Job, l’euro et la destruction de l’Espagne (ou : les zombies préfèrent les brumes)

Job, l’euro et la destruction de l’Espagne (ou : les zombies préfèrent les brumes)

Nous sommes quelque part entre l’espace et le temps, sur la côte andalouse. Il fait quarante degrés à Grenade, mais il fait 19 degrés sur la côte. On se croirait au Pérou, pays du courant froid et de la brume perpétuelle. Car l’eau est glacée et il y a un brouillard à couper au couteau. C’est cela le réchauffement climatique : pas de Gulf Stream, une eau à quinze degrés et une superbe et belle brume pour attirer les touristes.

Des touristes, il n’y en a d’ailleurs pas, même fin juin. Et il y a du logement vide un peu partout. On veut louer, on veut vendre, et on ne sait à qui. On a construit tellement de logements ici… Il y a eu le boom Franco, puis le boom Europe (années 80) puis le boom euro, puis le boom ladrillo (la brique, en espagnol). Maintenant il y a le krach dont le règne ne connaîtra pas de fin. Le même T3 qui vaut un demi-million à Menton vaut ici 120 000 euros ; mais on peut négocier… On peut trouver à soixante-dix mille euros (précipitez-vous !) Après, il faut tenir bon dans ce désert humain. Après il faut que l’immeuble vidé de son pueblo paie ses charges, qu’il y ait de l’eau, de la lumière, et que la mairie, qui est en faillite comme toutes les « communautés » et les provinces autonomes créées par les socialistes, assure le minimum. L’Espagne ne fait plus la sieste, l’Espagne se meurt. C’est un pays de zombies, où l’on erre péniblement. Elle avait échappé à Napoléon, elle avait échappé à la Grande Guerre, elle avait échappé à Hitler, elle n’a pas pu échapper à la monnaie inique.

La brume est là, la brume écrase : il faut dormir, en attendant la fin de l’euro, de l’Euroland, qui a créé toute cette horreur à visage humain, cette Espagne couverte d’éoliennes immobiles, de territoires protocolaires, de friches inachevées, d’hallucinés chalets : un vertedero à l’air libre, une poubelle à l’air libre. L’Europe est devenu un dépotoir comme le monde tout entier, puisque partout il faut de l’autoroute, puisque partout il faut de l’immobilier, de la supérette, du parking et puis de l’autoroute, et puis de la station-service, et puis du McDo (2, 35 euros le verre plastifié de Coca-cola ? j’envoie promener la vendeuse : la canette vaut 1,10 euros chez le petit kiosquier du coin).

Un vieux bar à tapas couvert de photos nostalgiques des années 70 nous apprend qu’un plat de jambon et de fèves valait 3,41 euros en 2002, soit 200 pesetas. Il en vaut 7,50 ici et maintenant, et le barman ne le voit même pas. Ils sont des millions, les petits endroits comme celui-là, devenus trop chers pour toutes les bourses. Les jeunes ne peuvent plus se loger et les vieux ne peuvent plus déjeuner. Au Supersol du coin, on voit les vielles dames et les bonnes sœurs acheter de maigres tranches de jambon, quelques yoghourts et cinq litres d’eau minérale. On s’est calmés depuis l’époque de la transition et de la movida. E viva España !

Ce qui frappe aussi, c’est la disparition de l’automobile. A 1,50 euro le plein (je l’ai connu à 80 centimes !), on a calmé les vocations. On achète moins de voitures qu’il y a quarante ans ; comme en France, d’ailleurs… En Amérique, Detroit a disparu comme l’avait prédit en 1947 Henry Miller dans son excellent Air-conditioned nightmare. Mais entre-temps, pour satisfaire au pétrole, à la bagnole, on aura détruit, souillé et recyclé tous les paysages. On aura construit des cimetières de maisons, de voitures, de nature (les parcs nationaux). Et ce modèle économique, comme l’avait prévu Madame Peel dans un excellent épisode de Chapeau melon, va disparaître, comme l’Europe des sous de Bruxelles, et comme la France que Sarkozy va achever de ruiner pour satisfaire ses potes du FMI et de Goldman Sachs.

Tout de même une température de l’air à 19 degrés et une température de l’eau à quinze degrés, fin juin, dans le sud de l’Espagne, devant 600 000 maison vides et des tumbonas (ce transats sur lesquels mes contemporains apprennent à mourir, et qui sont bien nommés : des tombes…), c’est presque un plaisir de gourmet, d’esthète, de néronien non fatigué qui pensait que déjà la connerie humaine avait tout dit, tout fait. Mais non : le con est comme le contribuable, la seule ressource inépuisable de cette Europe d’avachis.

La crise, les opportunités ? Je voulais montrer Cadix et Tartessos, plus vieille cité d’occident, à ma femme : mais entre le bus et les pensions exorbitantes (80 euros, j’ai connu à 10 ; l’euro les a rendus gourmands), cela reviendrait à 400 euros les trois jours. Bienvenus dans l’Europe en crise ! Quant au reste, tout est dans Job, comme d’habitude :

Et il habitera des villes ruinées, des maisons que personne n’habite, qui vont devenir des monceaux de pierres. (Job, 15, 28)

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Comments (6)

  • Peter Répondre

    J’oubliai, à lire absolument:  L’An 330 de la République, XXIIe siècle de l’ère chrétienne  par Maurice Spronck. Ce roman de 1894 (et oui) est visionnaire, on dirait du Philippe Muray croisé avec Raspail!

    A télécharger sur Gallica, vous m’en direz des nouvelles…

    3 juillet 2011 à 15 h 46 min
  • Anonyme Répondre

    Cher Nicolas, La question est insoluble tant que l’Espagne restera dans l’euro. Même chose pour la Grèce, le Portugal voire l’Italie. Quelles que soient les politiques adoptées, ces pays resteront trop chers tant que leurs services seront libellés en euros. Sur les activités estampillées “méditerranéennes” (tourisme et immobilier, certaines pêches et productions agricoles,…) cela fait quelques années déjà qu’ils sont en difficulté. Même si le “printemps arabe” pourrait leur apporter un peu de répit. Mais le meilleur est encore à venir. Le 1° juillet 2013, la Croatie entre dans l’U.E mais pas dans l’euro. La concurrence interne s’annonce féroce.

    3 juillet 2011 à 8 h 23 min
  • ozone Répondre

    Il y a environ 3ans sur un forum espagnol est arrivé un fil qui demandait qu’est ce qu’il pouvait étre fait pour eviter le désastre,déja prévu par certains depuis un bon moment,je leur proposait une sortie de l’euro,personne pour me suivre sur ce terrain,sujet impossible d’aborder,essayez donc et vous verrez,

    Mon explication est malheureusement simple,les pays du "Sud" font un méchant complexe d’infériorité par rapport a ceux du "Nord",les dirigents ont donc pris la monnaie unique comme une sorte d’éxorcisme pour se hisser au niveau de ces dérniers,reussir a rentrer dans le club leur donnait une image de bons géstionnaires,la contagion à gagné les peuples,d’autant plus que la pluie de subventions uropéennes était un puissant ANALgésique (!) qui sert en réalité sous couvert de mise a niveau qu’a principalement moderniser les lignes de communications histoire de faciliter la transformation de l’Europe en leur vaste zone chérie " la plus compétitives du Monde" ;

    Cela finira t’il par tuer le légendaire art de vivre des espagnols?

    ps;Je classe la France dans cette catégorie de pays,il n’y a qu’a compter les fois que nos dirigents nous donnent comme exemple l’Allemagne.

    L’Angleterre,le Danemark et la Suéde,trois pays sans complexes n’y sont pas,le cas de l’Allemagne est différent,ayant reussi a construire une monnaie a l’image du Mark ils sont les grands gagnants dans l’affaire puiqu’ils ont supprimé les différences de changes et donc ouvert leur marché encore d’avantage avec les pays de la zone.

    2 juillet 2011 à 22 h 20 min
  • peter Répondre

    et :  "Il ne s’enrichira plus, sa fortune ne tiendra pas, ses possessions ne s’étendront plus sur la terre." Job 15,29

     

    2 juillet 2011 à 22 h 19 min
  • HOMERE Répondre

    Oui ceci est bien la douloureuse réalité en Espagne….mais comment en est on arrivé là ?

    Après les torrents d’Euros déversés par l’UE les espagnols ont investi dans les infrastructures et les équipements divers….massivement…trop sûrement !!

    Leur industrie n’existe plus et la pêche (qui fut la première du monde) est hyperconcurrencée par les asiates qui démolissent les fonds marins.Malgré les filets pélagiques de 20 kilomètres,les pêcheurs espagnols restent à quai où bien font des milliers de kilomètres (temps et gasol) pour récupérer quelques restes.

    Les espagnols se sont rués sur l’immobilier dont les prix ont grimpé vertigineusement  (500000 Euro pour un T3 à Malaga en bord de mer en 2005).Ils ont aussi acheté massivement dans le Sud Ouest de la France à n’importe quel prix….

    Ajouté à celà le mal endémique du "black" plus les embauches massives de fonctionnaires….bref le panel idéal pour plonger et couler…

    Le tourisme lui même est touché parce que devenu de mauvaise qualité et cher.

    Sarkozy et son équipe ont évité ces obstacles par une politique adaptée à la situation….l’emprunt devrait relancer les investissements productifs et la poursuite d’un développement raisonné doit permettre de maintenir notre pays dans les normes économiques les meilleures.

    Je sais que je vais me faire "démolir" en écrivant celà…mais peu importe !!

    A vos propositions !!!

    Mon Dieu

    2 juillet 2011 à 12 h 15 min
  • dbp Répondre

    "la monnaie inique " = excellent  !!!!

    2 juillet 2011 à 10 h 11 min

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