Gênes et les limites de l’ultra-libéralisme

Gênes et les limites de l’ultra-libéralisme

Il a fallu 43 morts dans l’effondrement du viaduc d’autoroute de Gênes pour que les dogmes et les tabous de la doxa ambiante et européenne soient critiqués, interpellés, voire remis en cause.

Dans ce drame survenu à Gênes, il y a peut-être aussi les dimensions propres de la réalité politique italienne, trop bien connues, sur la « déperdition des crédits publics ».

Sous l’effet conjugué du dogme des 3 % de déficit budgétai­re, de l’ultra-libéralisme, du tout-concurrence de la Commission de Bruxelles qui pousse aux privatisations, les États européens ont sabré dans leurs investissements et privatisé, en confiant aux entreprises des missions jusqu’alors exécutées par des entreprises publiques ou en régie. La gestion publique est devenue l’art de l’externalisation !

En France, les investissements ont été fortement réduits. Ils représentent, dans le budget 2018 de l’État, 3,6 % soit 12,9 Mds d’euros sur un total de 354,4 Mds de dépenses.

Tout cela au nom de la réduction de la dépense publique et du diktat de Bruxelles, apôtre du tout-concurrence.

Certains vont hurler en dénonçant l’excessive dépense publique et le haut niveau de la charge de la dette (qui est, en effet, de 41,2 milliards en 2018, soit 11,6 % du budget) et ils défendent bec et ongles la baisse des dépenses, les privatisations, y compris de certains monopoles, les concessions et la concurrence.

C’est là qu’il faut se poser une question : l’endettement de l’État était-il inéluctable ? L’État est-il une personne privée ou a-t-il des missions propres qu’il doit remplir en toutes circonstances ?

Doit-il, pour se financer, recourir obligatoirement à l’emprunt sur les marchés comme les personnes privées et entreprises ?

Non ! Il fut un temps où il recevait des avances de la Banque de France au Trésor à taux faibles ou même nuls. C’était l’époque de la IVe République et du début de la Ve – méthode honnie des libéraux et encadrée d’abord par une loi de 1973, puis interdite par le Traité de Maastricht (1992).

Il est vrai que cette interdiction est contournée aujourd’hui par l’assouplissement quantitatif de la BCE, mais cette création monétaire bénéficie d’abord aux banques qui ne répercutent pas toujours facilement leurs capacités à l’économie réelle.

Une chose est certaine : si on avait continué les avances de la Banque de France au Trésor, la dette de l’État serait proche de zéro !

Les contempteurs de ces avances font remarquer qu’elles sont à l’origine de l’inflation à deux chiffres qui avait cours à cette époque. Mais tout est affaire de dosage. Aujourd’hui, ce risque est irréel et la BCE a bien du mal à atteindre son objectif de 2 % d’inflation.

L’externalisation des missions de l’État peut se révéler pleine de déconvenues et le recours systématique au privé pour accomplir des missions de service public peut atteindre rapidement de singulières limites.

L’État version Thatcher l’illustre parfaitement. Sait-on que la crise de la vache folle provient du manque de réactivité du gouvernement anglais par manque d’informations centralisées en raison de la suppression du service vétérinaire public du ministère de l’Agriculture au profit des vétérinaires libéraux ?

Mieux encore : l’armée britannique a supprimé son service de santé militaire et a fait appel à des médecins civils, lesquels ont refusé d’intervenir dans des opérations de guerre. Ce sont les médecins militaires français qui sont venus à la rescousse des soldats anglais.

De plus, l’externalisation a un coût non négligeable. On n’a jamais vu des entreprises travailler gratis pro Deo ou pour les beaux yeux des contribuables, et c’est légitime !

Mais il faut aussi tordre le cou au mythe de l’efficacité et de la performance du secteur privé à comparer au secteur public. En réalité, il n’y a pas d’expérience définitive qui permette à un secteur de l’emporter sur l’autre, cela dépend du secteur considéré ! Il n’est d’ailleurs pas rare qu’une mission concédée soit reprise en régie ou l’inverse. Il ne faut être lié par idéologie.

La réalité d’aujourd’hui est simple : l’ultra-libéralisme a atteint ses limites, le tout-concurrence de la Commission de Bruxelles également. Il est urgent que les États reprennent la main et assument leurs missions de service public, sans oublier de faire des réformes de structure qui sont seules sources d’économies.

