délicate après la promulgation de lois sous la Révolution et l’Empire qui s’attaquèrent à l’éradication du vagabondage. Les patrons surent user, voire abuser de la masse des immigrés belges que des problèmes de livret ouvrier ou la menace d’expulsion maintenaient dans un état de dépendance, en particulier les insoumis et les déserteurs de la milice. Ils pratiquèrent un certain double langage en détendant à la fois le travail national tout en recherchant le moindre coût salarial par l’emploi de travailleurs belges moins payés et facilement licenciables. C’est ainsi que les Chambres de commerce s’opposèrent au prolongement des lignes de tramway jusqu’à la frontière « pour éviter la venue trop facile d’ouvriers belges qui auraient concurrencé les ouvriers français » mais dans le même temps elles engageaient des hommes, des femmes et des enfants, mal rémunérés, pour s’opposer aux demandes d’augmentation de salaire des ouvriers français. Les femmes et les enfants constituaient également un volant de main d’ œuvre plus facile à comprimer que celui des hommes. On écrivait en 1827 que « par des instructions sagement combinées, on peut répandre chez le sexe faible des connaissances et des talents qui créeront la concurrence la plus avantageuse entre le travail de l’homme et celui de la femme. » Femmes, enfants, immigrés, mêmes conditions. Les contrats de travail étaient conclus de gré à gré mais le patron était en fait en position de force. Il pouvait renvoyer aisément les ouvriers belges, réduire leurs salaires et leur temps de travail en période de crise ou au contraire faire appel à eux quand le besoin s’en faisait sentir. Avec la mécanisation toujours plus poussée, les travailleurs à domicile, les artisans en atelier, et de nombreux ruraux du Nord et d’ailleurs, gagnèrent progressivement les usines. Il fallut les mettre au travail en contrôlant leur respect des horaires et leur assiduité ainsi que leurs déplacements à l’intérieur de l’usine. C’était l’objet du règlement intérieur, défini par le patron et affiché à l’entrée de l’usine, qui se présentait sous forme d’une liste d’interdits, avec des sanctions et des amendes en cas de transgression. Le libéralisme permit le développement spectaculaire de la production et des échanges mais engendra une problématique sociale en France et encore plus en Belgique. Ce n’est qu’à la fin du siècle que l’on passa de la charité à la solidarité. La peur de l’accident et de la maladie Avant 1898, et la loi d’indemnisation des accidents du travail, l’ouvrier devait prouver qu’il n’était pas responsable de l’accident qui le frappait. Cette loi du 9 avril 1898, présentée par le député-maire de Tourcoing Gustave Dron, ne reconnaissait cependant aucun droit aux travailleurs étrangers qui ne résidaient pas en France. C’était le cas des frontaliers ou des saisonniers belges. Par ailleurs, si un ouvrier étranger, pensionné à la suite d’un accident du travail, retournait dans son pays, il cessait de percevoir sa pension mensuelle. L’Administration lui versait alors un capital de trois mois de pension pour solde de tout compte. Deux raisons étaient évoquées pour justifier cette attitude d’une part la difficulté de suivre les bénéficiaires de pension vivant à l’étranger et d’autre part celle d’atténuer les effets d’une mesure sociale susceptible d’attirer des travailleurs étrangers ne bénéficiant pas des mêmes couvertures dans leur pays. Cette loi, qui établissait une réelle ségrégation à l’encontre des travailleurs étrangers, suscita un véritable tollé en Belgique. Elle fut également critiquée par le patronat français, mais pour d’autres raisons: la Chambre de commerce de Roubaix, en 1899, y voyait une augmentation des charges des industriels qui employaient « des pères de familles français » et les incitaient par là-même à engager des célibataires et des frontaliers « ce contre quoi la morale et le patriotisme ne peuvent se lasser de protester ». I.es retraités étaient rejetés par l’usine « comme la mer rejette les épaves ». Les travailleurs belges en France furent exclus du système de retraite car la Belgique n’avait rien à offrir en compensation aux travailleurs français en Belgique. Son système de retraite ne sera en effet mis en place qu’en 1924. Cependant, vers 1900, la position des travailleurs belges en France s’améliorera grâce à des conventions passées entre les deux pays. Jusqu’à la fin du siècle la peur de l’accident et de la maladie fut toujours présente dans les familles ouvrières, mais chez les Belges, oubliés dans la loi de 1898, cette peur dura plus longtemps. Le sort des immigrés belges fut encore plus dur que celui des paysans, des ouvriers ou des mineurs français. Nous allons voir quelle