Démocratie et anti-américanisme

Démocratie et anti-américanisme

Aux États-Unis, au fur et à mesure que se rapproche la date fatidique de l’élection présidentielle du 2 novembre, la campagne se fait évidemment de plus en plus rude. Mais, pour l’instant, John Kerry est très loin de talonner George W. Bush. Du coup, le candidat démocrate est amené à changer de pied, à renouveler son équipe de spécialistes de la communication, et à se contredire, en particulier sur l’Irak, d’une semaine sur l’autre. Ce qui a tendance à renforcer la position du candidat républicain, droit dans ses bottes…
En politique intérieure comme en politique étrangère, il ne faut surtout pas croire, vu d’ici, que les positions concrètes prises par les deux candidats sont diamétralement opposées. L’un comme l’autre veulent renflouer et élargir l’assurance maladie et assurer un minimum décent aux pensions de retraites publiques. Le nombre de fonctionnaires a augmenté sous le gouvernement de George Bush. Les propositions d’augmentation des impôts payés par les sociétés, présentées par John Kerry, sont considérées comme raisonnables par les milieux d’affaires américains…
En politique étrangère, les différences de points de vue sont également limitées. Pas question, pour l’un comme pour l’autre, de remettre en cause l’alliance rapprochée des États-Unis avec Israël. Quant à l’Irak, après avoir dit qu’il fallait augmenter le nombre des soldats américains qui y sont présents, tout en essayant d’impliquer aux côtés des États-Unis l’ensemble de la communauté internationale, le candidat démocrate vient de faire volte-face en disant qu’on n’aurait pas dû y aller, bien qu’il ait voté, au Sénat, les crédits nécessaires pour ce faire…
Ce n’est donc pas sur les propositions que les candidats se battent. En fait, ils représentent des groupes sociaux qui s’opposent d’autant plus violemment que leurs différences programmatiques sont relativement faibles. George Bush plaît à l’Amérique profonde qu’il incarne et à laquelle il sait parler, tandis que John Kerry symbolise la classe intellectuelle et médiatique, un brin arrogante, qui pense devoir exercer le pouvoir soit « de naissance », soit « par fonction ».
La gauche démocrate américaine est élitiste tandis que la droite républicaine est plébéienne. C’est ce clivage qui domine la vie politique américaine. Et qui, malgré le bourrage de crâne généralisé des médias aux États-Unis, renforcé par l’engagement de l’immense majortié des universités, permet à George Bush, méchamment caricaturé, carrément insulté à longueur de colonnes, d’émissions et de pages d’ouvrages, de demeurer sereinement en tête de cette course présidentielle.
En France, et sans doute pour la première fois à ce point, l’ensemble des médias a cru devoir prendre position comme s’ils étaient directement concernés par la campagne électorale outre-Atlantique. À la radio, à la télé, dans la presse écrite, journalistes et éditoralistes font campagne pour John Kerry contre George Bush. Non seulement « Canal + » ou « France Culture », non seulement « Le Monde » ou « Le Nouvel Obs » mais même « Marianne » (en couverture) voire « Le Figaro » (plus discrètement).
Cet unanimisme démocrate, y compris dans des médias réputés de droite – j’attends encore qu’un seul journal, à part le nôtre (dans la Chronique de Guy Millière), prenne clairement parti pour George Bush… – permet sans doute de comprendre, d’éclairer et de relativiser l’anti-américanisme qui semble actuellement envahir non seulement les médias mais, à en croire quelques sondages récents, les esprits de nos concitoyens.
On se souvient que, lors de ses déboires demeurés célèbres sous le nom d’« Affaire Lewinsky », Bill Clinton avait trouvé un grand nombre de sympathies dans l’opinion publique française. Par contre, qu’un livre de commande « à scandale » paraisse six semaines avant l’élection américaine, avançant que George Bush et son épouse auraient quelques anciennes turpitudes à se reprocher, et tous les médias en font immédiatement leurs choux gras. Ce n’est pas tant l’hégémonie américaine que la majorité des Français rejette et déteste, que l’image qu’ils en ont, déformée par leurs propres médias, quand elle est assumée, sans complexe, par un homme de droite.
L’envie mène les hommes et détermine leurs désirs. Rattraper et dépasser la puissance américaine est, depuis l’origine, au cœur du rêve européen. Mais pas au point, évidemment d’en tirer les conséquences nécessaires en termes d’efforts et de bonne gouvernance. Après tout, l’Europe à 25 (sans la Turquie) a en mains toutes les cartes nécessaires pour s’imposer à brève échéance comme l’égal partenaire des États-Unis dans le monde. Que ne fait-elle pas de la paix au Moyen-Orient (et de la stabilité en Irak), l’un de ses objectifs prioritaires. Mais cela supposerait une autre politique économique, un autre discours politique, un autre rapport au peuple. Car ceux qui s’étiquettent démocrates, ici ou là-bas, ne le sont pas vraiment. Le peuple leur fait peur. Ils préfèrent Kerry à la démocratie.

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Comments (9)

  • Blanche Répondre

    hommlibre, Malheureusement, il y a une confusion entre l’Amérique et l’équipe Bush actuellement au pouvoir. Or cette équipe ne supporte que des alliés soumis, n’ayant pas droit à la parole sinon pour dire “amen” à n’importe quelle initiative. La France ne s’était pas opposée à l’intervention en Irak par méchanceté ou vice, au contraire ses représentants en avaient accepté le principe si la dangerosité de S. Hussein pour le reste du monde était prouvée. Mais c’était déjà trop pour l’équipe de Bush. Pour avoir refusé d’entériner le fait accompli, pour avoir refusé de se coucher, la France a été villipendée et son peuple trainé dans la boue. Idéologiquement je suis plutôt près des Républicains, mais je ne suis pas sûre de souhaiter le maintien au pouvoir d’une équipe qui a juré de briser les reins de la France. Il suffit de regarder les médias américains pour voir que l’antigalicisme se porte très bien outre-atlantique, au moins autant que l’antiaméricanisme qu’on reproche aux francais. Je terminerai en disant ceci : ma mère aurait-elle eu tort, jamais je ne la livrerai à ses ennemis. C’est ce que je ressens pour la France, et tant qu’elle sera attaquée par les États-Unis, de quelque manière que se soit, je me sentirai un peu antiaméricaine. Blanche

    2 octobre 2004 à 21 h 52 min
  • hommlibre Répondre

    La France est devenue anti-americaine par depit, par deception amoureuse …. L aide que nous avons apportee aux americains lors de la creation de ce pays si elle pouvait etre interessee n a entraine aucune reconnaissance de la part de ‘nos amis americains’, au contraire, des les guerres napoleoniennes ceux-ci ont pris le parti des anglais contre la France … Plus tard l episode ‘comique’ de l’histoire de la statue de la liberte puis les differents episodes des guerres inter-europeennes puis des guerres de decolonisation, ont tous montre que ‘vos amis ricains’ n eprouvaient ni reconnaissance ni meme respect pour nous. Alors par pitie revenez sur terre et defendez vous contre vos vrais ennemis …..

    2 octobre 2004 à 17 h 25 min
  • RALEUR Répondre

    Je ne crois rien de tout cela. Je pense simplement que l’opinion française est DEVENUE anti américaine et surtout anti-Bush parce que les medias l’ont forgée dans ce sens en répétant à longueur de colonnes avec un ensemble trop parfait pour ne pas être suspect que la position américaine était mauvaise et que la position française était la meilleure. Il s’agissait de couvrir une politique qui n’avait rien de courageux et qui en tous cas était et est loin d’assurer l’avenir, à savoir une neutralité hargneuse qui justement avait besoin pour s’affirmer, de créer de la haine. Un exemple récent et tout à fait simple: personne ne connaissait ni ne connaît encore le candidat John Kerry. L’opinion en France lui est cependant favorable.Dingue !

