La place de la France dans le monde

La place de la France dans le monde

La récente visite de M. Macron en Chine a mis en évidence une fois de plus le gouffre qu’il y a entre les ambitions françaises et nos réelles capacités d’influence sur la scène mondiale. Le leader chinois ne semble pas davantage enclin à « ramener M. Poutine à la raison » qu’avant le voyage. Et la gesticulation militaire chinoise autour de Taiwan, 24 heures après le départ de notre président, l’a conduit à un dérapage de plus qui hérisse la plupart de nos alliés. Quelle piètre excuse de se désintéresser de l’état démocratique de Taiwan menacé par le dictateur chinois, dans le seul but de ne pas paraître suiveur des Etats-Unis qui eux le protègent.

Même au sein de l’Europe, nous continuons à nous attribuer un rôle prééminent, ne condescendant à le partager qu’avec l’Allemagne dans ce que nous seuls appelons le couple franco-allemand. Je trouve les autres pays européens, pas tous modestes en taille, population et PNB, bien indulgents de ne pas nous rappeler plus souvent qu’eux aussi existent, même s’ils ne sont pas tout le temps « en train de la ramener et donner des leçons ». Et nous pensons aussi jouer un rôle planétaire, nous prêtant une influence culturelle et diplomatique que nous n’avons plus depuis longtemps.

Nous sommes le seul pays européen qui affiche de telles prétentions.

Nous nous croyons encore au 18ème siècle quand nous comptions beaucoup. Pourtant depuis 1815 notre influence n’a cessé de diminuer, en Europe, mais pas seulement. Nous n’avons gagné un sursis que grâce à notre empire colonial, pour l’essentiel compensatoire à la défaite de 1870, et à la victoire de 1918 due aux sacrifices immenses consentis par notre peuple, et à l’aide de puissants alliés.

Auréolés de la victoire de 1918, doté d’une armée considérée jusque-là comme la plus puissante, notre défaite en quelques semaines, 20 ans plus tard, a sidéré le monde.

Mal préparés à cette nouvelle guerre, égarés pendant 20 ans par des personnages politiques angéliques[1] et des chefs militaires sans imagination et parfois incohérents[2], nous avons été surclassés par la pensée stratégique et tactique allemande plus que par la masse. Les Anglais n’ont alors pas été meilleurs[3], mais ils bénéficiaient d’un obstacle géographique derrière lequel ils ont pu reprendre leur souffle et jouer ensuite le rôle majeur que l’on connait. Nous n’avions pas cet avantage. Nous avons été condamnés à d’abord disparaitre du champ de bataille, puis à n’y réapparaitre que marginalement grâce à nos alliés. Ce constat ne minimise en rien les grands mérites de nos soldats, que ce soit dans le malheur ou la victoire, ni celui du général de Gaulle dont l’action a réussi à sauver ce qui pouvait l’être de notre souveraineté et de notre fierté nationale.

Mais nous avons cessé d’être une grande puissance le 10 mai 1940.

Dès ce moment nous étions amoindris, parfois oubliés ; nous apparaissions en marge. Nous étions absents à la conférence de Yalta qui décida du futur partage des zones d’influence en Europe. Lors des signatures des deux actes de reddition allemands (Reims et Berlin), notre représentant ne fut accepté qu’avec réticence. A Berlin, notre drapeau n’était même pas prévu et ne fut arboré qu’au dernier moment avec ceux des autres alliés. Qui ne se souvient de l’exclamation du général allemand Keitel lors de la signature de l’acte ? Constatant la présence du général de Lattre de Tassigny il s’est exclamé « Quoi, les Français aussi ? ». A l’issue du conflit, nous n’avons eu une zone d’occupation en Allemagne que parce que Anglais et Américains ont bien voulu la tailler sur les leurs, les Soviétiques ayant refusé une attribution franche. Ce strapontin chichement accordé à la France parmi les vainqueurs a aussi failli lui coûter son siège de membre permanent au conseil de sécurité de l’ONU

Que nous reste t-il aujourd’hui ? Peu qui nous mette sur un pied d’égalité avec les puissants de ce monde, il faut l’admettre ; et eux grandissent quand nous déclinons ; dans tous les domaines. Nous continuons à imaginer qu’il y a un message de la France à porter au monde, et que le monde l’attend, qu’il a les yeux fixés sur nous. Nous sommes la seule nation européenne à regarder le monde comme si nous pouvions encore influencer sa marche.