fut leur image dans la population d’accueil jusqu’à la Première Guerre mondiale et même au-delà. Le rejet xénophobe La vie des immigrés belges en France ne fut pas toujours rose dans ce domaine, loin s’en faut ! De l’agressivité verbale à l’émeute populaire, en passant par la rixe, la grève ou la manifestation, tout révèle la permanence des comportements xénophobes à l’égard des Belges. Il y eut même des reconductions en masse d’immigrés à la frontière. Les périodes xénophobes coïncidèrent toujours étroitement avec des crises. La récession, qui frappait les Français, dans leurs conditions de vie, excitait leur rancœur vis-à-vis des étrangers qui leur enlevaient « le pain de la bouche ». Ce n’est pas le conflit culturel qui entraînait cette tension mais la très pragmatique lutte pour l’emploi. Les frontaliers, qui ne dépensaient presque rien en France, ou les jeunes immigrés qui voulaient échapper au service militaire, étaient particulièrement visés. Le patronat sut utiliser les immigrés belges à bas prix pour contrer les demandes d’augmentation de salaire des autochtones. Ils leur firent jouer le rôle de « jaunes » dans la longue litanie des conflits sociaux du XIXème siècle, ou s’en servirent pour remplacer les citoyens appelés sous les drapeaux lors des périodes militaires ou à l’occasion de la mobilisation de 1870. Cet antagonisme n’a pas toujours eu le même aspect. Au début du XIXème siècle, les crises, entraînant leur cortège de chômage et de misère, donnèrent lieu à des manifestations contre les étrangers pour les renvoyer chez eux. Il y eut des manifestations contre des mécaniciens anglais à Charenton en 1837, des ébénistes allemands au Faubourg Saint-Antoine en 1839 ou des mineurs italiens à La Grand-Combes en 1840. Elles auraient pu tout aussi bien avoir lieu contre des migrants auvergnats ou bretons à partir du moment où ceux-ci auraient mis en danger les salaires et les emplois locaux. Dans le Nord de la France, ce fut contre des Belges que cet antagonisme joua. Des études mettent en lumière la constante agressivité antibelge dans la région. Dès 1819, des tisserands gantois furent molestés à Roubaix ce qui entraîna une première vague de retours. Au milieu du siècle, de nombreuses manifestations s’opposèrent au déferlement des « mendiants belges ». Dans l’arrondissement de Dunkerque, la misère des paysans français était identique à celle de leurs cousins belges car les crises linière et frumentaire ignoraient la frontière qui les séparait. La déception des ouvriers nordistes devant l’incapacité de la IIème République à améliorer leur sort contribua à les dresser contre ces « mendiants » qui étaient prêts à accepter n’importe quel travail à n’importe quel prix. A Lille, la foule demandait leur renvoi dans leur pays aux cris de « A mort, les Belges ! ». Sommé de renvoyer immédiatement ses 150 ouvriers belges, un patron lillois déclara assez courageusement « qu’il ne le ferait que quand il pourra remplacer ses ouvriers flamands par d’autres qui pourraient faire aussi bien » rapporte Pierre Pierrard. La Compagnie des chemins de fer du Nord fut invitée à les prendre en charge gratuitement dans ses trains pour les reconduire en Belgique. Aux ateliers de cette compagnie à Lille, comme au chantier du canal de Dunkerque, des travailleurs belges furent contraints d’abandonner leur travail et de quitter la ville, sous une escorte de gendarmes à la demande du maire. Des terrassiers belges employés à la construction du canal de Caen à la mer furent également l’objet de vexations de la part d’ouvriers français. Dans les Ardennes, des cloutiers wallons furent victimes d’une véritable émeute. Ils durent fuir et leurs ateliers furent détruits. La justice française acquitta les meneurs. A Dunkerque, quand un navire entrait dans le port, des ouvriers français se portaient sur le quai de déchargement pour empêcher les Belges d’y travailler. Un placard invitait d’ailleurs les Dunkerquois « à chasser ces foutus Belges qui viennent voler notre pain ». Vers 1850, à la frontière tourquennoise, des ouvriers pratiquèrent une véritable chasse à l’homme dans les campagnes pour débusquer les journaliers belges et les conduire, ligotés, à la police afin qu’elle les expulse. Il en fut de même à Sedan et cette fois avec l’aide de la garde nationale. En 1848, à la suite du piteux échec de la Légion belge qui devait « libérer la Belgique de la royauté », Le Messager du Nord écrivait: « Pendant que ce pays stupide attaque nos concitoyens, (des Français avaient été pris à partie en Belgique] un grand nombre de Belges qui n’avaient pas assez de cœur pour délivrer leur pays du joug infâme qui pesait sur elle [la royauté] restent parmi nous et enlèvent aux