Mais, là où ils doivent agir, notamment en matière de sécurité, on ne mégote pas ! Gênes en est l’exemple. À nous d’en tirer toutes les conséquences.

 

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Comments (14)

  • Gérard Pierre Répondre

    « Si l’on aspire seulement à doter d’un nombre croissant de biens un nombre croissant d’êtres, sans se soucier de la qualité des êtres ni de celle des biens, alors le capitalisme est la solution parfaite. » Nicolás Gómez Dávila – Aphorismes.

    23 août 2018 à 16 h 10 min
    • quinctius cincinnatus Répondre

      c’ est ce que je m’ applique à dire aux admirateurs de … Trump !

      25 août 2018 à 19 h 18 min
      • HansImSchnoggeLoch Répondre

        // admirateurs de … Trump //

        Entre rien et quelque chose même sans qualité il y a un gouffre.
        Cela s’appelle la pauvreté.
        Je ne vois pas le lien entre ceci et Trump que vous ramenez à toutes les sauces.
        C’est votre point de vue mais pas forcément le bon.

        Du fait de la réduction du chômage la pauvreté diminue aus USA même pour les Noirs.
        Obama n’avait d’ailleurs pas fait grand chose pour eux, à part répéter “yes we can”.

        Peut-on en dire de même en France ou le chômage stagne depuis des années?
        L’inverseur de courbe de chômage a laissé la place au charmeur de startups?
        Where is the beef?

        25 août 2018 à 22 h 17 min
        • HansImSchnoggeLoch Répondre

          Correction: …la pauvreté diminue auX USA.

          26 août 2018 à 11 h 00 min
        • Gérard Pierre Répondre

          Dans la citation de Nicolás Gómez Dávila, le mot qui me paraît central est « seulement » !

          Cela suggère que le capitalisme, tel qu’actuellement pratiqué, ne constitue qu’un palier temporaire, nécessaire mais pas suffisant, pour sortir du premier niveau de pauvreté, ……. et qu’ensuite un système plus élaboré doit lui succéder pour satisfaire au critère qualitatif des biens afin de prendre en compte l’aspect qualitatif des êtres !

          …… étant bien entendu que cet autre système ne saurait être le socialisme et ses variantes qui ne se sont jusqu’à présent singularisés que par leurs échecs répétitifs et multiformes ! …… Sur le plan expérimental, le doute n’est plus permis !

          27 août 2018 à 7 h 56 min
          • HansImSchnoggeLoch

            Cette citation doit être ramenée à ses justes proportions.
            Avant de passer au monde merveilleux où “à chacun(e) selon ses besoins, à chacun(e) selon ses moyens” il y a des étapes qui ne peuvent être brulées.

            Pour le moment le capitalisme est le meilleur moyen d’assurer la survie de millions de personnes.
            C’est une course contre la montre entre l’augmentation de la population et la disponibilité des biens surtout là où il y a le plus grand nombre de nécessiteux.
            Par exemple je viens de lire qu’au Niger chaque mâle produit en moyenne 12 gosses, Sachent que la polygamie existe dans ce pays on n’est pas étonné de ce ce nombre élevé.
            Ici en Europe, par sagesse, la natalité diminue, mais nos bien-pensants veulent nous imposer le trop-plein africain.
            Où est la logique?

            À mon avis chacun(e) de nous est son propre chantier, la somme de ce qui en émergera sera notre avenir commun.
            J’appellerai cela l’individualisme au service de la communauté.

            Surtout ne pas laisser intervenir des groupes on a vu ce qu’il pouvait en résulter dans le passé.

            27 août 2018 à 8 h 25 min
          • HansImSchnoggeLoch

            Correction:: SachAnt que la polygamie …

            27 août 2018 à 8 h 28 min
  • HansImSchnoggeLoch Répondre

    L’état français collecte beaucoup de taxes sur les usagers de la route.

    Voir l’excellent article:
    “Comment l’État français a laissé tomber ses routes”
    sur le site “contrepoints.org”

    Ci-dessous un extrait:

    // On dit souvent que “la route est subventionnée”, ce qui est techniquement vrai, mais ce faisant, on ignore que les usagers de la route, particuliers ou professionnels, paient des taxes de roulage très importantes. Ces taxes spécifiques sont en forte croissance depuis 10 ans, passées de 36 Md€ en 2008 à 42 Md€ en 2016.

