Il est temps de sortir de la diplomatie adolescente ! (version intégrale)

Il est temps de sortir de la diplomatie adolescente ! (version intégrale)

L’enthousiasme délirant suscité chez le président Macron par l’élection de Lula à présidence du Brésil est assez pitoyable. Le Français est allé jusqu’à le tutoyer publiquement –  une familiarité qui n’a sans doute pas plu à l’intéressé et encore moins aux Brésiliens.

Que cela laisse envisager le reprise d’ une coopération active avec le Brésil, nous ne nous en plaindrons pas. Mais cette reprise fera suite à quatre  années de dédain ostensible de la France de gauche au pouvoir à l’égard du président sortant Bolsonaro, qualifié – on se demande pourquoi – par la presse française « d’extrême droite », alors qu’il est simplement de droite. En cinq ans, ont été démantelés, parce que sa couleur politique ne plaisait pas à nos  dirigeants, les acquis de deux cents ans de coopération avec un grand pays ami, émergeant come une grande puissance sur la scène mondiale.

Quand un incendie a éclaté en Amazonie pendant le sommet de Biarritz du G7 de 2019, Macron s’était fendu de déclarations empathiques pour condamner le politique soi-disant antiécologique de Bolsonaro. Rien ne dit qu’il y ait eu plus d’incendies sous sa présidence que sous celle de Lula. Le même Bolsonaro a eu la discrétion de ne pas reprendre ce genre de rhétorique quand,  l’été dernier,  des incendies ont ravagé la Gironde .

Ceux qui ont fréquenté une certaine gauche savent comment on y étiquette sommairement, selon leur couleur supposée, les bons et les mauvais pays, comment on y fait de la diplomatie en chambre sans rien connaître de leur réalité intérieure, ni même des vrais enjeux internationaux.  Il semble que l’on soit généralement plus prudent à droite où, plus réaliste et moins porté à l’idéologie, on ne s’instaure pas en tribunal du monde entier.

Ce n’est pas tant la prise de parti qui indigne les gens de ces pays (et qui nous fait honte, à nous qui connaissons la complexité du monde), c’est l’ignorance, souvent crasse, de réalités de terrain. Voilà des hommes qui se préoccupent du sort des peuples mais qui ne daignent rien faire pour les connaitre de près. Hommes politiques, journalistes,   hauts fonctionnaires vivent dans leur bulle tapissée de clichés faciles et cela leur suffit. Prétendre vouloir le bien des gens sans vraiment s’intéresser à eux, y a-t-il pire expression du mépris ?

Ces clichés sont d’ailleurs évolutifs : dans les années 1960-1970, toute la gauche mal pensante (arrêtons de la dire bien pensante, certains le prennent à la lettre !) soutenait au Chili Allende contre les Etats-Unis. Aujourd’hui, la même gauche (sauf Mélenchon qui, à son habitude, la joue un peu rétro ) en tient pour les Etats-Unis contre Maduro. Il n’est pourtant pas certain que la politique d’Allende, tirée par son aile gauche, les trotskistes du MIR, aurait  eu de meilleurs résultats que celle de Maduro. Pourquoi cette mutation, quasi génétique,  qui dépasse le seul cas de la France   ? Mystère.

Autre paradoxe  : tout le monde loue à droite et à gauche que le général de Gaulle ait reconnu en 1964 la Chine de Pékin malgré la différence de régimes. Mais ce réalisme semble passé de mode. Appliqué aux réalités d’aujourd’hui, il est blâmé.

Preuve de l’ignorance de ces gens-là : il s’étonnent depuis quelques jours que Lula, qu’ils croyaient de leur bord, n’épouse pas dans son intégralité le logiciel de la gauche bobo. Lula a, en particulier sur la guerre d’Ukraine et sur bien d’autres sujets, des positions qui sont plus proches de celles de Bolsonaro que des leurs. Comme toute l’Amérique latine, ils ont refusé de condamner la Russie et de la sanctionner. Sur d’autres sujets, leurs politiques n’ont pas été très différentes. Il n’y a, semble-t-il, pas trente-six manières de gérer un grand pays comme le Brésil.   Au Sud du Rio Grande , les divergences intérieures  s’effacent généralement devant l’hostilité au yankee.

Ce n’est qu’avec la France que Bolsonaro a eu ce genre de problèmes – et je ne crois pas d’ailleurs que ça l’ait tant préoccupé. En Amérique latine, en Afrique, en Asie, au sein des BRICS, il ne serait  venu à personne l’idée de boycotter le président du Brésil  à cause de sa couleur politique supposée.   Ces pays ont une diplomatie mûre.