Français le pain du travail. Qu’ils aillent mourir de faim dans leur pays, ce ne sera que justice. » Le Second Empire fut globalement une période calme. La police veillait au bon ordre dans les rapports entre ouvriers français et belges. La menace d’une expulsion brutale était suspendue comme une épée de Damoclès au-dessus de chaque émigré. Après la défaite de 1870, une poussée nationaliste se fit jour. Certes, des Belges résidant en France s’étaient engagés volontaires pour combattre auprès des Français dans le combat mené par le gouvernement de la Défense nationale, mais en même temps à Ostende, en Flandre maritime, on avait défilé aux cris de « Vive la Prusse ! » Les jeunes Belges vivant en France, qui ne répondaient pas à l’appel de la milice de leur pays et qui récusaient également leur inscription sur les listes de recensement en France, échappaient à « l’impôt du sang » dans les deux pays. Le jeune historien belge Eric Janssens précise ainsi que dans « les quartiers belges de Lille, on compte de nombreux individus recherchés par la justice de leur pays et des déserteurs qui n’ont pas voulu rester sous l’uniforme […] de l’armée belge. » A la fin des années 1880, la société française, touchée par la grande dépression, opta pour le protectionnisme qui n’était pas qu’une simple question de droits de douane mais concernait l’ensemble de la vie économique. Une conception résolument conservatrice de l’identité française et la demande d’une protection du travail national apparurent dans les débats parlementaires et dans la presse au cours de la IIIe République. La xénophobie devint un argument d’autant plus répandu qu’elle rencontrait un écho favorable au sein d’une population traumatisée par la crise économique. La multiplication des néerlandophones et des frontaliers envenima la situation dans le Nord en cette fin de siècle. Le discours xénophobe qui opposait les étrangers (Eux) aux Français (Nous) se retrouvait même dans les chansons patoisantes créées pour le carnaval: ainsi Les Pots au Burre ou la Peste à Roubaix était une chanson qui traduisait parfaitement en 1897 I’ hostilité des autochtones à l’égard des Belges. La rue n’était pas la seule à manifester son hostilité ou son mépris. En 1873, un membre de la Société d’émulation de Roubaix, qui à cette époque regroupait des notables roubaisiens, parlait ainsi des Flamands: « Je continue ma promenade [à Roubaix] et je n’entends qu’un jargon barbare qui est tout simplement du flamand mélangé. » Cette association soulignait également le grand nombre d’immigrés belges qui ne pouvait que développer l’alcoolisme et la prostitution, ou que créer un danger militaire et constituer une perversion de la race, relève Bernard Grelle dans Les Cahiers de Roubaix. C’est ainsi que l’on taxait les Belges de propager la variole car ils ne se faisaient pas vacciner. Ne parlons pas d’autres maladies prêtant aux fantasmes comme la tuberculose ou les maladies sexuellement transmissibles. Une véritable campagne antibelge fut orchestrée par la ligue de défense des intérêts du commerce et de l’industrie. Toute manifestation d’ostracisme courant trouvait systématiquement un écho favorable dans une presse nationaliste. Celle-ci fut d’une violence inouïe lorsque le recensement de 1881 fit apparaître que le nombre des étrangers en France dépassait le million, (dont 45 % de Belges). L’lndicateur de Tourcoing et de Roubaix déclara en mars 1883 que « ce fait était plus désastreux, mille fois, que tous les fléaux réunis de la peste, de la fièvre typhoïde, du phylloxéra et de l’invasion. » En septembre de la même année, ce journal suggéra que « nos voisins, au lieu d’aller civiliser les nègres du Congo, feraient bien de civiliser les naturels de certaines contrées flamandes. La Belgique, ajoutait-il encore, nous envoie la fleur de sa population et les tribunaux passent les trois quarts de leur temps à juger des émigrants d’ignobles espèces. » Pour cette presse locale, le Belge était par essence voleur et fraudeur. « La plupart des vols ou tentatives de vol qui se produisent dans la région ont pour auteurs des Belges à qui la proximité de la frontière offre un moyen facile de trouver refuge », écrivait I:Indicateur de Tourcoing et de Roubaix. Certes, des Belges, en froid avec leur justice, venaient en France se faire oublier et chercher un abri. Par ailleurs, la proximité de la frontière séparant deux pays où dans l’un – la Belgique – la vie était 20 % moins cher que dans l’autre était une invitation à la fraude et à la contrebande, en particulier pour ceux dont les conditions de vie étaient difficiles. Certains diront aussi que frauder l’Etat est, chez les Belges, un penchant naturel. Bonne lecture. Serge

