Modestes récriminations judéo-chrétiennes sur l’horreur des têtes rasées, des piercings et autres tatouages de l’époque présente

Modestes récriminations judéo-chrétiennes sur l’horreur des têtes rasées, des piercings et autres tatouages de l’époque présente

Nous développons dans le monde postindustriel, post-agricole, post-tout, une société de services en tout genre. Ce mot, service, qui rime avec sévices, fait redondance avec servus, l’esclave romain, ou bien sûr avec le serf. Il faut savoir que l’on devait reconnaître cet esclave à des signes extérieurs de pauvreté. Le crâne rasé, le piercing, le tatouage en faisaient partie. Et il me semble que tout le monde se met à se tatouer, se raser, se tondre et se peler, comme pour se rappeler que dans notre société dominée par un nouveau clergé, celui des manipulateurs de bits et de symboles à cent milliards de dollars de fortune personnelle, on a bien une bonne fonction d’esclave ou de serviteur. J’ai pour m’appuyer de modestes sources comme la Bible ou les auteurs romains.

Personne ne niera, ceci dit, et surtout pas moi, que le tatouage puisse avoir une signification mystique, mystérieuse, cosmogonique, que sais-je encore. Comme l’écrit le génie Melville de son merveilleux indien harponneur :

Ses tatouages étaient l’œuvre d’un prophète de son île qui avait écrit, dans ces caractères hiéroglyphiques, une thèse complète sur les cieux et la terre et un traité mystique sur l’art d’atteindre à la vérité. La personne de Queequeg était dès lors une énigme à déchiffrer, une œuvre étonnante en un volume dont lui-même ne pouvait pas lire les mystères contre lesquels battait pourtant son cœur de chair.

Mais nous n’en sommes pas là ; d’ailleurs le Queegueg de Moby Dick est bon païen et le pape Hadrien avait banni le tatouage chez les chrétiens, au VIIIème siècle. Prenons le crâne rasé sont le monde s’orne, en attendant les femmes, et qui caractérisait les esclaves de 1984 ou du seul bon film de Lucas, THX1138. Et prenons Pétrone et son grand Satiricon qui inspira à toutes époques les maniaques de la Décadence.

« J’en appelle aux dieux et aux hommes, s’écria Eumolpe, votre vie ne finira pas si vilainement. Faites plutôt ce que vais vous dire : mon domestique, comme vous l’avez pu voir par son rasoir, est barbier de son métier ; il va vous raser complètement non seulement la tête, mais aussi les sourcils. Je passerai derrière lui pour marquer adroitement vos fronts d’une inscription pour vous être enfuis. Ces stigmates détourneront les soupçons de ceux qui vous cherchent et déguiseront votre physionomie sous un voile d’infamie.

Le mot stigmate, on le voit, désigne le signe de l’esclavitude, comme dirait Ségolène. Si le Christ a voulu porter les stigmates, c’était bien pour nous libérer de l’esclavage terrestre. Mais peut-être que je me trompe…

Parlons du piercing. Voici ce que l’on peut lire dans la Bible (Exode, 21, 5).

Mais si le serviteur dit positivement : j’aime mon maître, ma femme et mes enfants, je ne veux pas sortir libre ; alors son maître le fera venir devant les juges, et le fera approcher de la porte ou du poteau, et son maître lui percera l’oreille avec un poinçon ; et il le servira à toujours.

Le piercing est une marque indélébile de l’esclavage éternel ! Etonnant, non ? Dans le Lévitique, on nous interdit aussi le tatouage (Lévitique, 19, 28) :

Et vous ne ferez point d’incisions dans votre chair pour un mort, et vous ne vous ferez pas de tatouages. Moi, je suis l’Éternel.

Dans le Deutéronome (14, 1), on lit aussi ceci :

Vous êtes les fils de l’Éternel, votre Dieu : Vous ne vous ferez pas d’incisions, et vous ne vous ferez pas de tonsure entre les yeux, pour un mort.

Dans l’Antiquité grecque aussi, on tatouait les esclaves en les marquant d’une chouette. Ou d’un vaisseau de guerre. Les Romains, plus sobres, avaient décidé de tatouer la première lettre du nom de famille entre les deux yeux des esclaves. La marque de l’esclave, Stigma, est une marque d’infamie.

On trouvera tout un tas de psychiatres et autres sociologues pour nous expliquer l’anomie des comportements contemporains. Dans notre société où les individus sont de plus en plus parqués, manipulés, homogénéisés, on ressent très fort le besoin, on est aussi poussé par le marché, de se caractériser, soit en achetant comme un milliard d’imbéciles le même sac Vuitton, soit en se tatouant le même colifichet insignifiant. Mais je trouve plaisant que ce faisant, dans ce monde si libre, on ne fasse que recycler la sémiotique corporelle de l’antiquité la plus réifiée.

Et comme beaucoup de novices adorent se faire tatouer un dragon, je ne peux résister à citer ce passage si célèbre de l’Apocalypse (13, 17) !

Et elle fait qu’à tous, petits et grands, et riches et pauvres, et libres et esclaves, on leur donne une marque sur leur main droite ou sur leur front ; et que personne ne peut acheter ou vendre, sinon celui qui a la marque, le nom de la bête, ou le nombre de son nom.

Et qu’on ne me retourne pas le compliment : ce n’est pas moi qui fait référence à Satan dans la mode Prada, les jeux vidéo, Hell raiser, Harry Potter, la littérature pour les gosses, la pub ou les émissions nocturnes : c’est cette société qui le fait, comme si elle sentait confusément, pour parler comme Goscinny, de quel maître elle se réclame et s’inspire. Eh bien continuons, comme disait Sartre dans sa pièce si célèbre !

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Comments (3)

  • Daniel Répondre

    C’est un article d’artiste!. Mais les arguments n’ont de poids que pour les convaincus.
    Nous pensons  au rythme de la mode et nous détruisons ce qui ne nous a rien couté à construire.

    21 mai 2012 à 22 h 31 min
  • Kim Kardachiasse Répondre

    Ce texte, c’est de l’excellent Nicolas Bonnal. Dans le mille. J’attends maintenant les commentaires des caractériels.  

    21 mai 2012 à 20 h 05 min
  • ozone Répondre

    Souvenez vous de cette mode de la brosse dans les années cinquante,cet acharnement a faire drésser a la verticale les cheveux histoire de rentrer dans un moule,c’était pas triste.
    Mais la conséquence fut le "niet" de continuer,les engueulades avec les parents pour conquerir la liberté capillaire,est ce que cette fois encore se sera sur le crâne que l’on verra pousser les idées

    21 mai 2012 à 19 h 30 min

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