L’Etat providence, nirvana philosophique de Luc Ferry

L’Etat providence, nirvana philosophique de Luc Ferry

A tout philosophe, miséricorde. Luc Ferry s’en prend dans la chronique du Figaro du 16 septembre aux pourfendeurs de notre admirable Etat-Providence, qui disent : « Voyez les bonus des traders, les profits des banques, les expulsions d’immigrés, l’arrogance des riches face à la misère des chômeurs. Egalité, fraternité tu parles ! »

Cette « analyse », qui est, affirme le ministre, applaudie « sur les bancs du côté gauche de l’Hémicycle » , est selon lui « historiquement erronée », « pour ne pas dire absurde ».

« A l’encontre des poncifs qu’elle parvient à installer dans les têtes, écrit-il, la vérité c’est que jamais les sociétés ne furent plus soucieuses des personnes, plus attachées à leurs droits et à leur bien-être, que nos vieilles démocraties. Nulle part et à aucune autre époque, j’y insiste, le souci d’autrui ne fut plus grand. Je mets quiconque au défi de prouver le contraire, de montrer un seul exemple de société réelle, soit dans l’histoire, soit dans la géographie, qui eût, crise ou pas, protégé davantage, non seulement ses ressortissants, mais aussi les étrangers, fussent-ils en situation irrégulière, qui ait développé un Etats providence plus puissant et plus efficace que celui dont tous bénéficient dès la naissance. »

Je ne relèverai pas le défi de Luc Ferry, pour la raison qu’il mélange tout. Comment imaginer, par exemple, qu’on ait mieux protégé les étrangers en situation irrégulière sous Louis XIV, alors qu’il n’existait pas à l’époque d’étrangers en situation irrégulière, notion qui constitue un ahurissant anachronisme ?

Par ailleurs, l’ancien ministre de l’Education nationale de Jean-Pierre Raffarin estime que la critique de l’Etat providence vient de la gauche – non sans une certaine audace, puisque les partis, syndicats et associations de gauche s’en font précisément le principal soutien.

Enfin, ce curieux philosophe associe sans aucune démonstration l’Etat providence et « le souci d’autrui ». Or, c’est sur ce point –entre autres – que porte la critique de droite de l’Etat providence, beaucoup plus réelle et réaliste que celle de gauche – à supposer que cette dernière existât.

On n’a pas fait droit à l’être humain, on n’a pas pris soin de lui, du moment qu’on a confié son destin et son bien-être à une Administration toute puissante et anonyme, qui se prétend illégitimement en charge de son bonheur, qu’elle confond avec la sécurité matérielle garantie par la redistribution des richesse.

L’administré seul face à l’Administration

Cette conception matérialiste et prosaïque de l’homme est démentie par les faits : la France est à la fois le pays où l’Etat providence est le plus développé, et la championne mondiale de la consommation d’antidépresseurs, en seconde position pour le taux de suicide parmi les pays de l’OCDE (16,2 pour 1000 habitants), alors que les taux les plus faibles se rencontrent en Italie, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis…

N’en déplaise à Luc Ferry, si l’Etat providence doit assurer le bonheur des individus, il ne semble pas qu’il y parvienne.

Le philosophe athée veut-il qu’on lui cite un exemple abouti de société qui se soit montrée plus soucieuse des personnes ? Je lui citerai la France médiévale et celle encore de l’Ancien Régime : c’était des sociétés où l’ « Etat providence » était réduit au minimum, mais dont la trame était tissée par des communautés et des solidarités au sein desquels les personnes trouvaient leur place.

A l’inverse, dans la société actuelle, l’individu, ou plutôt « l’administré », se trouve isolé face à l’Etat providence, qui prend pour lui le visage de l’Administration, au mieux de l’assistante sociale qui la représente. Si l’Administration française avait visage humain, ça se saurait…

C’est cette même Administration qui prétend réguler les relations entre les hommes, en les soumettant partout à la réglementation, à l’obligation, au contrôle et à la répression : au sein des entreprises, au sein des associations, au sein même des familles. Elle a nationalisé jusqu’à la charité, qu’elle se propose d’organiser à la place de l’individu et sans son consentement, par le biais de l’impôt ; de telle sorte que celui qui par son travail nourrit son prochain en difficulté, loin de le choisir, le subit de mauvaise grâce.