Une prise de parti tout aussi indécente avait eu lieu lors de  l’élection de Trump. Il était alors de bon ton en France d’avoir la haine de Trump dans les cercles de gauche – et même de droite. L’ambassadeur de France à Washington, un certain Gérard Arrau, apprenant son élection en 2016, avait cru bon de faire un tweet pointant cette élection comme une catastrophe. Arrivé au sommet de la hiérarchie du Quai d’Orsay, l’intéressé aurait dû en connaitre  les usages. Or il ne fut pas sanctionné pour ce grave écart, tant il collait à l’esprit des équipes Macron.

Même en Europe

 

Nos partenaires européens ne trouvent pas non plus grâce, quand ils votent mal, auprès de ces diplomates en peau de lapin. Le même sectarisme sommaire,  appliqué à des réalités étrangères qui ne nous regardent pas,   vient de trouver un nouveau terrain avec l’accession à la tête du gouvernement italien de Giorgia Melloni, issue d’un parti postfasciste et quelque peu eurocritique (jusqu’où ? On le verra bien). Le président de la République et la Première ministre français, son double, ont déclaré mettre le nouveau gouvernement italien sous surveillance. Injure à la démocratie puisque c’est à une large majorité que les partis qui le soutiennent ont remporté la victoire ; injure à l’Italie, dont Melloni a rappelé qu’elle était une grande puissance méritant un peu plus d’égards et dont les experts savent (mais Macron et son entourage apparemment pas !), la susceptibilité historique vis-à-vis de la France, sans doute depuis les guerres d’Italie du XVe siècle, qu’il nous convient de ménager. Que dirions-nous si un gouvernement italien déclarait mettre un nouveau président français sous observation ? Avec un gouvernement à ses yeux plus acceptable, le même Macron avait déjà commis une grave erreur en voulant régler les problèmes de la Libye, ex-colonie italienne, dans le dos des Italiens : ce fut naturellement un échec.

Même préventions de Macron à l’égard de la Pologne qui a le tort de ne pas avoir légalisé l’avortement ni le mariage homosexuel. Comme si ça la regardait !  Depuis son élection, le président français poursuit de sa vindicte ce pays, vieil ami de France,  et s’étonne d’y avoir une mauvaise image[1].

Juger par quelques clichés sommaires et sur fond de manichéisme gauche droite, pro-ou anti-atlantique, dispense d’être compétent et permet aux ignorants de trancher à l’emporte pièce de ce qui se passe dans des pays dont ils ne savent rien – et, pire, ne veulent rien savoir.  Avec un acharnement unique en Europe.

Les mêmes, toujours prompts à saluer l’avènement de la démocratie quand quelqu’un de leur bord est élu quelque part, ne se sont naturellement pas émus des fraudes gigantesques qui ont permis la défaite de Trump à l’élection de 2021. Pas davantage ont-ils remarqué que le président mexicain, Lopez Obrador, pourtant de gauche, avait été le dernier à reconnaitre la défaite de Trump. Sans doute savait-il mieux que nos exaltés à quoi s’en tenir.  Et de toutes les façons,  qu’un président états-unien de droite ait une bonne relation avec un président mexicain de gauche  (comme jadis Mitterrand et Reagan), était en dehors de leurs catégories de pensée.

Une telle approche des problèmes diplomatiques, dans laquelle Macron se complait plus que d’autres, n’est pas seulement la marque du sectarisme idéologique ou de l’inexpérience diplomatique, elle est aussi le signe, nos interlocuteurs en sont conscients, d’une attitude éminemment adolescente. Des idées sommaires, des partis-pris manichéens, le placage sur autrui de schémas qui ne valent que pour nous, l’incapacité  à prendre la mesure de l’altérité : autant de signes bien connus d’un comportement adolescent.

Elle a certes des précédents dans la mentalité française ; mais elle atteint son comble avec l’actuel président.

Non seulement elle nous déconsidère, nous fâche avec des partenaires essentiels, mais elle est dangereuse car la diplomatie traite, à son niveau le plus élevé, de la question de la guerre et de la paix.  Elle est faite pour les grandes personnes.

[1] Le président de la Conférence épiscopale polonaise, Mgr Gadecki,  a diagnostiqué chez Macron un cas de possession démoniaque. !

Roland Hureaux, essayiste

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