L’Allemagne et les clés de l’Europe

L’Allemagne et les clés de l’Europe

Lu dans la presse

L’Allemagne et les clés de l’Europe

« La triste vérité est que le système euro semble de plus en plus voué à l’échec. Et une vérité plus triste encore est que, vu comme le système se comporte, l’Europe se porterait sans doute mieux s’il s’écroulait aujourd’hui plutôt que demain ». Ces lignes ont été écrites par le prix Nobel d’économie Paul Krugman, dans le New-York Times du 24 octobre.

David Victoroff, qui rapporte ces propos dans Valeurs Actuelles, s’interroge pour sa part : « L’euro vit-il ses dernières semaines ou va-t-il être sauvé in extremis ? » L’hypothèse d’un éclatement de la monnaie européenne « qui semblait inimaginable il y a quelques mois fait maintenant partie des hypothèses de travail des banques anglo-saxonnes », qui nt à se prémunir contre le « séisme » que cet événement provoquerait.

Les signes alarmants se multiplient : « incapacité à mettre en oeuvre rapidement le compromis élaboré au sommet du 26 octobre pour démultiplier les moyens d’intervention du Fonds européen de stabilité financière, difficulté pour l’Allemagne de placer ses propres obligations sur le marché international, impossibilité pour l’Italie d’emprunter autrement qu’à des taux prohibitifs, échec de la formation d’un gouvernement en Belgique qui fait flamber les taux sur la dette du royaume, menace de la perte du triple A pour la France, nouvelle dégradation du Portugal… », constate David Victoroff, pour qui « Une solution existe pourtant, souhaitée par la France : l’intervention massive de la Banque centrale européenne comme prêteur en dernier ressort, accompagnée de l’émission d’obligations européennes. »

Mais est-ce vraiment une solution ? A lire un article publié par Jacques Attali voilà une semaine dans le Journal du Dimanche du 27 novembre, il est permis d’en douter : prêt à brader définitivement les souverainetés des Etats européens au nom de la nécessité économique, cet eurocrate forcené estime que la construction fédérale de la zone euro, avec « un président, un Parlement, une recette fiscale, des eurobonds et un contrôle par tous des déficits de chacun », permettrait à l’Europe d’emprunter pour retrouver la croissance : en somme, de poursuivre à l’échelle européenne la politique qui nous a conduit à la crise

C’est à cette « solution » que se rallie aussi Nicolas Sarkozy, comme le montre son discours de Toulon. En réalité, elle revient à donner à l’Allemagne les clés de l’Europe, en lui disant : « Sauvez-nous ! »

Reste à savoir si les Allemands se laisseront séduire ; on peut en douter. Dans Valeurs Actuelles, David Victoroff observe que Berlin ne veut pas d’une intervention massive de la Banque centrale européenne et « redoute une irresponsabilité des États les plus endettés qui, sachant que leurs dettes trouveraient toujours preneurs, ne seraient plus incités à une saine gestion. C’est d’ailleurs contraire aux traités qui interdisent à la Banque de financer les États. Une telle intervention porterait atteinte au principe intangible de l’indépendance de la Banque centrale, qui ne doit recevoir aucune instruction ni solliciter aucun avis d’une quelconque instance gouvernementale. »

Le Bundestag ne peut pas se dessaisir de son pouvoir budgétaire

A cet égard, ouvrons une parenthèse : Alain de Benoist remarque, dans Eléments d’octobre-décembre 2011, que les banques, en revanche, ont pu emprunter tout leur soûl auprès de la BCE et ont usé de cette possibilité pour acquérir de la dette publique :

« Ces achats de dette publique ont été financés par l’argent que les banques pouvaient se procurer auprès de la Banque centrale européenne (BCE) à un prix quasi-nul. En d’autre termes, les banques ont prêté aux Etats, à un taux d’intérêt variable, des sommes qu’elles ont elles-mêmes empruntées pour presque rien. Mais pourquoi les Etats ne peuvent-ils pas se procurer eux-mêmes les sommes en question auprès de la Banque centrale ? Tout simplement parce que cela leur est interdit ! »

Cette interdiction est antérieure à la création de l’euro : elle date de janvier 1973, et d’une loi de Valéry Giscard d’Estaing, alors ministre des Finances, interdisant à la Banque de France de prêter à l’Etat français, « celui-ci étant dès lors obligé d’emprunter sur les marchés financiers aux taux d’intérêts que ceux-ci jugent adéquats », poursuit Alain de Benoist. « Les banques privées, elles, peuvent continuer d’emprunter à la Banque centrale européenne à un taux dérisoire (moins de 1 %) pour prêter aux Etats à un taux variant entre 3,5 et 7 %. Cette mesure a ensuite été généralisée dans toute l’Europe par le traité de Maastricht (art. 104) et le traité de Lisbonne (art. 123). » Fermons la parenthèse sur cette mesure qui n’a pas été sans conséquence.

Pour en revenir aux Allemands, ils n’ont guère envie aujourd’hui de financer les dettes de leurs voisins par le biais des eurobonds, ni, explique encore David Victoroff dans Valeurs actuelles, de « faire profiter les États les plus faibles de leur notation ». Surtout, ils « redoutent d’avoir à payer plus cher leurs propres emprunts s’ils consentaient à ces émissions collectives. »

En outre, si les dirigeants français, acculés par la nécessité et sans doute aussi par la crainte de devoir rendre des comptes, se montrent tout disposés à tirer un trait sur la souveraineté nationale, il n’en va pas de même Outre-Rhin. Comme le rappelle David Victoroff, « La Cour constitutionnelle de Karlsruhe, dans un arrêt du 7 septembre dernier sur les aides budgétaires dans la zone euro, a rappelé que le Bundestag ne peut pas se dessaisir de son pouvoir budgétaire,« même dans un système de gouvernance intergouvernemental ». Pas question, donc, qu’un État puisse influer sur les charges futures de l’Allemagne sans que le Parlement ne se soit prononcé au préalable. »

D’aucuns annoncent la revanche allemande ; elle prend une bien curieuse tournure. Voilà près d’un siècle, les Français s’opposaient à l’invasion teutonne en disant : « Ils ne passeront pas ! ». Aujourd’hui, nos gouvernants disent aux Allemands : « Voici les clés, entrez donc et faites comme chez vous. » ; et ceux-, méfiants, leur répondent : « Nous n’en ferons rien ! ».

Partager cette publication

Comments (3)

  • HansImSchnoggeLoch Répondre

    Sigmar Gabriel ou l’un des deux "Stones" ne sont pas encore élus. S.Gabriel a certes fait un excellent discours lors du Congrès (je l’ai écouté avec intérêt), mais "Mutti" Merkel n’est pas encore au bout du rouleau.
    Les convergences que voit Mr.Hollande entre la SPD et le PS sont beaucoup plus éloignées qu’il ne le croit. En Allemagne Mr.Hollande pourrait plutôt  serrer la main de Gregor Gysi de la "Linke".
    Placée en France la SPD aurait peu ou prou l’allure de l’UMP, qui quoiqu’on en pense est aussi un parti social-démocrate.

    6 décembre 2011 à 13 h 45 min
  • QUINCTIUS CICINNATUS Répondre

    Si j’ai bien compris la démarche "logique" des partisans des obligations européennes , on peut la résumer à ceci : un seul "pays" de l’U.E.  n’a pas de dette , ce pays est justement l’U.E. … elle peut donc se financer auprès des préteurs (les "marchés") à des taux moins élevés ( on dit "acceptables" )  …
    ….. puis lorsque par le même phénomène financier l’U.E. sera à son tour devenue "insolvable" on trouvera une autre entité "étatique" pour emprunter à des taux non usuraires …
    … en fin de course l’Europe sera sous la coupe ( la guillotine !  ) des financiers qui n’auront plus alors qu’à dicter LEUR politique socio-économique  "mondiale"…
    … il existe cependant une parade aussi vieille que les siècles : ruiner les "banquiers" !
    … comme l’avaient fait Philippe le Bel , Henry VIII , Charles Quint ,  les Papes et bien d’autres encore

    6 décembre 2011 à 9 h 43 min
  • QUINCTIUS CICINNATUS Répondre

    Excellent article qui cependant ne prend pas en compte les élections allemandes de … 2013 .Et là , il n’est pas certain que le Parlement de Berlin dominé (peut être) par l’alliance socialistes § verts suive la politique financière européenne de Madame Merkel . Nous en avons un avant-goût avec la visite de François Hollande au S.P.D. qui trouve qu’il y a "beaucoup plus de convergences entre le P.S. et le S.P.D. qu’il n’y en a entre Merkel et Sarkozy "2012/2013 les années de tous les dangers pour l’Europe

    5 décembre 2011 à 14 h 42 min

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


Vous venez d'ajouter ce produit au panier: