Tolstoï, Wagner et le problème de l’art moderne

Tolstoï, Wagner et le problème de l’art moderne

Les scandales de Piss Christ et du festival de Cannes, avec ses provocations répétées, m’incitent à me pencher une nouvelle fois sur le problème de l’art moderne. Le problème, c’est que l’art moderne est vieux et ancien. Il faut être à la mode depuis le dix-neuvième siècle, voire avant ; c’est ce que le comte Tolstoï dans son essai Qu’est-ce que l’art ?, qui semble avoir été écrit hier, tant les remarques et les exemples, tant le raisonnement sont actuels et justes.

Tolstoï défend les prophètes juifs, Homère ou Virgile, les contes de fées, les valeurs sûres, et l’art chrétien. Il se méfie du reste, des « génies modernes » de l’univers scolaire en particulier.

Pour l’auteur de Guerre et paix, l’art moderne apparaît avec la Renaissance. En cela, il se situe dans une ligne pessimiste de la décadence de l’occident, proche de Spengler ou Guénon : je relis Gautier aussi, qui voit la menace de l’homogénéisation occidentale se profiler partout, dans son journal de voyage en Espagne. Mais je laisse la parole au maître, pour qui la déchristianisation des classes supérieures est la cause première du désastre :

« Dès le moment où les classes supérieures de la société européenne perdirent leur foi dans le christianisme d’Église, la beauté, c’est-à-dire le plaisir artistique, devint pour eux la mesure du bon et du mauvais art. »

Cet art du plaisir repose paradoxalement sur une célébration du mal-être, comme on l’a bien analysé pour la génération romantique (le fameux « mal de vivre » ou « vague des passions » de Chateaubriand) ; mais aussi sur d’autres sujets morbides et bien cannois :

« Ainsi le manque de foi des classes riches et la vie d’exception qu’elles mènent ont eu pour première conséquence d’appauvrir la matière de l’art de ces classes, qui s’est abaissé jusqu’à ne plus exprimer que les trois sentiments de la vanité, du désir sexuel, et du dégoût de la vie. »

L’art moderne, une exposition, un film, un opéra, coûte une fortune ; il est donc réservé, note Tolstoï à une élite d’initiés – ou d’abonnés ! – et se doit donc d’être ésotérique, comme la poésie de Mallarmé et des symbolistes.

« Une autre considération se présente pour prouver que cet art ne saurait être universel : à savoir qu’il est absolument inintelligible pour le peuple. Cet art devenait en même temps sans cesse plus artificiel, plus embarrassé, et plus obscur. »

Cette remarque est fondamentale : on se souvient des arguties de Pinault pour expliquer à son public d’ilotes pourquoi un des tableaux de sa collection est important pour lui, et vaut donc cent millions d’euros. Faut-il donc encore dissoudre le peuple et son « populisme esthétique » ?

« Car seuls sont admis à participer aux jouissances de l’art les " beaux-esprits ", " l’élite " ou encore les " surhommes ", pour employer l’expression de Nietzsche ; et le reste des hommes, vil troupeau, incapable de goûter ces jouissances, doit se contenter de mettre ces êtres supérieurs à même d’en jouir. »

En plein dix-neuvième siècle, siècle des concerts massifs, de la bureaucratie esthétique et des opéras gâteaux, Tolstoï voit poindre l’armée des douze singes : celle de l’art professionnel, de l’enseignement, de la critique qui va venir créer un nouveau public, un nouveau conditionnement. Le danger est réel ; car pour Tolstoï, c’est l’art qui contribue le plus, dans notre temps, à pervertir les hommes. Le grand critique Jacques Lourcelles l’a bien analysé dans son Dictionnaire du cinéma, publié chez Laffont : il y a le cinéma d’avant 1960, et il y a celui d’après : le cinéma qui doute et qui détruit, sauf celui qui s’adresse au populo, aussitôt blâmé par les élites ; celui de John Ford et celui des festivals. Mais on n’a pas remplacé John Ford, et c’est un problème culturel fondamental. Car comment faire après Homère ?