Car l’Etat providence ne connaît pas la demi-mesure. Ne se contentant pas d’assurer aux plus démunis les moyens de vivre décemment afin que leur survie ne soit pas uniquement conditionnée à la charité de leurs semblables, ce qui relève de sa mission légitime, il instaure à grand frais un ersatz de communisme, au nom d’un égalitarisme revendicatif et imbécile.

Il faut atteindre les dernières de lignes sa chronique figaresque pour que Ferry y montre enfin un peu de clairvoyance :

« Dépourvues d’audace et de courage, incapables de se réformer comme de penser l’avenir autrement qu’en tremblotant, nos sociétés s’apprêtent à être balayées par les nouveaux entrants, écrit-il. Elles ne sont pas minées par la dureté, mais par une insondable mollesse. »

Reste que la caractéristique paradoxale de l’Etat providence à la française est de conjuguer la dureté et la mollesse.

Au fait, l’ancien ministre Ferry a-t-il lui-même laissé derrière lui, en quittant le ministère de l’Education nationale, une autre image que celle d’une « insondable mollesse » et d’une inconsistante pusillanimité ?

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Comments (7)

  • BORGAL Répondre

    @ MANCNEY

    Pas vraiment athée en effet comme vous l’avez deviné, cher grand Mancney.

    Mais cela se situe à un niveau trop profond –  et même trop privé pour qu’on en discute ici. Et vous savez  tout comme moi que les 4V  ne sont pas  (on ne saurait les en blâmer ! )  un lieu adéquat pour discuter  m é t a p h y s i q u e  !   Sachez seulement que je ne serai jamais "CROYANT" au sens où on l’entend habituellement :  les "religions révélées" correspondent à mes yeux à un stade à la fois nécessaire ET dépassable de l’Humanité ….. pourvu que cette dernière puisse, en effet, être "surmontée", comme disait Nietzsche ("L’Homme est quelque chose qui doit être surmonté") …….. 

    …….  pas tellement différent,  en fin de compte,  du message de Jésus HORS CRUCIFIXION …..- et donc HORS RELIGION, que les croyants me pardonnent !

    Sauf que je doute fort de cette utopie (Nietzsche + Jesus) sur le plan pratique et réel, étant donné l’état plutôt misérable de cette humanité dans le monde sur le plan de son développement mental et psychique. Ce qui me conduit de facto à une conclusion éminemment pragmatique – ça va vous plaire ! – que je n’aurais peut-être pas nécessairement souhaitée, à savoir :

     LA RELIGION EST UN MAL NECESSAIRE.

    Peut-être cela à t ‘il toujours été à la base de la politique des Pères de l’Eglise, qui sait ?  (peut-être, à cet égard,  relire "Les Frères Karamazov" de Dostoïevsky ? – L’idée vient juste de m’effleurer.)

    All the best for you, Dear old chap !

    AL

     

           

    21 septembre 2010 à 23 h 36 min
  • Anonyme Répondre

    Borgal : "BORGAL, Libéral et athée…. pour vous servir !"
    –      Athée… ou Agnostique?
    Vraiment athée, Al? IMHO, l’athée qui nie Dieu est prétentieux car il limite son opinion a ses(nos) propres connaissances et capacités intello actuelles, ce qui est assez loin de l’infini, tandis que l’agnostique laisse la porte ouverte a tout ce qu’il ignore… C’est toujours bien de savoir qu’on ne sait pas tout et qu’on n’est pas cocu.

    LS : " Allocation au gagnant d’une retraite à vie égale au double de celle prévue par les textes"
    –      Banco. Mais est-ce qu’on ne pourrait pas gagner en plus un beau Khandjar ancien au manche Saidi en corne de rhino et dont le fourreau serait argenté avec les thallers Marie Therese?

    Best,

    Mancney

    20 septembre 2010 à 20 h 12 min
  • HOMERE Répondre

    Je suis attéré de constater qu’il y a encore des tenants de l’économle dirigée….voyez la Suède, pays dans lequel l’état est roi et diligente services et prébendes…..depuis 1915, cette économie était le modèle socialiste des pays d’Europe qui en rêvait….patatras…..l’extrême droite (ici on dirait Bayrou ou Morin) fait son entrée au Rijstag…..affolement des iceux socialos qui cherche l’erreur !! eh bien les Suédois en ont ras le boléro de cette omnipotence marxiste qui stratifie la société Suédoise!!!

