Les ingrédients de la crise sont toujours là

Les ingrédients de la crise sont toujours là

Depuis plusieurs mois, les commentateurs sont euphoriques : la crise est terminée ; les politiques de « relance » engagées par la plupart des gouvernements des pays développés ont fait merveille.
De fait, les bourses remontent à grande vitesse. Ainsi le CAC 40, qui se situait autour de 2 500 points en mars dernier (soit son plus bas niveau depuis mars 2003), est remonté à plus de 4 000 points.

J’aimerais croire, moi aussi, que la crise est derrière nous. Mais, pour être franc, je n’y parviens pas.
Rien n’a changé depuis un an ou deux : tous les éléments d’une nouvelle explosion restent présents. En un sens, la situation est même devenue pire encore avec l’accroissement vertigineux des dettes publiques.

Plus que jamais, le système économique actuel est un capitalisme fondé sur l’endettement, et non un capitalisme fondé sur l’épargne. Moins que jamais, il n’a d’avenir solide et durable.

On le sait, le détonateur de la crise économique « passée » a été constitué par des produits dérivés liés à des dettes hautement spéculatives. Notamment, les fameux crédits subprimes, c’est-à-dire des crédits immobiliers plus rémunérateurs que les prêts classiques pour les organismes financiers qui les proposaient – pour la raison, à la fois simple et effarante, que les débiteurs n’étaient pas solvables et payaient donc des intérêts plus importants que les autres !

Grâce aux prodigieux progrès de l’ingénierie financière, ces prêts plus rémunérateurs (et d’autres produits aussi dangereux à long terme) sont devenus les « sous-jacents » de produits dérivés, rapidement côtés en bourse. Et se sont ainsi répandus dans toute l’économie mondiale : les épargnants français les plus paisibles ne sont pas assurés de ne pas en avoir dans telle ou telle sicav… On a transformé subrepticement, et sans demander leur avis, des épargnants en véritables spéculateurs !

Certes, me dira-t-on, tout ceci est bien regrettable, et même à bien des égards profondément immoral, mais c’est du passé.
Voire. On estimait en 2007 les transactions annuelles sur les seuls produits dérivés OTC (over the counter, c’est-à-dire négociés de gré à gré, par opposition à ceux qui s’échangent sur les marchés réglementés) à quelque 600 000 milliards de dollars (contre 28 000 en 1997…). Et on a parlé d’une dépression de ce marché de l’ordre de 50 % au plus fort de la crise. Ce qui laisse ce marché à quelque 300 000 milliards de dollars par an. À supposer même que nous soyons tombés à 100 000 milliards de dollars, ce marché représenterait tout de même encore deux fois le PIB mondial !

Au demeurant, le changement de mentalité semble difficile. Qu’il s’agisse de l’entourage d’Obama ou de celui de McCain, les économistes les plus brillants qui entouraient les deux hommes avaient lutté pour « libéraliser » (au sens paradoxal de « déresponsabiliser ») les produits dérivés. On connaît le rôle de Greespan et compagnie en ce domaine, pour l’équipe démocrate. On sait moins (ce que rappelaient récemment nos confrères de « Rivarol » dans un passionnant article sur Brooksley Born) que Phil Gramm, sénateur et conseiller de McCain, a obtenu la tête de Brooksley Born, parce que cet ancien membre de la commission sur les échanges de contrats à terme avait eu le front de s’interroger sur ce capitalisme spéculant sur du vent.

Fait significatif, le libertarien Ron Paul fut l’un des seuls à s’opposer en 2000 à l’acte de modernisation (là aussi au sens de déresponsabilisation) des contrats à terme

Le problème, ce n’est évidemment pas que certains veuillent prendre des risques et gagner des sommes considérables très vite. Le problème, c’est que ces « preneurs de risques » se sont garantis sur notre dos, sans rien nous demander : ils encaissent les plus-values, les contribuables paient les moins-values. Et le problème subsidiaire, c’est que plus personne n’est en mesure de dire où se situent les risques.

On peut seulement estimer le désastre : aucune des trois premières banques françaises (Société générale, Crédit agricole, BNP) ne respecte le ratio prudentiel classique selon lequel les dettes totales ne doivent pas excéder 12,5 fois les fonds propres. Le FMI, quant à lui, estime qu’il reste autour de 3 000 milliards de dollars d’actifs financiers toxiques cachés dans les comptes des banques. Et l’OCDE estimait à l’automne que la dette publique des 30 pays les plus développés va atteindre 100 % de leur richesse produite…
Décidément, sur de telles bases, je ne vois pas comment la crise pourrait être derrière nous !

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Comments (3)

  • Anonyme Répondre

    Daniel : "On commence à juger quelques dictateurs sanguinaires qui croyaient vraiment qu’ils ne faisaient rien de bien grave. Je voudrai me projeter dans quelques décennies quand la lucidité du peuple lui permettra de demander en justice des comptes aux politiciens qui ont permis ces crises destructrices dont ils ont profité directement. "

    Hein ?!!!   La lucidité d’un peuple ?  Lequel ?  Le nôtre soumis à une puissante narcose médiatique et qui est champion de la conso d’antidépresseurs et anxiolytiques (sans parler des drogues banalisées) ?  Quelques décennies ?!!!   Un ou deux siècle, oui, et encore !   Et après, il reste à se bouger concrètement et là, encore un siècle…

    18 janvier 2010 à 11 h 14 min
  • Daniel Répondre

    Bon article,  hélas!. 
    Mais pour que les humains apprennent à "discerner", apprennent le sens profond de la vie,   il leur faut de la souffrance et de la mort…  A part ceux qui choisissent la responsabilité directe,  pour s’éviter de tomber dans les illusions et les bonnes intentions.
     Hors,  aucune réaction politique profonde devant la violence de la crise.  Il n’y  a donc pas eu assez de victimes pour que les irresponsables de la politique comprennent qu’il faut  profondément changer le système bancaire qui vit de principes odieux,  violents,  parce qu’opposés à quasiment tout ce qui définit l’Humain. L’argent touché mais caché,  est une autre source de perversions qu’il faudra régler.  
     Mais l’article de B. Trémeau  nous révèle qu’il faut que les banques fassent encore beaucoup plus de miséreux et de morts pour que les gens qui "pensent", comme lui,  arrivent à établir un lien entre la cause et l’effet.  
    On commence à juger quelques dictateurs sanguinaires qui croyaient vraiment qu’ils ne faisaient rien de bien grave. Je voudrai me projeter dans quelques décennies quand la lucidité du peuple lui permettra de demander en justice des comptes aux politiciens qui ont permis ces crises destructrices dont ils ont profité directement.   

    16 janvier 2010 à 22 h 54 min
  • Gérard Pierre Répondre
    Non seulement les ingrédients de la crise sont toujours là, mais pire encore : les acteurs de la crise sont inchangés et ils n’ont surtout rien voulu apprendre.
     
    Les états ont simplement jeté massivement des fonds dans les trous précédents pour réinitialiser un capitalisme d’entreprise, le seul qui soit productif de véritables richesses. Or les banques ont détourné ces fonds pour les utiliser prioritairement à refaire du capitalisme financier, ce qui crée à présent un excès de liquidités.
     
    Ca va faire très mal !
    16 janvier 2010 à 15 h 54 min

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