Tolstoï consacre enfin un chapitre entier aux nuisances wagnériennes : à l’époque, déjà, Nietzsche tempête contre le mage de Bayreuth. Il ne s’agit pas pour lui de nier le « génie » du maître-chanteur de l’art moderne… Et même ainsi on pourrait dire qu’il exagère : mais Wagner n’a-t-il pas inspiré qui l’on sait ? Comme dit Woody Allen, « chaque fois que j’écoute du Wagner, n’ai-je pas envie d’envahir la Pologne » ? A partir de Wagner, l’art musical et même total plonge dans le symbolisme, l’ésotérisme, l’élitisme, le banditisme exotique. Il est une pulsion de mort. Demandez au bon Lars Von Trier ce qu’il en pense …

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Comments (7)

  • Gilles Répondre

    Certains esprits oisifs s’amusent à critiquer "Les 4 vérités".

    Eh bien chers amis, partez, personne ne vous retient! C’est bien évident, la droite n’est qu’un ramassis d’imbéciles et de fanatiques, et n’est pas digne de vos lumières.

    Le peuple français est en train de disparaître,  avec l’aide de la totalité des députés supposés nous représenter, la quasi totalité des jounaux sont pro-immigrés.

    Seuls quelques jounaux, tels "les 4V" laissent les petits Français s’exprimer avec un minimum de liberté. Et non, des idiots pompeux viennent nous prouver que nous avons tort et que nous devons nous laisser égorger tels des montons kashérisés ou halalisés.

    Jusqu’à quand abuseront-ils de notre patience?

    30 mai 2011 à 11 h 12 min
  • WatsonCorsica Répondre

    Jaurès, c’est vrai que nous sommes sur la même longueur d’onde concernant le domaine de l’histoire de l’art, j’ai bien dit " histoire de l’art" afin de ne pas confondre les jugements de valeurs hâtifs avec la connaissance de l’histoire de la créativité et de ses plus éminents représentants…

    ce qui vous prouve encore une fois que l’on peut être à l’extrême droite de l’échiquier politique et ne pas être un ringard en matière de jugement des tendances des arts plastiques.

    ce qui vous prouve que l’avant-garde n’est pas forcément là où vous la situer ; c’est à dire dans la repentance gauchisante perpétuelle face aux  valeurs occidentales et dans le masochisme compulsionnel des masses en perte de valeur face à l’islamisation croissante de notre société…

    Suivez mon regard !

    d’où vient le véritable fascisme aujourd’hui sinon dans l’anéantissement de nos valeurs ? 

    Or, l’art contemporain reste aux antipodes de l’islam conquérant. c’est pour cela qu’il faut le défendre autant qu’il faut combattre l’islam…

    30 mai 2011 à 1 h 19 min
  • Anonyme Répondre

    Et la musique Baroque, Mr Bonnal, la plus belle musique existante?

    28 mai 2011 à 11 h 04 min
  • Jaures Répondre

    Cher Watson, vous parlez d’or. D’autant que Bonnal, comme d’habitude, se livre à une schématisation ridicule de la pensée de Tolstoï en la coupant de la vision globale de l’auteur et du contexte où elle s’exprime.
    Sa critique est une réaction au mouvement du Parnasse, "l’Art pour l’Art", qui lui même était une réaction au romantisme, réaction au classicisme, etc…
    Réduire la pensée de Tolstoï à une énième philosophie de la décadence ne tient pas la route.

    L’auteur de "Guerre et Paix" prône une vie mystique (il est chrétien mais renie l’Eglise dont il fut excommunié)  et prosaïque, il est végétarien et renonce à ses propriétés préférant vagabonder. Son personnage Levine, dans "Anna Karénine" semble être celui dont il fût le plus proche.
    Il méprise les riches aristocrates, la bourgeoisie et l’art bourgeois de la fin du XIXème siècle.