Nous sommes devenus une puissance de second rang ; régionale par la taille et la puissance. La seule dimension planétaire que nous conservons réside dans notre domaine maritime de plus de 10 millions de km², le second après celui des Etats-Unis. Mais nous le négligeons. L’outil principal de sa protection, la marine, est squelettique, et, pour elle comme pour les autres armées, ce n’est pas la future loi de programmation militaire 2024-2030, largement insuffisante, qui pourra la mettre à la hauteur des enjeux.  La possession de l’arme nucléaire est certes aussi un atout, mais bien insuffisant, et elle ne nous protège du pire que comme la ligne Maginot de jadis qui fut contournée.

Comment peut-on avoir des prétentions alors que l’élan vital même de notre peuple est perdu, que nous nous dissolvons dans l’universalisme « woke », que l’âme française disparait au fur et à mesure que s’installe une civilisation nouvelle à laquelle nous cédons sans combattre ? Comment une nation qui a osé mettre le « principe de précaution » dans sa constitution, et dont les directeurs de pensées écoutés sont à la cour européenne des droits de l’homme peut-elle raisonnablement s’attendre à lui voir reconnaitre une place privilégiée dans le monde ? Au travers de nos chefs et de nos « élites » nous nous vilipendons nous-même, nous ne faisons plus envie qu’à ceux qui cherchent des ressources octroyées sans contrepartie, et nous ne sommes plus craints de personne.

On se console en pensant que nous sommes devenus une « puissance d’équilibre ». C’est l’argument paravent de ceux qui, constatant notre impuissance à peser véritablement sur les affaires du monde, voyant le peu de cas que font nos interlocuteurs de nos diplomates, traduisent notre indécision impuissante en un souci raisonnable du juste équilibre. Ils oublient seulement que dans cette expression le mot « puissance » est le plus important. Or nous sommes faibles : économiquement notre PIB est inférieur de 30% à celui de l’Allemagne, nous sommes désindustrialisés, notre armée est lilliputienne, inadaptée à un conflit de haute intensité ; et surtout nous avons perdu notre élan, et même la fierté de notre passé. Nos diplomates ont en face d’eux des interlocuteurs qui pensent « cause toujours » ; car seuls les grands costauds sont écoutés et nous n’en faisons plus partie.

Le roi est nu mais nous ne le voyons pas ; ceux qui nous regardent, si. Pour reconstruire notre avenir, il faut partir du constat lucide de ce que nous sommes devenus ; et se remettre debout.

J’emprunterai ma conclusion à André Frossard[4]

“Un pays ne meurt pas d’une culbute militaire, ou alors la France aurait cessé de vivre depuis longtemps. Un pays ne meurt pas d’une faillite financière, d’une déconfiture matérielle, d’une révolution ou d’une guerre civile. Rien de tout cela n’atteint le cœur d’une nation. Nous avons fait l’expérience de tous les genres de désastres que le destin peut offrir aux pauvres humains, et nous savons qu’aucun d’eux n’est irrémédiable.

On met un pays en danger de mort quand on tente de le faire agir contre son honneur, contre sa foi, contre la conscience que Dieu, les siècles et la raison lui ont formée.”

C’est exactement ce qu’on est en train de faire.

[1] Aristide Briand, personnage politique socialiste important de l’entre-deux guerres, est l’exemple le plus pur de cette naïveté. N’est-il pas l’instigateur du pacte qui porte son nom, conclu en 1928, par lequel la guerre est pratiquement mise « hors la loi ».

[2] Comment concilier une doctrine défensive matérialisée par la ligne Maginot, avec des alliances avec des pays d’outre-Allemagne (Tchécoslovaquie, Pologne) dont la mise en œuvre impliquait forcément de grandes actions offensives ?

[3] Notons qu’au début du conflit, les forces françaises représentaient à elles seules plus de 80% des moyens alliés engagés. Le Royaume-Uni eut-il fait le même effort que nous, le sort des armes n’en eut-il pas été différent ?

[4] Extrait de « Excusez-moi d’être Français » de André Frossard (page 65)

 

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