Les quatre vérités de Louis-Ferdinand Céline

Les quatre vérités de Louis-Ferdinand Céline

Il faudrait rapprendre à danser. La France est demeurée heureuse jusqu’au rigodon.

On fête les cinquante ans de Céline, plus grand écrivain et poète français du siècle dernier, au moins pour son Voyage si prémonitoire, dont la moitié de phrases contiennent un octosyllabe ou un alexandrin. Mais j’ai envie de citer quelques phrases des pamphlets.

Je n’ai aucune envie de défendre ou de justifier Céline. Mais on ne m’empêchera pas de le lire en ligne et de citer de lui ces propos suivants, qui le rapprochent des grands écrivains et philosophes critiques de la modernité. Ils ont tirés pour l’essentiel des Beaux draps, le meilleur et le moins agressif de ses pamphlets justement diabolisés.

Comme Péguy, Duhamel, René Clair ou Charlot, Céline dénonce la « Standardisation robotisation insensibilisation nivellement artistique ».

Sur les excursions, le tourisme et la promenade pathétique du dimanche, sur la manie automobile en somme, il écrit, assez drôlement :

Pauvre sagouin tout saccagé d’expulsions de gaz, tympanique partout, tambour brimé de convenances, surpasse un moteur en péteries, d’où l’innommable promenade, de sites en bosquets du dimanche, des affolés du transit, à toutes allures d’échappements, de Lieux-dits en Châteaux d’Histoire. Ça va mal !

La sottise des temps lui inspire ces propos presque eschatologiques :

Une telle connerie dépasse l’homme. Une hébétude si fantastique démasque un instinct de mort, une pesanteur au charnier, une perversion mutilante que rien ne saurait expliquer sinon que les temps sont venus, que le Diable nous appréhende, que le Destin s’accomplit.

Concernant la démocratie, Céline a bien compris que le problème, n’est-ce pas, ce n’est pas le pouvoir ou les partis politiques qui n’en peuvent mais, c’est le citoyen des temps modernes :

Voici l’homme fou à ligoter, citoyen grisé de conneries qu’a perdu tout sens du ridicule. Il sait plus ce qu’il fait, ce qu’il ne fait pas. Il a plus que des velléités, des ébauches, des bribes, il sait plus rien entreprendre, il comprend plus rien. Il a perdu ses racines. Il est l’homme des publicités, rincé, délavé, chiffe crâneuse.

L’homme des pubs est aussi une machine politique à revendiquer des « droits » :

Ils veulent rester carnes, débraillés, pagayeux, biberonneux, c’est tout. Ils ont pas un autre programme. Ils veulent revendiquer partout, en tout et sur tout et puis c’est marre. C’est des débris qu’ont des droits. Un pays ça finit en “droits”, en droit suprêmes, en droits à rien, en droits à tout, en droits de jaloux, en droits de famine, en droits de vent.

onde moderne, monde sans rêve et sans efforts. Voici les lignes impeccables que ce monde-ci, consumériste et nihiliste, lui inspire :

Le monde est matérialiste, le plus menu peuple compris. Il croit plus à rien qu’au tangible. C’est comme ça l’Instruction Publique, l’évaporation des Légendes. Ils veulent plus se remettre en route avant qu’on ait réglé les comptes. Nôtre société elle veut plus rien foutre, elle veut plus se fatiguer du tout. Elle se les retourne de plus en plus. Elle s’effondre dans tous les coins.

C’est qu’en effet, « ça rend pas bon la mécanique ça rend prosaïque et cassant. »

Bien avant Internet ou la télé, Céline constate que du fait de cette mécanisation et cette massification les carottes sont cuites en matière de culture (n’est-ce pas Pinault ?) et de goût du public, comme on dit :

Le goût du public est tout faux, résolument faux, il va vers le faux, le truqué, aussi droit, aussi certainement que le cochon va vers la truffe, d’instinct inverti, infaillible, vers la fausse grandeur, la fausse force, la fausse grâce, la fausse vertu, la fausse pudeur, le faux bonhomme, le faux chef-d’œuvre, le tout faux, sans se fatiguer.

Enfin, même sur l’antisémitisme, Céline écrit ces lignes enfin lucides et décalées, comme on dit aujourd’hui :

Bouffer du juifça ne suffit pas, je le dis bien, ça tourne en rond, en rigolade, une façon de battre du tambour si on saisit pas leurs ficelles… Tout le reste c’est du rabâchis, ça vous écœure tous les journaux, dits farouchement antisémites, qu’est-ce qu’ils cherchent au fond ?

On peut lui répondre : ils cherchent à gagner de l’argent, l’antisémitisme ayant été un marché littéraire et journalistique colossal en Europe durant plus d’un siècle (40 000 titres pour le moins !). Mais laissons de côté : je recommande la lecture des premiers chapitres du Voyage, et surtout le chapitre américain, le meilleur du livre, le meilleur du siècle, où Céline fait sa grande dépression à lui, la dépression du petit homme buté face au « commerce, ce chancre du monde ».

Toujours j’avais redouté d’être à peu près vide, de n’avoir en somme aucune sérieuse raison pour exister. À présent j’étais devant les faits bien assuré de mon néant individuel.

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Comments (7)

  • SAS Répondre

    lOUIS FERDINAND CELINE ETAIT ET GAULOIS……et visionaire….prophète

    et nul n est prophète en son pays…..

     

    Il nous a largement averti……nous n avons pas su ni voulu l ecouter…..

    merde a nous….

    ce qu il advient a ce jour……etait prévisible et planifié…

     

    chapeau bas et respect…et que la tarlouze ministre n ait cru bon l honnorer n a aucune importance…il leur survivra a tous……lui il  restera LOUIS FERDINAND CELINE alors qu on aura oublié tous les autres traitres et lâches….

     

    SAS

    5 juillet 2011 à 23 h 24 min
  • Jean-Pierre Pagès-Schweitzer Répondre

    Je prépare, en ce moment, un article intitulé :

     "La folie, c’est quoi ?"
    Etude du cas clinique L-F Céline.

    Jean-Pierre Pagès-Schweitzer

    5 juillet 2011 à 14 h 32 min
  • Emile Répondre

    Magnifique. Quel bonheur. JE me suis accroché de nombreuses fois avec des idiots qui savent portant lire, et qui considèrent Céline comme un nihiliste ou un désespéré. Quelle blague Lire Céline c’est du soleil, du bonheur assuré. C’est de l’anti cons surtout, et sur tous les sujets que ces imbéciles prennent au sérieux leur vie durant. Un coup de bourdon, hop, je ressors mon vieux Mort à crédit… Quel pied…Je range mon revolver, je sors et je dis bonjour a ces gens qui ne répondent jamais.

    5 juillet 2011 à 11 h 30 min
  • Guillermo Répondre

    @papiche

    Allons donc, ne révez pas on ne reviendra plus au moyen-age.

    5 juillet 2011 à 7 h 14 min
  • SMALL BARTHOLDI Répondre

    Voyage au bout de la nuit s’ouvre sur ce qui sera l’èvènement le plus important du XXe siècle, et sûrement bien au-delà : la Grande Guerre de 14-18. C’est la fracture fondamentale dans l’histoire de l’Europe, ce que les gens de gôche obsédés par Hitler ne comprendront jamais. C’est la Guerre de Troie de la mythologie, celle qui bouleverse tous les destins, de façon impitoyable et définitive. Celle qui précipite à vive allure des évolutions déjà amorcées.

    La Grande Guerre fut le Titanic de l’Europe. Ce fut aussi simple et radical que cela. Elle a fauché le meilleur de l’Euope et les meilleurs Européens.

    Céline, combattant des tranchées à l’âge de 20 ans, l’aura bien compris. Bardamu est encore enthousiaste et vaillant avant le fatal été 14. Après, c’est terminé.

    Depuis ce suicide collectif, l’Europe a entamé un naufrage qui se poursuit avec une belle constance, transformant ses habitants en ânes dociles, tantôt sanguinaires tantôt apathiques.

    D’autres que Céline l’avaient parfaitement compris. Dès le début des années 20, James Joyce ridiculisait Homère. Robert Musil inventait l’homme sans qualités. Et Kafka décrivait avec minutie la métamorphose du héros en cafard. Drieu la Rochelle écrit avec Gilles un roman qui aurait pu être écrit hier.

    L’anti-héros européen, lâche et veule, n’a cessé de se répandre dans toute la société. En France, on lui a déroulé le tapis rouge. De nos jours, il traîne ses shorts et ses tongs dans tous les supermarchés. Les vacances sont là pour deux mois au bas mot : vous en verrez des exemplaires à foison. Il ne demande plus à être sauvé, simplement à faire la fête, la sacro-sainte fiesta. Il en veut même à celui qui pourrait lui tendre un miroir. Il n’est pas même une victime. Il peut voter Marine, mais simplement pour ne pas qu’on lui brûle sa bagnole. Car, le reste, tout le reste, il s’en contrefout. Céline n’avait aucune illusion sur le destin que se fabriquaient les Français.

    Depuis bientôt un siècle, le naufrage se poursuit. Hier Hitler, demain l’Euroland. Trinquons, l’ami, pour un monde dévasté !

    4 juillet 2011 à 23 h 13 min
  • Le Petit Célinien Répondre

    Retrouvez toute l’actualité célinienne sur Le Petit Célinien : http://lepetitcelinien.blogspot.com

    4 juillet 2011 à 17 h 25 min
  • papiche Répondre

    C’est la faillite du christianisme dont il rend compte, dans un style de brêves de comptoir.
    Maintenant, que sur les 4V on en vienne à critiquer la pub, la consommation etc…. par amour d’un traitre à la France…..
    Si chacun élevait ses enfants comme il se doit au lieu de laisser la télé agir. En cela, je rends hommage aux juifs qui ont au moins la sagesse d’éteindre leur téléviseur leur sabbath venu, ni de se rendre comme des benêts le samedi au supermarché….  Un paradoxe qui a échappé à ce vieux sorcier hideux de Céline.

    4 juillet 2011 à 12 h 29 min

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