Dom Jean Leclercq et le génie du monachisme
Il y a seize mois, le pape Benoît XVI avait ébloui le monde lors de sa conférence au couvent des Bernardins à Paris. Il citait par trois fois Dom Jean Leclercq, l’auteur d’un livre vieux d’une cinquantaine d’années, magnifiquement intitulé L’Amour des Lettres et le Désir de Dieu. Les éditions du Cerf ont eu l’excellente idée de le rééditer en y adjoignant la conférence de l’érudit pontife.
Enraciné dans une tradition millénaire, mais d’une éternelle jeunesse, ce livre étonnant et difficile mérite bien plus que des éloges. Aussi me contenterai-je de le citer pour l’essentiel, renonçant humblement à le juger, ou même à en conseiller la lecture.
Son sujet porte sur la religion des lettres, de la musique, de la lecture et de la liturgie, vécues comme sciences sacrées en cette époque bénie du Moyen Age. Dom Jean Leclercq l’attaque ainsi: « Quand legere et lectio sont employés sans spécification, ils signifient une activité qui, comme le chant et l’écriture, occupe tout l’esprit. A certains malades qui avaient besoin de prendre du mouvement, les médecins antiques recommandaient la lecture comme un exercice au même titre que la promenade, la course ou le jeu de balle.»
Comment lisait-on au Moyen Age ? Dom Jean Leclercq est très concret, comme toujours : « On lit en prononçant avec les lèvres, par conséquent en émettant les phrases que Dieu voit… Il en résulte une mémoire musculaire des mots prononcés, une mémoire auditive des mots entendus. »
L’auteur parle ainsi d’un mâchonnement répété des paroles divines… Le vocabulaire est alors emprunté à la manducation, à cette forme très particulière de digestion qui est celle des ruminants (p.72-74)…On retrouve à des siècles de là la même inspiration chez Flaubert (l’épreuve du gueuloir) ou chez Nietzsche, qui demande à son lecteur de ruminer son œuvre.
La lecture comme mastication est aussi liée à une forme de respiration – comme en orient, et il y a un lieu pneumatique entre le texte, le son, et la signification spirituelle. Umberto Eco a bien rappelé dans son meilleur livre, Opera aperta, publié il y a déjà 50 ans, les quatre niveaux de lecture médiévale: le littéral, l’allégorique, le symbolique et bien sûr l’anagogique, celui qui nous porte jusqu’au ciel.
De ce point de vue, le monachisme inspire aussi notre plus grand poète, le Baudelaire mystique, lecteur de Joseph de Maistre, ses parfums, ses couleurs et ses sons qui se répondent. Dom Jean écrit : « La mastication dégage la saveur du texte : le lire, c’est le goûter. » De la même manière, écrit notre savant abbé, les mots ont une vie acoustique, qui permet un système d’associations.
Ces synesthésies spirituelles incluent donc les couleurs et les parfums : Dom Jean évoque l’or et le nard, l’hyacinthe, qui évoque le ciel, et les pierres précieuses. On sait qu’Origène voyait dans le parfum l’expression d’une vertu ou que saint Bernard écrivit aussi un sermon sur les trois parfums. Ce dernier est longuement commenté pour son adoration très monastique du Cantique des cantiques. Cet incontournable est le poème de cette recherche qui est tout le programme de la vie monastique : quaerere Deum (p.85). Son rôle, écrit admirablement Dom Jean, était d’entretenir le désir de la vie céleste.
Je terminerai par ces lignes sublimes, qui réconcilient les lettres et les sciences sacrées : « Ils (les moines) n’étudiaient point l’arithmétique ou l’astronomie pour elles-mêmes… Ces disciplines étaient des sciences auxiliaires de la liturgie. »
On se souvient que le pape avait charmé ce monde de la culture pourtant blasé, lorsqu’il n’est pas purement ignare, lors de sa conférence des Bernardins, où l’espace d’un moment, volèrent les paroles ailées venues des voûtes et des sphères qui habitaient les moines avec l’esprit de Dieu.
Dom Jean Leclercq, L’Amour des Lettres et le Désir de Dieu, les Editions du Cerf, 2008.
Comments (2)
Benoit XVI n’a jamais embrassé le Coran.
D’autre part, il est toujours amusant de voir les illettrés, les incultes, les agnostiques, les athées, les adversaires de l’Eglise, prodiguer doctement leurs leçons de catholicisme au Pape.
Les prêtres ont toujours besoin de prières beaucoup plus que de critiques. Les prières d’IOSA sont bien plus inaudibles que ses critiques.
Tous nous avons vu l’Esprit de Dieu, lorsque le Souverain Pontif embrassa le Coran.
Depuis, tous nous savons que le traître à pris apparence au sein même de l’ Eglise.
En somme, le Baiser de Judas façon remake.
IOSA