John Ford et les communautés initiatiques

John Ford et les communautés initiatiques

Pendant une dizaine d’années, Hollywood a été dominé par les Irlandais Leo McCarey, Preston Sturges et bien sûr John Ford. Le génie de l’Irlande, détruit par l’Europe de Bruxelles, par les banques et par l’euro, qui avait donné à la littérature anglophone ses plus grands génies et à l’occident médiéval ses moines les plus savants, avait aussi su se répandre outre-Atlantique dans l’industrie du divertissement. J’ai déjà évoqué l’immense McCarey, je reviendrai un jour sur Preston Sturges le pourfendeur le plus brillant de tout le rêve américain dans ses comédies épiphaniques…

Mais je voudrais cette fois indiquer les grands films fordiens consacrés à l’Irlande et au rêve communautaire et catholique irlandais.

Ford est le cinéaste de la gemeinschaft, de la communauté traditionnelle, du clan, du village, du groupe où tous se connaissent, s’apprécient, se jalousent, s’étripent (pensez au village d’Astérix) et vont à la messe ensuite main dans la main, ou à l’office. Dans L’homme tranquille, il montre le retour à la terre natale d’un boxeur hanté par un meurtre involontaire, et qui se retrouve avec une épouse elle-même hantée par une malédiction familiale et par une dot symbolique. Cette oeuvre filmée dans un cinémascope jamais égalé permet de découvrir le clan irlandais, les pubs, les villageois, les fortes personnalités du terroir, comme les deux compères Victor McLaglen et l’énorme Ward Bond, un des plus grands acteurs secondaires de l’histoire du cinéma. Le pub est certes le lieu de l’ivrognerie, mais il est aussi celui de la parole (et non de la «communication »), de la chanson, le berceau de la littérature hauturière et celtique.

Dans Le mouchard, Ford décrit la trajectoire délirante d’un traître qui a vendu son ami, militant de l’IRA, à la police britannique. Notre costaud préféré, McLaglen, traîne sa lourde carcasse à travers un labyrinthe dublinois qui fait penser à Joyce, avant de mourir sous les balles d’un juste vengeur. Il a trahi le pacte d’un peuple, il est maudit à sa race. Et il l’a fait, ô paradoxe, pour gagner les vingt livres sterling qui lui eussent permis de traverser l’Atlantique pour émigrer en Amérique. La pauvreté est vécue comme un cauchemar dans tout le film. Le grand artiste donne à a cité crépusculaire une couleur et un ton expressionniste qui accroissent l’angoisse d’un personnage extrêmement torturé par sa faute.

La communauté initiatique n’est, bien sûr, pas liée à une race ou un terroir. Elle peut être liée à un bateau, à un fleuve, comme dans le film de Renoir. Steamboat bend river décrit l’univers charmant et exotique du Mississipi à l’époque des grandes navigations. Dans le voyage retour, Ford dénonce, après avoir peint les attentes et les épreuves d’un équipage de bateau, la trahison cette fois des tenanciers de bistrot qui veulent vendre des marins ivres à des navires plus ou moins pirates.

Plus étonnants encore sont les films îliens de Ford, qui a consacré plusieurs œuvres à la Polynésie française. La taverne de l’irlandais est un hymne à la beauté païenne de l’Océanie (sublime chant de la jeune indigène face à des canyons grandioses), à la fraternité et à l’amitié entre les bureaucrates et les aventuriers venus des Amériques. Contredisant ce que j’ai dit plus haut, Ford a dénoncé les contacts entre cultures trop différentes (voit le sort réservé aux Indiens dans la plupart de ses westerns…) et réalisé auparavant une très belle œuvre un peu méconnue, Hurricane, film qui décrit les malheurs rousseauistes d’un jeune îlien qui ne supporte pas d’être enfermé en prison… Tragédie exotique qui évoque Murnau et bien sûr Bernardin de Saint-Pierre, Hurricane est un film où l’administration française en prend plein son grade, comme souvent dans les films américains.

L’homme tranquille est bien sûr le chef-d’œuvre fordien, celui où il a pu tisser et sculpter les relations, les liens, les malédictions, les tabous d’une petite société encore épargnée par le vent dévastateur du progrès. La beauté elfique de Maureen O’hara, la magie de plages non souillées et corrompues par le tourisme, la surprésence romantique des ruines, la beauté des maisonnettes celtes, la richesse anthropologique des personnages (étonnant Barry Fitzgerald, qui accompagne la promenade des futures mariés), tout donne à cette comédie une tonalité « homérique » et initiatique, digne des conservateurs initiatiques dont j’ai déjà parlé.

Mais nulle part Ford n’a mieux réussi son coup que dans la scène d’ouverture du bal de Fort Apache. Ici l’on comprend la signification du mot civilisation. Et l’on comprend aussi pourquoi nous n’en sommes plus une.

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Comments (5)

  • HansImSchnoggeLoch Répondre

    <<Il s’agit là sans doute du "génie irlandais"…>>

    Remarque faible et fade!

    9 juillet 2011 à 21 h 07 min
  • Jaures Répondre

    "tant que les autres payent pourquoi ne pas se priver de cette manne."

    Il s’agit là sans doute du "génie irlandais"…

    9 juillet 2011 à 11 h 42 min
  • SMMAL BARTHOLDI Répondre

    En son temps, The Quiet Man préparait l’arrivée au pouvoir de Dwight Eisenhower. Cet autre homme tranquille qui avait mis fin aux massacres de Hitler sans trop la ramener.

    Et mettait fin à vingt années de règne démocrate. Et lançait plusieurs mois de maccarthysme intensif. Et accessoirement l’arrivée du cinémascope.

    Pour ceux qui douteraient encore que la culture prépare la politique.

    8 juillet 2011 à 22 h 36 min
  • HansImSchnoggeLoch Répondre

    <<les Irlandais n’ont pas craché sur les milliards d’aides accordés>>
    Toujours la même rengaine contre les Irlandais, les socialos grecs crachent-ils eux sur la centaine de milliards d’euros déjà versés et à venir?
    Non bien sûr, tant que les autres payent pourquoi ne pas se priver de cette manne.
    Quelqu’un n’a-t’il pas dit dernièrement sur ce site qu’il y aura des socialos tant qu’il y aura d’autres qui paieront pour leurs lubies?
    Reagan a été plus clair: "le socialisme c’est quant plus rien ne bouge". Nous y sommes presque.
    De ces deux affirmations on peut extrapoler que quand il n’y aura plus rien à voler il n’y aura plus de socialos. Alors chiche?

    8 juillet 2011 à 19 h 51 min
  • Jaures Répondre

    Sublime scène du bal de "Fort Apache" ! Reprise en hommage par Pialat dans son génial "Van Gogh".
    Toute l’âme de l’Irlande dans le bouleversant "Gens de Dublin", d’après Joyce, par John Huston, son dernier film.

    Sans vouloir polémiquer sur ce genre d’article, le génie de l’Irlande n’a pas été détruit par l’Europe: les Irlandais n’ont pas craché sur les milliards d’aides accordés. Ils ont même freiné des 4 fers quand il s’est agi d’assister de la même manière les nouveaux entrants de peur de s’en voir eux-mêmes privés.

    Chaque pays a son âme mais tous les hommes sont faits de la même boue.

    8 juillet 2011 à 15 h 23 min

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