    21 mars 2005 à 9 h 06 min
  • Jean-Claude Lahitte Répondre

    Gustave Rodriguez (que je salue au passage) a raison d’évoquer les déficits colossaux des USA. Elle est la marque d’une maladie chronique qu’avait dénoncée, au début du siècle dernier, Napoleon HILL chez la majorité des Américains qui ontl’habitude de vivre à crédit, en prédisant d’ailleurs la faillite des Etats-Unis d’Amérique. Il aurait pu évoquer aussi la dette tout aussi colossale des USA. Mais, en tenant compte des populations respectives, des PIB respectifs, etc. la France est-elle en meilleure situation ? Certes, il y a le bas de laine cher aux Français, mais ceux-ci – modernisme exige ! – sont de plus en plus atteints de consomérisme. Sans parler du fait que le fisc se charge d’aller fouiller au plus profond des poches… Il n’en demeure pas moins vrai qu’il y a une différence essentielle que relève bien l’article de Bernard TREMEAU: à savoir que, de ce côté de l’Atlantique, nous avons à faire à des syndicats qui, outre qu’ils en sont restés à la “lutte des classes”, n’ont ni la fibre patriotique,ni même l’esprit-maison pour la défense de la survie de leur entreprise. Et comme, des surcroît, l’Education nationale, tout comme Mai 68, ont fait perdre le goût du travail (bonjour l’assistanat !) et de l’esprit d’entreprise,à une masse de plus en plus analphabète qui fait là où on lui dit de faire, cela ne facilite pas la tâche de gouvernants au demeurant aussi veules qu’incompétents, coupés des véritables réalités, pas seulement économiques, eux-mêmes gouvernés par des hauts-fonctionnaires dont ils sont généralement issus. Et c’est ainsi que de gouvernements de gauche en gouvernements de droite, la France se porte (et se comporte !) de plus en plus mal … Pour le plus grand plaisir de l’oncle Bush ! Cordialement vôtre, Jean-Claude Lahitte PS. Je ne sais pas si l’idée – chère à B.T. – de supprimer l’impôt sur le revenu (il faudrait d’ailleurs commencer par l’IGF, quand on voit ce qui se passe à l’Ile de Ré avec la spéculation immobilière !)et de le remplacer par la TVA est bonne. Mais si elle pouvait entraîner la diminution du nombre des agents du fisc (on peut rêver !), en même temps que l’angoisse de la feuille d’impôts, pourquoi pas ?

    20 mars 2005 à 23 h 10 min
  • Bourbaki Répondre

    L’idée est donc de faire en sorte que les riches soient encore plus riches, au dépens des plus pauvres. Des “luminosités” comme celle-là, j’en ponds tous les matins entre le café et les tartines…

    20 mars 2005 à 22 h 16 min
  • parsifal Répondre

    si remplacer l’impot sur le revenu par la TVA suffisait pour accroitre la richesse de tout le monde, ça se saurait depuis longtemps ! je doute fort que les titulaires de hauts revenus et les banques financent avec l’argent que le fisc ne leur aura pas pris, encore plus de projets de création d’entreprises…

    20 mars 2005 à 17 h 53 min
  • gustave rodriguez Répondre

    comment justifier les 666 milliards de déficits des comptes courants aux USA ? il est facile de jouer au mentor quand les débiteurs asiatiques ne cessent de financer l’énorme consommation américaine qui débouche sur … l’obésite et sur des déficits commerciaux de 60 milliards de dollars par mois. les USA n’ont qu’à émettre du dollar pour payer tout cela. mais jusqu’à quand ? Leur économie ne repose que sur la poudre aux yeux technologique, l’armée – et comment… – et les images. Une nouvelle union sovétique ? ils sont incapables de produire des machines ou des automobiles modernes, et sont même devenus déficitaires pour les biens agricoles, un comble pour le pays du Food Power. L’administration US joue avec le feu, Greesnpan, comme l’a vu Bonner, est un apprenti-sorcier qui a multiplié par vingt le nombre de dollars pour maintenir un pouvoir d’achat factice. En réalité ce n’est que la peur asiatique qui joue en faveur du maintien aléatoire de cette puissance virtuelle. Une puissance économique qui repose sur les hausses de l’immobilier et le bon-voulouir de débiteurs auax abois n’est pas à prendre en exemple. penchez-vous plutôt sur Singapour, la Nouvelle-Zélande ou la Finlande.

    20 mars 2005 à 14 h 33 min

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