Alfred Hitchcock, cinéaste et conservateur engagé

Alfred Hitchcock, cinéaste et conservateur engagé

J’ai déjà évoqué ces séduisantes et fortes figures du conservatisme initiatique britannique. Avec Tolkien, la plus célèbre est certainement celle du cinéaste Alfred Hitchcock, dont le cinéma est devenu la matrice du septième art, au moins à Hollywood, au cours de la deuxième moitié du vingtième siècle. C’est un autre britannique, Christopher Nolan, qui est en train de créer la matrice de la génération à venir avec ses Batman et son Inception d’inspiration miltonienne. Quoiqu’il s’y passe, il reste toujours quelque chose ou quelqu’un de génial en Grande-Bretagne, que même le chien Ran-Tan-Plan pourrait ressentir…

Je voudrais surtout commenter l’engagement politique à droite et en faveur des libertés de Hitchcock. On a surenchéri sur ses obsessions cachées, son éducation jésuite, son esprit retors, sa chasse au suspense et à la peur, pas assez finalement sur sa défense des libertés, si visible dans sa période anglaise – qui m’intéresse plus par rapport justement à cette présence sur l’île blanche d’un conservatisme initiatique de la plus haute importance. Je trouve aussi que les histoires d’amour de cette première période sont plus épiques, voire plus crédibles, que celles qui intéressent les quinquagénaires tassés comme Cary Grant ou James Stewart.

Hitchcock est d’abord le défenseur de l’injustement accusé, du « jeune et innocent » (1930), à qui plein de belles aventures vont arriver de ce fait, ainsi que l’amour. En pleine explosion du totalitarisme en Europe, il défend un homme innocent, même sans preuves. Et il le fait dans plusieurs de ces films d’avant-guerre. Ultérieurement, Hitchcock défendra le soupçonné à travers la personne de Cary Grant bien sûr (Soupçons) ou d’Henry Fonda dans le lugubre faux coupable.

Face à la folie collectiviste, l’individu a toujours raison : ainsi la jeune touriste de la Femme qui disparaît, qui soutient mordicus contre toute la population d’un train qu’elle avait bien pris son thé avec Mrs Froy dans le compartiment-restaurant. Elle convainc le jeune musicologue et folkloriste, clone du grand Vaughan Williams, de déjouer le complot de la locomotive qui repose sur la criminalité d’une partie des passagers et sur la lâcheté et l’inertie de l’autre. Tout le ressort du totalitarisme est alors démonté. De ce film admirable qui fustige le pacifisme (on est en 1938, tout de même) on soulignera aussi l’activité des deux amateurs de cricket, si britanniques dans le fond, si égoïstes et râleurs au début, si courageux et entreprenants à la fin. Et le Maître recrée les Alpes et le train en studio…

Pédagogue et militant, Hitchcock explique aussi aux Américains hésitants comment et pourquoi ils vont entrer en guerre, dès 1940, dans le très efficace Correspondant secret, qui permet une formidable confrontation entre l’impeccable Joël McRea et le toujours haïssable George Sanders.

Hitchcock croit aux conspirations comme John Buchan, un des plus grands écrivains d’aventures, homme politique annobli et responsable religieux de l’Ecosse. Ce dernier nous donne des clés pour comprendre les ressorts de l’histoire secrète. Ni le film, ni la traduction française ne sont fidèles au texte anglais des Trente-neuf marches, et j’y renvoie mon lecteur anglophone. Les Trente-neuf marches sont aussi un récit codé, qui repose sur la marche, le cross-country, la traversée des ponts et de rivières qui revêtent ici une dimension arthurienne. L’Ecosse y est magnifiée comme jamais.

Les conspirations qu’Hitchcock dénonce sont les conspirations communistes et fascistes en Europe ou même en, Amérique (c’est la société discrète dirigée par James Mason en Amérique du Nord dans la Mort aux trousses).

Un de ses films les plus éblouissants formellement (le décor enfle, s’illumine, puis s’assombrit, diminuant) est bien sûr La corde,tourné en un seul plan. Mais le sujet est passionnant puisqu’il concerne l’intelligentsia nourrie de Marx ou de Nietzsche, et qui se croit surhumaine, et par là autorisée à éliminer tout individu inférieur. Le film se termine d’ailleurs par une pirouette comique, comme si le ridicule tuait mieux que la cruauté.

On voit que le maître a bien mérité du camp de la Liberté.

Mais, Hitchcock parti en Amérique pour assurer la victoire des alliés et les recettes de la cuisine hollywoodienne, on a eu tendance à sous-estimer le cinéma anglais, en particulier son vrai génie, Michael Powell, dont j’espère pourvoir reparler.

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Comments (3)

  • De Dhardat Répondre

    Bonjour !

    Je découvre vos articles qui me manquent depuis la disparition du Libre Journal, et aussi de la disparition de son fondateur (S.de Becketch). Article intéressant, qui laisse pourtant de coté les profondeurs psychanalitiques des sujets, à moins d’avoir mal lu, ou lu trop vite. Un petit correctif, presque trivial, d’ordre purement cinématographique : pour "La Corde", le tournage "en un seul plan" ne me semble pas exact. Passons rapidement sur ce que tout le monde sait : la contenance à trois cents mètres de pellicule de la caméra Technicolor, a forcé le réalisateur à des jonglerie de décors qui ont désarçonné les comédiens, mais l’ont aussi contraint à venir cadrer sur un élémen de teinte sombre, un meuble, le dos du veston d’un des personnages, à chaque interruption de la caméra pour la charger à nouveau de pellicule. On reprenait ensuite le plan au même endroit, et le tour fut joué lors du montage. Mais le film contient aussi des contre-champs, qui démentent la légence de la continuitée du plan unique (même tronçonné par dix minutes pour les raisons techniques ci-dessus).

    Evidemment, nous sommes loin de votre analyse très habile de l’oeuvre d’Hitchtcok pour laquelle j’ai une vive admiration. Le coup du "mac-Butfin" (ou Muffin) est une trouvaille : une deuxième histoire, plus importante, contenue à l’arrière de celle présentée en avant ! Ainsi que les signes qui ponctuent ses films : la clé dans la paume d’Ingrid Bergman à la suite d’un vertigineux travelling avant en plongée dans "Les Enchainés", le plan de coupe sur le dos de Joseph Cotten qui range discrètement un collier en rubis dans la poche de sa basque, qui eût donné "l’allure d’un arbre de Noël à la robe", comme le dit Michaël Redgrave alors que l’héroïne apparaît sans bijou, éblouissante, dans une robe blanche !  

    Enfin, je conserve le souvenir un peu désespéré de la dernière phrase de l’une de vos interventions dans le Libre Journal (sans doute lors de l’élection du fantaisiste élyséen actuel) : (je cite) "La fin des temps, durera la fin des temps…"

    P. de C.

    7 octobre 2011 à 13 h 40 min
  • Jaures Répondre

    Le problème (et tout l’intérêt) avec Hitccock, c’est que, parmi les trois niveau d’analyse d’un film (Le sens vient de l’auteur, le sens vient du film, le sens vient de l’analyste), le troisième offre une ouverture telle que l’on peut avantageusement faire tenir à un film d’Hitchcock le discours que l’on souhaite.
    C’est ce qui explique que le cinéaste anglais ait autant été adulé par les critiques conservateurs que par les gauchistes de la Nouvelle Vague (Godard notamment).

    Autre précision: "La corde "n’a pas été filmé en 1 seul plan (c’eût d’ailleurs été impossible avec les techniques de l’époque), mais en 7 plans séquence.

    13 juin 2011 à 18 h 28 min
  • michel V Répondre

    Bel article.

    Une précision.Initialement dans l’ esprit d’ Hitchcock Gary Grant dans le film "soupçon"  était véritablement coupable.Le metteur en scène a cédé aux producteurs pour qui Gary Grant aux yeux du public ne pouvait jouer le rôle d’ un tueur.  

    13 juin 2011 à 17 h 48 min

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