L’Europe doit abandonner sa fuite en avant

L’Europe doit abandonner sa fuite en avant

Le non irlandais à la ratification du traité de Lisbonne a sonné comme un coup de tonnerre dans le ciel européen. Alors qu’une éclaircie s’annonçait avec la prise en main du chantier institutionnel par Nicolas Sarkozy, le refus irlandais balaya comme une tempête un texte dont le mérite essentiel tenait à la seule réforme des institutions.

Ce non irlandais constitue un camouflet d’autant plus grave que les Irlandais furent les seuls à se prononcer par voie référendaire sur le traité de Lisbonne. Sur quatre consultations référendaires portant sur les réformes institutionnelles depuis 2005, trois furent l’objet d’un rejet franc et massif : en France, aux Pays-Bas et maintenant en Irlande. Un contraste inquiétant oppose les consultations parlementaires presque unanimes à souscrire à l’union politique, et les consultations populaires de plus en plus hostiles à un approfondissement européen.

Les peuples européens seraient-ils opposés à leurs élites ? Une réflexion doit être conduite pour analyser cette crise de confiance. Car l’angoisse s’avère réelle, concernant la pérennité de notre monde occidental en crise économique et démographique, concernant un modèle social qui ne finit plus d’agoniser sous les coups de butoir de la mondialisation.

Une première remarque s’impose concernant la finalité d’une constitution. La constitution n’est rien d’autre qu’un contrat de mariage d’un ensemble d’hommes et de femmes conscients de partager davantage de points communs entre eux qu’avec n’importe quelle autre nation. Comme tout contrat de mariage, cette entente suppose une exclusivité à l’encontre des nations tierces ne pouvant interférer entre des époux se jurant fidélité et union perpétuelle.

Et c’est là que réside toute l’ambiguïté : est-on réellement sûr que les Irlandais se sentent plus européens qu’américains ? Que les Anglais entretiennent des rapports affectifs plus intenses avec les Allemands qu’avec les Canadiens ? Que les Turcs, que beaucoup voient déjà européens, s’identifient assurément aux Polonais plutôt qu’aux Azerbaïdjanais ?…

Par ailleurs, la crise politique que connaît l’Europe résulte très logiquement d’un quiproquo entre les peuples et les élites. Les premiers croyaient que l’Europe ne consistait qu’en une simple zone de libre-échange. La volonté d’union politique, bien que légitime et résultant d’intérêts stratégiques, ne procéda jamais de l’adhésion spontanée des peuples.

Dans notre monde occidental que malmènent l’envolée des matières premières, l’intrusion des fonds souverains, une immigration subie plutôt que choisie, un climat pesant de défiance, la politique incertaine des institutions européennes ne semble pas garantir contre la dureté et l’instabilité du monde. Pour restaurer la confiance, un effort de transparence et de clarté doit être entrepris.

Or, l’Europe parle clairement aux peuples quand elle propose des projets concrets à la carte. Airbus, Ariane, Galiléo représentent des avancées majeures d’une Europe. Cette Europe des projets pourrait servir de premier critère de regroupement de pays intéressés par l’aventure européenne. Ces pays, éloignés de toute volonté d’union politique, n’ont nul besoin de s’embarrasser d’une constitution européenne.

À l’inverse, un nombre plus restreint de pays constituerait le noyau dur de l’Europe politique. Ces pays seraient nécessairement des nations partageant depuis des siècles la même civilisation. L’efficacité de cette Europe politique décuplerait avec la limitation voulue de ses États membres.

Ainsi l’Europe gagnante pourrait ressembler à une Europe des cercles concentriques, d’un noyau dur politique à une périphérie gardant son autonomie. Cette redéfinition des frontières de l’Europe nécessite de mettre un terme à la fuite en avant d’un élargissement qui dénature le projet européen. La Turquie, pays non européen par sa culture, son histoire et sa géographie, ne pourrait jamais faire partie de l’Europe politique, bien que des projets à la carte puissent rapprocher cette grande nation de la communauté européenne.

Cet effort de redéfinition s’avère crucial pour l’avenir de la construction européenne. Le non irlandais doit être mis à profit pour clarifier la finalité de l’Europe. Celle-ci ne gagnerait rien à se diluer dans un élargissement sans fin, ni à se corrompre dans un fonctionnement institutionnel rendu impossible par la divergence des intérêts. La diversité constitue une chance à condition qu’elle s’inscrive dans la cohérence…

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Comments (7)

  • UN chouka Répondre

    Je vous félicite pour vos textes sensés.

    28 juillet 2008 à 21 h 39 min
  • Anonyme Répondre

    L’Europe a besoin d’une constitution pour devenir, dans l’idéal, une Confédération.  C’est un fait.

    Mais il ne peut y avoir d’accord unanime de 26 peuples sur un texte abscon de plus de 250 pages.

    Il faut donc une constitution simpelement clairement rédigée de 15-20 pages et c’est tout (comme celle des USA)

    Les chances d’accord unanime seront plus grandes. 

    Et il faut de plus un projet visuel compréhensible du grand public pour le futur, c’est à dire expliquer simplement et clairement ce que sera la Confédération des Etats Unis d’Europe – Confederate States of Europe (CSE)

    Le reste est du bla bla bla de détails.  L’échec est dû aux technocrates et leur langage abscon qui relève de la grande psychiatrie.

    27 juillet 2008 à 13 h 05 min
  • ozone Répondre

    Je crains que le scénario soit plus simple

    Une fois signé le cycle de Doha a l’OMC est aprés que celui ci entre en application,l’ue va s’autodissoudre discretement,sa mission términée

    27 juillet 2008 à 2 h 27 min
  • Pierre LANCE Répondre

    Permettez-moi de vous féliciter, Monsieur Constant Rémond, de ce remarquable article dans lequel il me semble que vous avez parfaitemenrt analysé la situation des peuples européens. Nous devons cependant impérativement construire cette Europe politique, sans laquelle nous serons tous écrasés par le monde en marche. L’Union européenne a de formidables potentialités et les erreurs ou maladresses de nos politiciens ne doivent pas nous décourager, pas plus que les propos stérilisants des chauvins à courte vue qui se recroquevillent sur l’Hexagone et n’ont strictement rien compris à ce qui se passe sur cette planète et en ce siècle. Pour autant, je ne suis pas hostile à ce que l’Union s’élargisse progressivement à tous les peuples européens, mais à ceux-là seulement. Bien cordialement.

    27 juillet 2008 à 1 h 18 min
  • HansImSchnoggeLoch Répondre

    Reflexion faite il n’existe pas de peuple européen, il n’y a qu’une entité géographique à contours flous qu’on a pris l’habitude d’appeller Europe.

    Le peuple helvétique consultable par referendum comme le peuple irlandais a bien compris cela et se garde à joindre cette nef des fous.

    Les élites ont toujours un temps de retard (jetlag) sur la pensée populaire, mais il est réconfortant de penser que cette élite sera tôt ou tard remplacée par une relève.

    24 juillet 2008 à 10 h 07 min
  • Florin Répondre

    "Les peuples européens seraient-ils opposés à leurs élites ? Une réflexion doit être conduite pour analyser cette crise de confiance".

    Il ne s’agit nullement de crise de confiance, c’est beaucoup plus simple.

    Dites, il vous arrive de faire des courses au marché ? Devant les étals, vous vous demandez plutôt si la marchandise est bonne, ou bien plutôt si le vendeur a payé ses impôts, voire s’il est fidèle à sa femme ?

    On a proposé un TEXTE. Derrière ce texte se nichent des PRINCIPES fondateurs, une IDEOLOGIE.

    Pas besoin de sortir de l’ENA pour comprendre que cette IDEOLOGIE est mauvaise, que ces PRINCIPES nous mèneraient droit dans le mur (et beaucoup plus vite que notre "route" actuelle).

    Aucun être sain d’esprit ne renoncerait à son droit de décider CHEZ LUI, entre ses murs – en faveur d’une entité obscure de "voisins bienveillants" (d’immeuble, de quartier etc). Ce qui semble inconcevable dans la sphère privée l’est TOUT AUTANT pour un pays. Fût-il petit ou grand.

    Je ne mettrais JAMAIS les pieds dans une affaire : – d’où je ne peux pas partir à tout moment & – où je n’ai pas de droit de véto.

    23 juillet 2008 à 11 h 57 min
  • JeanRiz Répondre

    Les peuples européens seraient-ils opposés à leurs élites ? Une réflexion doit être conduite pour analyser cette crise de confiance.

    La question ne se pose même pas !
    Et de quelles "élites" est-il question ?…

    L’UE est un énorme foutoir ! Le but avéré de l’UE n’est assurément pas le bien des citoyens européens, dont les tireurs de ficelles (par les "élites"), n’ont strictement rien à faire d’eux !

    Araine, Airbus, et Cie peuvent très bien être conçus et fabriqués sans l’UE, et je ne crois pas d’ailleurs que cette institution désastreuse ait eu quelque avantage pour ces réalisations…
    Mais peut-être que ceux qui ont sur vendre "juste à temps", ont bénéficié des avantages de l’UE ! Mais je n’en sais rien !

    La seule question intéressante est pour moi : quand va enfin pourrir ce monstre ?..
    Seconde question : quel sera le pays courageux qui osera en sortir le premier ?…

    23 juillet 2008 à 11 h 32 min

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