La Turquie restera hors d’Europe

La Turquie restera hors d’Europe

On sait que Jacques Chirac s’était prononcé à maintes reprises pour l’adhésion de la Turquie à la communauté européenne, tandis que Valéry Giscard d’Estaing s’était nettement déclaré contre. Or, une petite bombe médiatique a éclaté la semaine dernière : l’UMP vient de se dire opposée à l’entrée de la Turquie en Europe ! Comme personne ne peut imaginer que l’UMP, parti godillot du Président de la République, puisse annoncer une telle prise de position sans l’aval de son seigneur et maître, force est d’en conclure que Jacques Chirac lui-même a changé d’avis à propos de la Turquie. Nous ne pouvons que nous en réjouir, tant il était absurde, artificiel et indigne que ce pays puisse devenir européen, alors que sa seule participation à l’histoire européenne consista en conquêtes sanglantes et en gouvernorats despotiques. Certes, il ne s’agit pas de ressasser les rancunes du passé, et l’on peut considérer que la Turquie a fait et continue de faire des progrès en matière de civilisation et de démocratie. Sans doute sera-t-il souhaitable que l’Europe entretienne des liens privilégiés avec cette grande nation devenue amie qui borde sa frontière orientale. Mais les amis et la famille, ce n’est pas la même chose et il importe que la différence soit clairement établie.

Mais alors, si Jacques Chirac a changé d’avis, pourquoi ne l’a-t-il pas dit lui-même ? Tout simplement parce que les hommes politiques ont horreur de se déjuger et de reconnaître qu’ils se sont trompés de chemin. Ils ont si peur de passer pour des girouettes qu’ils préfèrent parfois s’obstiner dans une impasse que d’avouer en toute simplicité qu’ils n’avaient pas fait une analyse correcte de la situation. Ils peuvent à la rigueur s’y risquer du bout des lèvres en politique intérieure, mais en politique étrangère, pas question. Sous les regards braqués de tous les Chefs d’État, ils iraient jusqu’à perdre la tête pour sauver la face. Et de fait, on voit mal Jacques Chirac, après avoir des années durant assuré les dirigeants turcs qu’il soutenait vigoureusement l’entrée de leur pays en Europe, leur déclarer tout de go que, réflexion faite, et tout bien pesé, il lui semblait préférable qu’il reste dans le vestibule.

Faites-le dire par un autre !

C’est pourquoi il s’en tire en téléguidant l’UMP, dont son ami Juppé tire encore les ficelles. Cela lui permettra de dire aux Turcs : « Que voulez-vous, nous sommes en démocratie. Si les plus fidèles militants du parti qui me soutient ne veulent pas de vous en Europe, moi, je n’y peux rien ! » Ce qui, d’ailleurs, ne sera pas faux. Car nul n’ignore que les Européens sont opposés, dans une majorité comprise entre 60 et 70 %, à ce que la Turquie devienne européenne. (Dans notre n° 441, notre lecteur Ferdinand Schmitt nous apprenait qu’un sondage du 5 mars effectué par le « Politbarometer » donnait 63 % des Allemands opposés à l’adhésion turque).

Jacques Chirac a peut-être finalement pris conscience qu’en s’obstinant à vouloir imposer la Turquie, il risquait de dresser contre lui la majeure partie de son électorat, et cela au seul bénéfice de sa bête noire : le Front National, avec des miettes au MNR de Bruno Mégret ou au MPF de Philippe de Villiers. Car si les « souverainistes » sont minoritaires et si les Français veulent bien croire à l’Europe, la menace d’une Europe « turquisée » aurait fort bien pu renverser complètement leurs intentions Il était urgent pour le Président d’allumer un contre-feu. C’est chose faite.

Je retire de cette péripétie trois enseignements réconfortants :

1°) La démocratie, malgré ses imperfections, ça fonctionne tout de même.

2°) Les sondages d’opinion (y compris les sondages secrets), même si ça ne vaut pas le référendum, cela aide bien la démocratie.

3°) Les Chefs d’État qui se refusent à tenir compte de leur opinion publique (et José-Maria Aznar avait très sottement déclaré que telle était sa conception de la politique) courent les plus grands risques de mordre la poussière. Alleluia !

P.S. : Quelques lecteurs me demandent pourquoi je ne parle plus des Américains en Irak. Ma réponse sera simple : je n’aime pas tirer sur les ambulances, ni sur les corbillards. Voici un peu plus d’un an, j’étais le seul rédacteur de ce journal à dire que Bush ne devait pas attaquer l’Irak et qu’il allait ouvrir la boîte de Pandore. Je suis même peut-être le premier dans la presse française à avoir parlé un jour de « bourbier », terme repris aujourd’hui par tous les médias. Je ne me réjouis absolument pas d’avoir eu raison. Le fait d’avoir prévu un gâchis humain ne console pas un homme de cœur de devoir le contempler. Hélas, nous ne sommes pas au bout…

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Comments (9)

  • François Lefier Répondre

    Nous sommes plusieurs a avoir eu la meme crise de dégout devant les positions turcophile d’Ata-Chiruk le calife de l’Elysée… Il suffit de le faire savoir: http://www.turquiehorsdeurope.org François.

    24 novembre 2004 à 13 h 45 min
  • christophoros. Répondre

    Déjà une victoire ! (NIKE) La partie turque de Chypre n’intégrera pas l’Europe. Remerciements particuliers au clergé orthodoxe et en particulier à l’Evêque Paul. AXIOS ! IL EST DIGNE !

    24 avril 2004 à 19 h 22 min
  • HELENE Répondre

    Jamais l’avenir de tant d’hommes n’aura dépendu de si peu. Si le “oui” l’emporte dans chacune des deux parties de Chypre, ce week-end, c’en est fait de l’Europe : la Turquie entrera en elle, telle le cheval de Troie, avec, en plus sa dispora, ces deux cents millions de Turkophones musulmans, dont la natalité moyenne est le triple de celle de de la communauté européenne. En revanche, si le non l’emporte (dans la partie grecque, bien sûr, car, dans la partie occupée par les Turcs, le résultat est évidemment connu d’avance), nous aurons un sursis. Il nous reviendra alors de faire savoir vigoureusement notre volonté de survivre, notamment lors des élections européennes du 13 juin.

    24 avril 2004 à 12 h 28 min
  • Adolphos Répondre

    Steve, seriez vous pour l’opposition systématique ?

    22 avril 2004 à 12 h 39 min
  • gulbo Répondre

    c’est rassurant de savoir que quelque part sur cette planète il y a encore des gens comme lance qui arrivent à voir les réalités à l’oeil nu! Essayez le ça vous fera du bien aussi!

    22 avril 2004 à 9 h 58 min
  • steve Répondre

    Vous avez raison. Ne parlez plus des américains en Irak. Laissez plutot ce soin à Guy Millière, il le fait bien mieux que vous. Vous pouvez également défaire le bouton de votre col, votre cou ne vous serre pas trop? Monsieur-le-seul-rédacteur-de-ce-journal-qui-prétendait-que… Je vous rappel que que l’originalité des 4 vérités est d’avoir en général une analyse un peu différente de ce que l’on trouve dans le monde ou le nouvel obs. Sinon,c’est pas la peine de vous fatiguer. Continuez à être d’accord avec les 90% de la population, monsieur Lance, ça fait avancer les choses.

    21 avril 2004 à 23 h 19 min
  • docteur chantal le floch de belza Répondre

    je signe la petition : non à la turquie dans l’europe

    21 avril 2004 à 20 h 34 min
  • Adolphos Répondre

    On ne sais pas quel délire “Yaltaîque” s’est emparé de certains de nos dirigeants; toujours est-il qu’ils ont complétement perdu le sens des réalités. La turquie n’est pas européenne. D’abord les européens sont blancs, de culture grecque, de culture chretienne et vivent en europe. La turquie ne remplit pas toutes ces conditions. En plus la Turquie n’est même pas Indo-Européenne. Bref, la turquie n’est pas plus européenne que l’algérie ou le ghana. Enfin, la Turquie n’est pas utile à l’intérieur de l’Europe au européens. Le plus étonnent est que cette idée d’unification ait pu traverser le crâne d’un politicar. Quel bel exemple de décadence morale !

    21 avril 2004 à 1 h 04 min
  • Martel Répondre

    La lâcheté de la girouette Chirac n’est pas nouvelle. Rappelez-vous qu’il s’était opposé à la nomination d’un préfet arabe par Sarkozy. La semaine d’aprés, Chirac nommait le préfet islamique! En ce qui concerne la Turquie, ne sous-estimons pas les forces antichrétiennes et antifrançaises, ni la lâcheté de l’imprévisible Chirac qui pourrait nous tromper au dernier moment.

    20 avril 2004 à 12 h 49 min

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