    Ces taxes sont principalement :

    la taxe sur les produits pétroliers (TICPE) : 28+4 milliards ;
    les taxes sur les contrats d’assurance auto : 5 milliards ;
    les taxes sur l’immatriculation : 2 milliards ;
    les amendes routières : 2 milliards ;
    le reste provenant de taxes diverses sur les véhicules professionnels., //

    Un autre extrait:
    //En cumulant État et collectivités, les dépenses routières totales sont donc passées de 17,1 à 13,3 Md€, la chute étant plus marquée encore pour l’investissement, de 11,8 à 7,2 milliards (-39%).//

    On peut se demander où est passé la différence: 42 Md€ – 13.3 Md€ ~29 Md€
    Uitlisée pour les migrants aux dépens de l’infrastructure routière ???
    Question à poser à vos élus.

    21 août 2018 à 14 h 03 min
    • KAVULOMKAVULOS Répondre

      “Les usagers de la route paient sous forme de taxes diverses : carburant, assurance, etc…” et contribuent de ce fait à alimenter la cagnotte qui devrait permettre d’entretenir le réseau. C’est sauter un peu vite à la conclusion : il eut fallut écrire ” la plupart des usagers et surtout nationaux…” En quoi les camions étrangers qui traversent la France en ayant fait leur plein hors frontières, avec des véhicules parfois polluants ou surchargés et qui bousillent les ex RN (voir la traversée des Landes) pour éviter les péages, contribuent ils à quoi que ce soit? Pratiquement aucun ne s’arrete dans un restau, ni a l’hotel et quand ils stoppent à une station service, c’est pour aller chier et utiliser les douches gratuites. Le jour où ces gens devront payer le parcours comme en Suisse par exemple, ce sera une autre histoire. Pour le moment nous récoltons les nuisances et aucune contre partie. De plus les règles européennes leurs permettent maintenant de faire du cabotage sans être enregistrés nulle part chez nous. C’est l’Europe à la carte dans un pays qui ne sait pas se faire respecter. En un sens c’est du même tonneau que les produits made in Spain, arrosés de pesticides interdits chez nos producteurs – decision européenne- mais utilisés par les adorateurs de migrants. Quand nos élites interdiront à nos agriculteurs l’usage du Roundup sans qu’il y ait un autre choix, croyez vous quel les autres vont se gêner : les notres crèveront encore plus vite et vous boufferez les produits bien aspergés d’ailleurs.

      23 août 2018 à 0 h 09 min
  • HOMERE Répondre

    Mais où sont donc passés les ingénieurs des ponts chargés du contrôle….des ponts justement ?
    L’état,qui confie par délégation des ouvrages publics à une société privé,doit soit en assurer lui même le contrôle,soit solliciter des attestations de sécurité effectuées par des organismes mandatés pour le compte de la société qui en a la charge.
    Parlons plutôt des actionnaires qui se gavent en ce moment alors que les investissements sont au plus bas…….et pendant ce temps là la misère d’Aubervilliers éclate au plein jour…ghettos à la française…..et milliardaires à la française…

    21 août 2018 à 12 h 56 min
    • quinctius cincinnatus Répondre

      ” la misère d’ Aubervilliers éclate au grand jour ” et même la nuit !

      ” la misère est plus belle au soleil ”

      sûre que l’ installation électrique était beaucoup plus sécurisée au … bled !

      entendu sur france-info : ” dans Aubervilliers il y a de nombreux pavillons occupés par des personnes âgées; il conviendrait de les expulser en EPAD et de construire en lieu et place des logements ” sociaux ” pour les ” victimes ” … des ” vendeurs de sommeil ” … vite une Loi !

      21 août 2018 à 14 h 12 min
      • HansImSchnoggeLoch Répondre

        // vite une Loi ! //

        J’ai fait enregistrer votre commande à la pizzeria du coin.
        Elle sera livrée dans la journée.

        PS: j’ai insisté pour qu’il y ait beaucoup de sauce tomates.

        22 août 2018 à 11 h 18 min
        • quinctius cincinnatus Répondre

          vous mettez de la sauce tomate sur la pizza ?

          25 août 2018 à 19 h 19 min
          • HansImSchnoggeLoch

            Non sur la loi et il y a un petit sachet de vrai Parmesan.
            Je vous laisse le soin du dosage.
            Bon appétit.

            25 août 2018 à 22 h 24 min

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