    Sûr, notre ami Jaurès va objecter et, comme toujours, trouver des ficelles pour affirmer, une fois de plus la perennité du système étatique comme étant la panacée dont d’ailleurs, personne ne veut, à part Cuba et la Corée du Nord……

    20 septembre 2010 à 15 h 34 min
  • sas Répondre

    DEJA SON ILLUSTRE ANCËTRE ETAIT FRANC MACON…..

    ancetre ou hommonyme…..bref que du rechauffé pendant qu ils nous sodomisent…..

     

    sas

    20 septembre 2010 à 14 h 11 min
  • Daniel Répondre

    Article passablement excessif. Comment peut-on, qui plus est, se réclamer du libéralisme (produit des Lumières) et idéaliser l’ancien régime et la France médiévale… Certes, je n’ai pas (encore) lu cette dernière tribune de Luc Ferry mais il s’agit d’un des rares philosophes à promouvoir un libéralisme qui s’affranchit des peurs qui paralysent de façon endémique notre société. Enfin cet article croule sous les hors sujets (“le philosophe athée”) et les attaques ad hominem (les deux dernières lignes). J’écrivais en démarrant mon commentaire “passablement excessif”, mais en réalité cet article témoigne d’une agressivité totalement déplacée à l’encontre du ministre. Vous illustrez, Monsieur, la droite telle qu’on espère jamais la revoir en la laissant à l’ancien régime. DC, libertarien (athée d’ailleurs, même si je ne vois pas ce que cela peut vous faire)

    20 septembre 2010 à 7 h 50 min
  • Anonyme Répondre

    Tant qu’existera l’Etat Providence intégral, l’Europe régressera. Elle finira très mal, écrasée par le reste du monde, moins stupidement organisé. L’Etat Providence Européen, à vocation universelle, est en fait forcément un mort en sursis. Le fracas de l’écroulement économique des pays où il a sévi dégoutera  pour longtemps les autres de l’adopter. Qui vivra verra.

    Il serait intéressant de connaitre le montant des retraites françaises des 35 ans d’aujourd’hui, ceux qui auront 65 ans dans 30 ans. Probablement zéro d’ailleurs car l’âge minimum de départ sera alors de 70 ans!

    Pourquoi ne pas lancer une série de paris dotés d’un gros lot? Avec un peu de publicité, la Française des Jeux pourrait gagner pas mal en ouvrant chaque année  les paris pour « la retraite dans 30 ans».

    Les joueurs paient 100 Euros pour participer en 2010. Ils sont invités à donner par écrit avant le 31 décembre 2010, en cochant les chiffres sur un bulletin informatisé (type loto), le montant moyen de la retraite de départ en France en 2040 (il faudra bien définir ce de quoi on parle). Le concours 2010 une fois clos, on attend 30 ans pour donner le numéro du bulletin gagnant. Le gagnant sera le bulletin qui aura proposé le chiffre le plus proche du chiffre réel tel qu’observé en 2040 par l’INSEE.

    Allocation au gagnant d’une retraite à vie égale au double de celle prévue par les textes pour le Premier Ministre en exercice en 2040. Des retraites moins copieuses décroissantes seront allouées aux 9 ou 99 autres bulletins les plus proches…

    Avec la probabilité importante d’égarement du bulletin gagnant sur 30 ans, l’opération présente une bonne perspective de profit pour l’Etat actionnaire de la compagnie de jeu.

    20 septembre 2010 à 0 h 38 min
  • BORGAL Répondre

    Pierre MENOU,

    Apprenez à lire …. Luc FERRY : lorsqu’il évoque "nos vieilles démocraties", il n’évoque pas l’époque de Louis XIV mais il parle bien d’AUJOURD’HUI  !(en une formule sans doute passablement maladroite)

    Je trouve votre article contre votre ancien ministre bien excessif  

    Mais on comprend mieux votre acharnement contre lui lorsqu’on lit la suite de votre article :

    " Le philosophe ATHEE…"etc

    Ce qui vous dérange donc chez Luc Ferry , c’est son  a t h é i s m e . Point barre .

    Cordialement à vous

    BORGAL, Libéral et athée…. pour vous servir !

     

                                                                                       

    20 septembre 2010 à 0 h 00 min

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