Quand les Français vivaient en (ancien) régime de liberté

Quand les Français vivaient en (ancien) régime de liberté

Il est quelque peu irritant de lire sous la plume de tel ou tel économiste libéral des tirades sur le « colbertisme », qui serait à les entendre le père de l’étatisme moderne. Sans nier l’effort centralisateur de la monarchie sous l’Ancien Régime, encore faut-il se souvenir que cet effort se heurtait à la résistance très efficace d’une kyrielle de contre-pouvoirs, dans une France alors très décentralisée.

« On ne peut faire un pas dans ce vaste royaume sans y trouver des lois différentes, des usages contraires, des privilèges, des exceptions, des affranchissements d’impôts, des droits et des prétentions de toute espèce », se plaignait le ministre Calonne, Contrôleur général des finances sous Louis XVI.

Et Pierre Gaxotte, qui le cite dans La Révolution française, décrit, près d’un demi-siècle plus tard, le changement intervenu à la faveur de la centralisation jacobine, puis napoléonienne, poursuivie sous la IIIe République :

« L’autorité nous apparaît aujourd’hui sous les traits d’un fonctionnaire assis derrière un grillage et investi des droits les plus étendus, y compris celui de nous transformer en militaires et de nous envoyer recevoir des morceaux d’acier sur les champs de bataille.

Ce personnage est éternel, immuable, identique à lui-même d’un bout à l’autre du territoire. En plaine et en montagne, en Ile-de-France et en Lorraine, il applique les mêmes règlements et perçoit les mêmes impôts. Il est tout-puissant parce que son espèce est nombreuse, parce que tout le monde a besoin de lui, parce que des décrets sont appuyés sur une police active, une magistrature docile et de nombreux régiments. Il recense, enregistre, espionne. Il dénombre nos revenus et fait l’inventaire de nos héritages. Il sait si nous possédons un poste de radio, un chien ou une automobile. Il instruit nos enfants et fixe le prix de notre pain. Il fabrique nos allumettes et nous vend notre tabac. Il est industriel, armateur, commerçant et médecin. Il a des tableaux, des forêts, des chemins de fer, des hôpitaux, des banques et des usines. Il accapare la charité. (…) Nous ne pouvons faire un pas ou un geste sans qu’il en soit averti, sans qu’il trouve prétexte d’intervenir. Sans parler des industries nationalisées, un million de Français au moins (1) sont à son service, deux ou trois millions sont pensionnés par lui et les autres aspirent à l’être. (…)

Cette conception d’un gouvernement bureaucratique servi par une armée de fonctionnaires, promulguant pour une nation d’administrés une seule législation, est peut-être ce qu’il y a de plus étranger à l’ancien régime. Les plus grands réformateurs, les plus amoureux d’unité, Colbert, Machault, Maupeou, Lamoignon, ne pouvaient même pas imaginer pareille uniformité, ni pareille docilité. »

Heureusement, depuis, l’Egalité et la Liberté, dans leur conception héritée de 1789, sont passées par là…

Philippe Dutage

(1) Gaxotte publia La Révolution Française en 1928. Depuis, les effectifs de la fonction publique ont quintuplé.

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Comments (1)

  • Rosanov Répondre

    Article sans queue ni tête

    18 mai 2010 à 8 h 28 min

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