La Russie est-elle une puissance européenne ou asiatique ?

La Russie est-elle une puissance européenne ou asiatique ?

C’est une question qui a été posée à l’un des premiers concours de l’ENA, en 1950, je crois.
Personnellement, je réponds aussitôt : la Russie est une puissance européenne qui s’est faite laborieusement. Bien, me dit-on, mais vous paraissez oublier que la plus grande partie du territoire russe est asiatique et que, bordant le Pacifique, la Russie est une puissance du Pacifique, dont Vladivostok est l’un des principaux ports.

En réalité, la question est difficile et appelle une réponse nuancée. La Russie n’a pris que lentement et tardivement sa forme d’aujourd’hui. Elle le doit à la Moscovie qui, succédant à la principauté de Kiev, est la base de la nation russe, slave et orthodoxe. La Russie s’est alors, et de plus en plus, tournée vers l’Occident à un point tel qu’en 1453, après la prise de Constantinople par les Ottomans, Moscou s’est rêvée en troisième Rome.

Elle recherchait l’influence de l’Occident. La langue et la littérature françaises y étaient appréciées, du moins dans la noblesse, et Catherine II, impératrice au XVIIIe siècle, était une princesse allemande.

Je me souviens aussi de ces vieux ingénieurs français qui, il y a bien longtemps, se rendaient en Russie pour y construire les premières usines. Il fallut en effet des siècles pour que la Russie sorte du Moyen Âge et on peut même se demander si cette évolution est terminée.

Je ne suis pas un spécialiste de la Russie qui, en elle-même, est un monde à part, mais je l’ai traversée de bout en bout. Qu’il me soit permis de dire quelques mots de cette expédition.
À Shanghai, j’ai pris un billet de chemin de fer pour Paris. Tout commença très bien. L’hôtel me fit conduire à la gare, en Rolls Royce 1930, comme celle de la reine d’Angleterre. Le train chinois était convenable et j’ai traversé la Mandchourie, alors d’influence russo-japonaise : une belle leçon de choses après Sciences Po. Me voici à Tchita, en Sibérie russe – et bien russe, on s’en aperçoit tout de suite ! Sur les quais, douze uniformes différents, de l’armée, de la police, des chemins de fer. Finalement, on s’installe dans le compartiment réservé avec la carte du wagon restaurant sur la table. Pendant 5 jours et 5 nuits, on voit défiler des forêts de bouleaux. Au moins pourra-t-on manger pour se distraire. La carte est sale et écornée, mais le texte est plus qu’attrayant : du caviar, du caviar et du caviar. Je dis donc à la charmante serveuse : Eh bien, Mademoiselle, ce sera du caviar. – Désolée, Monsieur, on n’a pas de caviar. – Eh bien, alors qu’avez-vous ? – On n’a rien, Monsieur, presque rien. Que des œufs. Mais, aux arrêts fréquents du train, les babouchkas, sur les quais, vous vendront de la viande boucanée sur du papier journal.

Et, effectivement, à chaque arrêt du Transsibérien, les grands-mères étaient là avec la Pravda au sol et de la viande boucanée. Viande de quoi ? Je ne l’ai jamais su et sans doute heureusement !
Enfin, arrivé à Moscou, je me rends à l’hôtel Metropol, vieil hôtel connu où j’avais réservé. « Votre passeport, me demande l’hôtesse d’accueil. » Je présente mon passeport diplomatique. « Ah, Monsieur, vous êtes diplomate. Donc vous êtes officiel. Donc vous ne pouvez pas loger à l’hôtel Metropol. Les officiels doivent descendre à l’hôtel Rossia. – Bon, allons donc à l’hôtel Rossia. – Mais, Monsieur, ce n’est pas si simple que cela. Avez-vous un bon de logement ? Il vous en faut un. – Mademoiselle, je n’en ai pas. Où trouver un bon de logement ? – Vous en trouverez au bureau des logements. C’est loin, prenez un taxi. »

Je prends un taxi et, arrivé au bureau des logements, je rencontre par chance un administrateur qui, parlant quelques mots de français, et, après avoir examiné mon passeport en le tournant dans tous les sens, me délivre aimablement un bon de logement.