    Mais Bonnal, adepte entêté de la théorie de la décadence, se sert de quelques propos sortis de leur contexte pour illustrer son propre discours redondant  sur la décadence. En quoi d’ailleurs Tolstoï serait-il décadent par rapport à ceux qui le précédèrent dans l’histoire de la littérature ?
    En quoi les fresques romanes seraient supérieures à celles de la chapelle Sixtine ou aux plafonds de Chagall ?
    En quoi les chants Grégoriens domineraient la Messe en Ut mineur de Mozart ? Y aurait-il plus d’invention géniale dans un quatuor de Haydn que dans celui de Debussy ? Les accords de 11ème des sonates de Beethoven seraient-ils plus délicieusement dissonants que ceux de Thelonious Monk ?

    Bonnal stigmatise l’art professionnel mais Mozart ou Haendel n’étaient rien d’autre que des laquais qui recevaient des gages pour leurs oeuvres et des coups de pieds au derrière quand ils ne donnaient pas satisfaction. Vélasquez était plus tourmenté par ses appointements que par l’éternité de son oeuvre.

    Et par ailleurs, le problème est-il de "remplacer"John Ford ? Celui-ci est un cinéaste immense mais attaché à un contexte. Tous les cinéastes contemporains se sont nourris de J.Ford (comme de Welles, Hitchcock, Renoir, Rosselini,…) comme Ford s’était nourri de Griffith. A eux de construire leur propre travail, comme Beethoven s’est nourri de Mozart, avant d’inspirer Wagner.
    Il y a autant de cinéma, de profondeur mystique et d’humanisme sceptique dans un film des frères Dardenne que dans "La prisonnière du désert".

    Bref, la décadence en Art n’est qu’un mythe réactionnaire aussi vieux que le Monde. Saint Augustin déjà pestait contre la modernité (celle du 5ème siècle) où les jeunes ne respectaient plus leurs maîtres.

    Aussi, cher Watson, je vous rejoins dans votre opinion sur Bonnal lequel, vous en conviendrez, est à la rubrique "culture" des 4V ce que Tremeau est à la chronique économique.

    28 mai 2011 à 10 h 10 min
  • Lorenzo Répondre

    A propos de Wagner et de sa prétendue influence sur Hitler … si ce dernier avait aimé les chaussons aux pommes, aurait on condamner la consommation des chaussons aux pommes ? ? ?

    28 mai 2011 à 10 h 05 min
  • WatsonCorsica Répondre

    Bonnal ferait mieux de parler des recettes culinaires de son terroir plutôt que d’art, car non seulement il n’a aucune culture et il le montre mais de plus il semble tout mélanger et finit par dire n’importe quoi.

    Première question : il parle d’Art moderne; ! – aurait-il voulu parler d’art contemporain ? car l’art moderne date du début du siècle précédent et à donné des oeuvres importantes.

    Pourquoi ne donne-t-il pas d’exemple ? Est-il si ignorant ?

    Il critique la tendance qu’avait dénnoncé Tolstoi à rechercher le nouveau de façon systématique et névrotique : sait-il quels sont les artistes contemporains qui ont fait la même démarche ?

    Pense-t-il que la période bleue de Picasso ne vaut pas un clou ? ( art moderne ) Pense-t-il que Giacometti est un nul ? ( art moderne ) que Barcelo ne sait pas peindre ? ( art contemporain figuratif )  

    Alors, par pitié, aux 4V, arrêtez dé-fi-ni-ti-ve-ment de confier certains sujets à des bourrins de la culture qui pensent que la peinture se résume à tirer le portrait du châtelain avec à ses pieds son chien ou son cheval – à l’image de cette vieille France qui croit que la sculpture ne sert plus qu’à décorer les monuments funéraires.

    27 mai 2011 à 23 h 03 min
  • BORGAL Répondre

     

    Qui trop embrasse mal étreint….

    Très habile comme d’habitude, Mr. Bonnal……. et, comme d’habitude, affligeant de superficialité – quand ce n’est pas carrément la cuistrerie …..

    Nicolas Bonnal: un virtuose des rapprochements faussement hardis…..  Un "visionnaire"  mondain.

    Le roi du camouflage.

     

    27 mai 2011 à 14 h 47 min

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