Cléopâtre, le film eschatologique à méditer toujours

Cléopâtre, le film eschatologique à méditer toujours

sequiturque nefas Aegyptia coniunx

Enéide, 8, 688.

Cléopâtre. J’ai eu du mal à me « remettre à » ce film, comme s’il s’était agi de gym ou de géométrie… Sous les pompeux décors, gigantesques et ridicules, stylisés et postmodernes, je dois retrouver l’Egypte ; sous le « people », le strass et les paillettes, je dois retrouver l’Histoire ; sous les harnachements des légionnaires, les sceptres en plastique, les maquillages Tendance, je dois retrouver l’Homme, la Femme surtout.

Et pourtant le jeu en vaut la chandelle : car Cléopâtre, film qui marque la fin du cinéma traditionnel hollywoodien, dépasse infiniment la simple marmelade des péplums et nous réintroduit au cœur de notre eschatologie quotidienne ; car comme l’a dit sa Sainteté le Pape Benoît XVI au couvent des Bernardins, l’Apocalypse n’est pas un fait tant chronologique qu’existentiel.

Je m’explique à l’aide du film.

Il s’articule très cyniquement autour de la conquête féminine des hommes ; comme disait Barthes dans ses Mythologies, l’homme c’est celui qui rapporte. Il faut donc que Cléopâtre, aventurière sexy d’un royaume agonisant, conquière un vieux, puis un jeune susceptibles de lui assurer royaume, descendance et argent pour la descendance. Pour ce faire, elle doit les faire divorcer. La réalité rejoignant la fiction, la promo du film a d’ailleurs été axée sur les amourettes de l’actrice avec son prétendant principal – et leurs divorces.

Le marketing du film s’est aussi fait sur le maquillage extravagant de Cléopâtre, ses tenues vestimentaires. Les produits dérivés datent donc de bien avant la Guerre des Etoiles ou Raiponce.

Sur la science du maquillage, il est écrit dans le livre d’Hénoch : « Azazyel leur apprit la fabrication des bracelets et des ornements, l’usage de la peinture, l’art de se peindre les sourcils, d’employer les pierres précieuses, et toute espèce de teintures, de sorte que le monde fut corrompu. L’impiété s’accrut ; la fornication se multiplia, les créatures transgressèrent et corrompirent toutes leurs voies. »

Cet ange maléfique inspire le célèbre Azazello du Maître et Marguerite. Cléopâtre aussi a tout le temps recours à la magie noire et aux voyantes. Elle a des visées conspiratrices destinées à en faire, comme telle « ministresse » ou présidente humanitaire contemporaine, « the most powerful woman in the world ».

business-model contemporain

Ce n’est pas tout : le business-model de Cléopâtre est aussi très contemporain et exemplaire. Budgété à 50 millions de dollars de l’époque, soit un milliard d’aujourd’hui, Cléopâtre a réduit en faillite les studios de la Fox, qui durent être vendus… à des promoteurs immobiliers. Déclarer une guerre afghane ou irakienne où rien n’est rentable, et où tout vaut cher, sauf la vie des chrétiens (notamment en Egypte…), c’est une conception très orientale et néo-païenne de l’économie ; tout comme concocter des déficits budgétaires de 10% pour ruiner des nations et les confier aux usuriers… César détruit la Gaule et vend son peuple pour satisfaire les appétits financiers de la plèbe romaine et des marchands d’esclaves.

Les émoluments de Liz Taylor (un million de dollars de l’époque) relevaient aussi de la même pathologie économique : transformer une élite en surclasse, et le reste en esclaves de cette surclasse, ou en masse ahurie de spectateurs (Epicurii Grege porcuum, comme dit mon maître Horace). Les dépassements budgétaires du film sont devenus la norme du cinéma.

La renaissance du film à péplum dans les années 2000, depuis Gladiator, est aussi riche d’enseignements : nous avons les mêmes insolubles problèmes que l’empire romain, et la même volonté d’impuissance de ne pas les résoudre. Cela ne retire pas au film son pouvoir hypnotique ni ses grandes qualités intrinsèques, qui dataient de l’époque des studios, alors à l’agonie, et qui sont liées à Jo Mankiewicz, qui est peut-être le plus grand dialoguiste de l’histoire du cinéma.

Enfin la bonne nouvelle : en revoyant et méditant le film, qui date de cinquante ans tout de même, je me sens aussi mal à l’aise qu’aujourd’hui dans mon rapport à cette « civilisation » ! Rien donc ne s’est aggravé depuis ! Plus que 130 ans à vivre, comme dit le Fig-Mag nous montrant un beau bébé qui ne vieillira pas, pour nager dans le même bonheur !

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Comments (1)

  • populus Répondre

    Je me souviens de ce film polonais ( mais oui) des années 60 , Pharaons je crois, qui peut être le seul film sur le sujet ou on entends à un moment la voix des Dieux. Un film communiste à mille lieux de l’athéisme occidental.

    13 janvier 2011 à 21 h 52 min

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