À l’hôtel Rossia, tout était prêt : les chambres, les caméras cachées dans les coins, et les surveillantes à tous les étages. Après toutes ces émotions et contrariétés, ma femme et moi nous rendons au restaurant de l’hôtel. Une salle magnifique au lustre immense et non moins magnifique, complètement vide, à l’exception d’une table occupée par quelques messieurs en cravate. Le maître d’hôtel arrive, nous présente la carte et, ô surprise, celle-ci présentait du caviar, du caviar et du caviar. « Eh bien, Monsieur le maître d’hôtel, ce sera du caviar. – Hélas, Monsieur, nous n’avons pas de caviar. – Mais alors pourquoi tout cet étalage sur cette carte ? Et pourquoi, là-bas, ces Messieurs, eux, mangent-ils du caviar ? Gaspodine (camarade), je ne suis pas un moujik. Je confirme ma commande, sinon je parlerai au comité central … » Le maître d’hôtel se retira, puis revint solennel. Il avait reçu l’autorisation de servir du caviar à ces deux étrangers qui, sans être des moujiks, n’étaient pas non plus des boyards. Spassiba (merci) au comité central ! …

Ceci pour dire que la Russie est sortie du Moyen Âge pour tomber dans la bureaucratie communiste qui empoisonne la vie de tous. C’est la bêtise en action. Complexée devant l’Occident, la Russie cherche à l’imiter sans pour autant lui témoigner de l’affection. Il en a toujours été ainsi. D’où le développement phénoménal des services d’espionnage. Dans les ambassades russes, souvent la moitié du personnel appartient au KGB. Espionner est une sorte de manie chez les Russes.

En tout cas, les Russes, pour commencer, feraient bien de ne pas trop faire confiance aux amis chinois. La Chine est surpeuplée et la Sibérie est vide. Les routes de la soie du camarade Xi Jinping indiquent la voie à suivre et un jour viendra où la frontière occidentale de la Chine sera sur l’Oural. La Russie aurait donc tout intérêt à se rapprocher de l’Occident. La diplomatie de la menace n’est pas la bonne. Sur ce point, Macron a raison qui s’efforce d’assainir les relations avec Poutine.

On ne peut pas parler avec les djihadistes dont le programme déifié et exterminateur interdit tout dialogue, mais on peut parler avec les Russes.

Je me souviens d’une conversation avec un ambassadeur ex-soviétique qui, ayant été en poste à Paris, parlait parfaitement le français. Nous discutions des pays dépendant des grandes puissances et je lui ai dit, en l’appelant par son prénom, ce qui était un signe de cordialité autorisé : « Vladimir, larguez tous ces gens-là. Vous leur donnerez de l’argent et ils vous ficheront la paix. – Ce qui est sûr, c’est qu’on continuera à leur donner de l’argent et qu’ils ne nous ficheront pas la paix. – Mon cher collègue, le mondialisme tiers-mondiste est un danger qui a succédé au communisme … »

Un étudiant qui venait de passer 6 mois de stage à Moscou et à qui j’avais posé la question : la Russie est-elle une puissance européenne ou asiatique, m’a répondu avec pertinence, je crois : « La Russie n’est ni européenne, ni asiatique ; elle est russe. C’est un peuple spécifique qui, au demeurant, a toujours été maltraité. C’est un peuple voué au malheur. Il le sait et recherche un remède à son destin : 40 % des Russes sont alcooliques. »

Ce qu’il y a de paradoxal chez les dirigeants russes, c’est qu’ils souhaitent en réalité être partenaires de l’Europe de l’ouest, tout en s’armant contre elle. Un psychiatre verrait là les symptômes d’un complexe d’infériorité, ce complexe qui conduit tour à tour à la révolte ou à la soumission, mais jamais à la sérénité.

J’ajoute que, dans toutes les conversations que j’ai pu avoir avec des diplomates soviétiques, j’avais droit au couplet introductif : « La grande révolution française de 1789 est la mère de la grande révolution bolchevique de 1917. » Ce couplet-là, je le connais par cœur. Le drame, hélas, est qu’il correspond à la vérité.

Voir les derniers ouvrages proposés par les4verites-diffusion ici

 

Partager cette publication

Comments (9)

  • quinctius cincinnatus Répondre

    ” France – Russie une mésentente cordiale ” titre une agence

    ou l’ ambiguïté du ” en même temps ” : la chèvre et le chou

    ah ces bons élèves des Jésuites !