    1 octobre 2004 à 21 h 01 min
  • Isabelle Répondre

    Bonne remarque Thierry! Vous avez probablement raison de dire que l’Amerique est rejetee car elle reprensente tout ce que la gauche deteste.

    29 septembre 2004 à 16 h 02 min
  • T.Larger Répondre

    tout à fait d’accord avec vous Thierry, ces salauds d’américains sont de droite, et libérale en plus! C’est assez risible de voir les anciens militants de l’internationale vitupérer contre le mondialisme

    28 septembre 2004 à 20 h 44 min
  • T.Larger Répondre

    tout à fait d’accord avec vous Thierry, ces salauds d’américains sont de droite, et libérale en plus! C’est assez risible de voir les anciens militants de l’internationale vitupérer contre le mondialisme

    28 septembre 2004 à 20 h 44 min
  • Thierry Répondre

    Anti-américanisme ? Je ne pense pas que cela résume la majorité du probleme: La mondialisation est aussi celle de la gauche aujourd’hui: Cela se voit depuis quelques années avec la politique gauchiste de Jacques Chirac….mais aussi avec le comportement presque honteux d’avoir des idées de droite chez stephen Harper durant les elections federales du Canada: La classe politique de droite, dans le monde entier, a honte d’avoir des idées de droite. C’est en partie grace a la pression des groupes sociaux: Aujourd’hui, on a plus le droit de dire que l’on est pour la famille et contre le mariage homosexuelle, que l’on est pour l’entreprise privé et contre les syndicats, que l’on est Chrétien et conservateur…. Il y a un glissement global vers la gauche que rien ne me semble capable d’endiguer et pas juste un anti-américanisme qui n’est en fait qu’une assimilation entre la droite et l’amérique.

    27 septembre 2004 à 17 h 17 min
  • Isabelle Répondre

    Entierement d’accord avec l’article d’Alain Dumait et aussi avec l’intervention de Rawell. Alain Dumait resume tout quand il dit: “La gauche americaine est elitiste alors que la droite americaine est plebeienne”. Ce qui me fascine toujours (vivant aux USA) est de voir que les francais qui sont soi-disant si attaches a une tradition revolutionnaire semblent toujours preferer voire venerer des pretentieux gauche caviar elitistes qui leur font la lecon et n’ont en fait que du mepris pour la plebe. Cela ne m’etonne pas donc qu’ils preferent Kerry et qu’ils continuent eux-memes a elire des politiciens et a ecouter des journalistes pedants qui les emmenent dans une direction ou, comme le suggere Rawell, ils ne pourront que continuer a envier les Americains meme s’ils ne sont pas prets a l’admettre. Excellent article. Comment ce fait-il que si peu d’intellectuels francais comprennent ces verites plutot evidentes?

    26 septembre 2004 à 18 h 24 min
  • rawell Répondre

    Entièrement d’accord avec Alain Dumait. Une fois de plus en analysant objectivement nos médias on se rend compte qu’en France la démocratie est vénérée quand l’opinion va dans le sens des médias (cela arrive souvent car les Français sont des moutons et n’ont pas beaucoup d’objectivité du fait du lavage de cerveau qu’ils subissent depuis 50 ans) Avril 2002 sur ce point a été révélateur : une élection libre et régulière a été contestée par tous les “démocrates” qui ne se sont pas privés de cracher sur le peuple, ces cons qui n’ont rien compris. Et pour en revenir à l’antiamericanisme, fondé en grande partie sur l’envie, les Français, plutôt que de vilipender l’hégémonie, feraient mieux de mettre en oeuvre une politique qui permet le développement. Mais on préfère mettre des bâtons dans les roues du premier plutôt que d’essayer de le rattraper.

    26 septembre 2004 à 10 h 56 min

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