La mort sinistre de Maria Schneider : leçons d’une lugubre nécrologie
Les temps sont donc bénis pour les marquis maussades. On aura rarement assisté à une nécrologie aussi lugubre : la mort de Maria Schneider, bâtarde présumée d’un jeune premier vichyste, icône de la « révolution sexuelle » (laquelle ? Tout le monde a eu la sienne, comme disait Revel), héroïne branchée du Dernier tango à Paris, a en effet soulevé un tollé de récriminations aigries, pas même nostalgiques. C’était à qui jouerait au plus repenti : le metteur en scène Bertolucci, gay communiste à la mode italo-française des années 70, les journalistes de Libération et les néo-beaufs ébaubis de la société d’aujourd’hui, tous se repentaient d’avoir un jour utilisé ou révélé ou récupéré ou recyclé la pauvre figure et le pauvre derrière d’une actrice qui s’était laissée défigurer ces dernières années, alors que tant de ses contemporaines prétendent vivre au même âge – 58 ans tout de même – ce qu’il faut bien nommer une deuxième adolescence.
C’est quoi alors le Dernier tango à Paris ? Le coup du beurre, que seuls les plus avertis avaient su voir alors ? Une provoc’ politique qui priva un cinéaste encore un peu audacieux de ses droits civiques (aujourd’hui il serait décoré par Frédéric Mitterrand…) ? Un « navet pédé », comme le dit un jour le dernier grand critique de cinéma, l’amateur de Walsh et de Ford, j’ai nommé Louis Skorecki ? C’est certainement cela. D’ailleurs Maria Schneider ne s’est pas privée de le dire : au départ son rôle, celui donc du petit chaperon rouge à la motte de beurre, devait être tenu par un jeune garçon.
Le reste, c’est du sport en chambre, de l’existentialisme à la sauce tartare, du lesbianisme déroulé, de l’ennui postmoderne et de la griserie de récit. De Bardem à Chéreau en passant par Desplechin ou un chinois fluo, ils sont un million les cinéastes médiocres, sans ambition artistique ni culturelle, sans vision cosmique ni spirituelle, qui rêvent de se voir récompensés par la Critique et par les jurys de festivals en filmant les ébats abattus et les conversations convenues de deux abonnés aux Inrocks ou à Télérama. De ce point de vue, le dernier tango fut un vrai scandale médiatique, le début du people et de la postmodernité critique : du récit, avec du beurre à l’intérieur, du récit, avec du parfum de femme, à l’extérieur.
Honneur à celui par qui le scandale arrive. De cinéma, point, ou plus, le cinéma de l’après Walsh étant destiné à alimenter les commérages des médias. C’est un peu comme se prendre d’intérêt pour Houellebecq ou Marc Levy quand on n’a plus le courage et les méninges de lire Bartleby ou les Frères Karamazov…
La tristesse de Maria Schneider est sans doute liée à cela : en 1972, il n’y avait déjà plus de cinéma. Il y avait les recettes du parrain, le scandale du tango ou celui de l’orange mécanique, il y avait déjà dans l’air une médiocrité ambiante inimitable : j’en veux pour preuve les chroniques récemment traduites et publiées de Pauline Kael, critique new-yorkaise alors à la mode, et qui montre que rien ne trouvait grâce à ses yeux, Kubrick, Antonioni ou Fellini. Le cinéma était donc mort, en tant que mythe et en tant qu’histoire. Il ne restait donc à Maria Schneider qu’à avouer qu’en ayant montré son derrière au chevalier sans beurre et sans reproche elle avait perdu la fesse ; pardon la face. Aujourd’hui, ils sont 600 millions à le faire sur Facebook, sur les fesses books de toute la planète, et les récriminations, et les repentirs tardifs de l’actrice sonnent tout d’un coup bien faux. D’ailleurs, aujourd’hui l’actrice ferait un procès retentissant à son metteur en scène, qu’elle accuserait d’abus, de harcèlement, de je ne sais quoi, demandez aux avocats, ils sont payés pour cela…
Je suis désolé pour Maria Schneider. Elle méritait mieux comme tout le monde ou presque ; mais elle n’avait pas besoin de dire à l’époque qu’elle avait couché avec cent filles et garçons, comme je l’avais noté dans mon livre la Damnation des Stars, alors que trente ans plus tard elle avoua être pucelle au moment du tournage (qu’est-ce que les médias ne feraient pas de Jeanne d’Arc aujourd’hui, hein, mes frères, y avez-vous pensé ?). Maria Schneider était déjà condamnée au récit plus qu’à l’histoire ; n’ayant plus rien à dire, elle devait en raconter, des salades. La suite de sa filmographie aura été d’un anonymat total ; comme beaucoup d’anciennes actrices érotiques, elle s’adonna à l’astrologie et à la spiritualité ; à titre personnel, comme on dit aujourd’hui.
Au sens strict elle aura été victime des drôles de rôles dont je parlais alors, et qui enferment les acteurs ou les actrices dans un seul genre. Il me semble que dans la vie postmoderne, peuplée de fesses, books et frustrations, on est de plus en plus enfermés aussi. Ce n’est pas tous les jours que le Christ arrive pour libérer Marie-Madeleine.
Comment (1)
Le "Dernier Tango à Paris" est,en fait,le premier navet produit par la nouvelle caste des châtrés du ciné moderne.Ce film a accompli la destruction absolue de ce que la cinéma a de plus sacré : la création du rêve.Maria Schneider n’est absolument pour rien dans ce déclin;elle s’est trouvée là par hasard au main d’un géant de la pellicule qui à fait la démonstration de ce que notre monde allait devenir : une merde.Ce film était donc prémonitoire de ce que notre société allait générer de minables réalisateurs en passe (!) de notoriété financière en considérant le cinéma comme un moyen ordinaire d’y parvenir.
Le Dernier Tango à Paris n’est pas seulement un film dédié aux moeurs dissolues en faisant l’apologie de la sodomie façon Normande,il est aussi, et surtout,le début de la décadence occidentale.Il faut y voir le signe de la médiocrité établie en principe obligé en complément aux autres formes d’expressions artistiques qui relèvent de la même nullité.
Nous sommes tous les admirateurs des plus glorieux navets jamais produits par l’être humain ayant à sa disposition le plus formidable outil de culturation de l’humanité.