    ” on ne sort de l’ ambiguïté qu’ à son propre détriment ” disait je ne sais plus qui

    24 décembre 2019 à 9 h 41 min
  • quinctius cincinnatus Répondre

    ” qui n’ est pas Russe ne peut pas comprendre le peuple russe ” qu’ ai je dit d’ autre ? que je le comprenais mieux que quiconque ?

    sur le même sujet si les Allemands n’ avaient pas résisté pied par pied à l’ Armée Rouge qui vous dit qu’ une autre partie de l’ Europe Occidentale n’ aurait pas été sous ” souveraineté ” ( directe ou indirecte ) soviétique en 1945 ?

    18 décembre 2019 à 19 h 55 min
    • quinctius cincinnatus Répondre

      propos adressés au distingué OMER DOUILLE

      das geht dich einen Scheissdreck an ?

      18 décembre 2019 à 21 h 46 min
    • vozuti Répondre

      exact,entre une occupation allemande,une occupation soviétique,ou l’occupation musulmane que le parti gaulliste(à partir de chirac en 74) nous a préparé pour l’avenir,difficile de dire ce qui est mieux,ou pire.

      19 décembre 2019 à 1 h 19 min
      • quinctius cincinnatus Répondre

        attention Monsieur Vozuti, en soutenant ce propos, vous allez soulever contre votre gentille personne l’ ire grossière de certains sur ce blog et pas des moindres si j’ ose dire les plus ” cons “

        19 décembre 2019 à 9 h 12 min
      • vozuti Répondre

        je peux aller plus loin en disant qu’en 1940 les allemands ont seulement infligé une blessure d’orgueil aux français,en écrasant leur armée qui était censée être la meilleure au monde,mais la blessure mortelle a été infligée par le parti de jacques chirac, en mettant en place un remplacement de population qui par définition est irréversible.
        les victoires militaires des nazis,des vikings ou de napoléon ne sont que des péripéties historiques comparées à la conquête musulmane de la france et d’une partie de l’europe qui est en cours depuis quelques décennies.

        20 décembre 2019 à 1 h 30 min
  • OMER DOUILLE Répondre

    Et vous, Quinctius au savoir universel, vous le comprenez le peuple russe ? Surement pas autant que vos “sarrazins”.

    Qu’on l’apprécie ou non, aucun d’entre nous ( sauf les gros connards – je ne citerais personne mais suivez mon regard- ) ne devrait oublier l’immense sacrifice humain du peuple russe durant la deuxième guerre mondiale ( plus de 20 millions de morts). Sans lui et ses sacrifices ( certes avec l’aide matérielle des US, mais sans leurs hommes), les américains se seraient fait jeter proprement.

    Il existe en Russie un monument au souvenir de ces héros à qui nous devons d’être encore , un peu, ce que nous sommes, gardé en permanence par des soldats russes, avec une musique poignante de Beethoven qui tourne boucle. Voir cela ne serait ce qu’à la TV n’a jamais cessé de me toucher par tout ce que cela évoque. Ne serait ce que pour ces raisons, je dis ( comme les whesh whesh) RESPECT !

    Que l’on aime, déteste ou méprise, le peuple russe, si l’on ne sait se souvenir, on n’est qu’une grosse scheisse…Et un faux cul !

    18 décembre 2019 à 16 h 50 min
    • quinctius cincinnatus Répondre

      les hommes n’ ont pas assez conscience que c’ est le plus souvent le hasard qui leur ouvre les portes et voyez vous je suis votre hasard … sachez saisir votre chance !

      22 décembre 2019 à 17 h 15 min
  • quinctius cincinnatus Répondre

    en lisant Mr Lambert nous parlant de la Russie j’ ai l’ impression de relire Gobineau et ses considérations sur l’ Iran au milieu du XIX ième, l’ originalité de l’ analyse et le style en moins cela va sans dire

    la seule chose de vraie c’ est que la Russie, comme l’ Iran ou l’ Afghanistan, est un pays ” à part ” ; qui n’ est pas Russe ne peut pas comprendre le peuple russe

    17 décembre 2019 à 16 h 25 min

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


Vous venez d'ajouter ce produit au panier: