La Syrie, la Libye, la Russie et l’horreur télévisuelle

La Syrie, la Libye, la Russie et l’horreur télévisuelle

La télévision mérite bien son nom : elle n’est pas un filmage à distance, elle est une vision à distance. Elle ne donne pas à voir, elle donne à interpréter ; et à frapper, puisqu’après, n’est-ce pas, il faut déclarer la guerre à tout ce qui peut choquer la conscience universelle.

Rien ne vaut l’émission d’Euronews, chaîne pourtant la plus nulle d’Europe, et il y a concurrence, « No comment ». Nous nous retrouvons devant des images sans l’intervention, sans l’interprétation sans la télé-vision des journalistes, c’est-à-dire de la police de la pensée ou des services secrets maintenant (le système ne prend plus de risques). Et nous sommes perdus. Je pense que la chaîne choisit exprès le plus souvent des images sans signifiant véritable pour que nous nous sentions un peu plus égarés dans ce monde où nous avons tant besoins de néo-prêtres pour nous expliquer le réel et nous exorciser (notre démon nous empêche de bien comprendre ce qui se passe).

Et prenons la Syrie. D’où je suis, devant mon poste (sic), je suis fasciné : on a un bâtiment en feu ou en ruines ; quelques bruits d’explosion. Des crépitements de mitrailleuse ou de n’importe quoi. Et qu’est-ce que c’est ?

Ce que c’est, la télé-vision me l’explique : c’est un génocide. S’il y a de la fumée, c’est qu’Assad massacre son peuple et extermine tout le monde. Et le monde libre ne fait rien ! Heureusement qu’on me l’a expliqué ! Il faut donc envoyer des troupes le lyncher. De même, s’il y a cessez-le-feu, Assad ne le respecte pas, puisqu’on me l’affirme. Au besoin on l’aidera. Et on me remontrera la même image de bâtiment en feu, sans doute filmée au Qatar ou il y a trois ans.

Voyons maintenant le cas Kadhafi : si l’on filme trois pétards dans la rue et un guignol en VTT, c’est que le peuple souffre et qu’il y a extermination perpétrée par le tyran reçu à l’Elysée. Et si je vois ensuite un vieil homme se faire lyncher, il ne faut pas surtout que j’éprouve de la pitié ou de la sympathie, ou du dégoût pour les butors et ceux, nos maîtres, qui les laissent faire. Ce tyran a mérité son sort, puisqu’il n’a pas voulu partir, il ne fait que payer tous ses crimes. Ensuite on me montre une image prise n’importe où avec une femme et des gosses. C’est la Lybie en paix, et tant pis si tout se passe mal là-bas maintenant. Je ne compte de toute manière pas sur la télé-vision pour le montrer. Il ne me reste qu’à mal dormir, c’est aussi ce que veut le système vendeur de neuroleptiques.

Retour en Syrie ; parfois ce n’est même pas le journaliste, l’envoyé spécial (sic) qui m’explique ce qui se passe. Parfois c’est le tueur lui-même : je vois à la télévision un moudjahiddine armé jusqu’aux dents. Il explique au crétin – au micro – de service qu’il est là dans la rue pour empêcher les soldats d’Assad de tuer les femmes et les enfants. Le journaliste gobe, le spectateur aussi, et l’on est prêts pour se lancer dans une autre guerre mondiale. Une autre fois, on nous montre des enfants maquillés dont on nous dit qu’ils sont blessés ; et puis l’on passe à autre chose, considérant que si les blessures ne sont pas évidentes (ne vous adonnez pas à la bestialité médiatique, nous n’avons pas le temps ni le goût pour vous montrer des souffreteux…), l’interprétation doit l’être.

La télé-vision n’est pas là pour rationaliser notre rapport au réel. La télé-vision est là pour nous dire que le Front national et Hitler c’est la même chose. La télé-vision est là pour nous dire que le pétrole n’a pas tué en Irak (deux millions de morts en vingt ans) ou le gaz et la géostratégie en Afghanistan, mais que le nucléaire a tué au Japon (zéro mort). Et tant pis pour notre indépendance énergétique !

Passons en Russie : les gens votent. Si les gens votent, c’est qu’ils ont été amenés par là par des trains et des bus sous la surveillance du KGB. Il y a des caméras partout pour nous montrer ces Russes sympathiques en train de voter, mais elles sont truquées, puisqu’elles ne montrent pas que l’on triche. Dehors, il y a cent ou mille activistes sexuels, et l’on nous dit qu’ils sont cent mille et nous le croyons. Les élections sont donc truquées et nous sommes trop bons de ne pas déclarer la guerre à la Russie, au nom de l’homosexualité enfermée dans le nouveau Goulag, et Obama est bien le communiste déguisé que l’on me dit, puisqu’il n’a pas atomisé la Russie (ça lui coûterait cher, le sait-il seulement ?).

Hannah Arendt a bien platement parlé de la banalisation du mal, comme si elle eût voulu qu’Eichmann eût les cheveux teints en violet ou s’exprimât comme une rock-star sur la scène. Or les bureaucrates ont toujours plus tué que les sociopathes, et ce, depuis les pharaons. Ici on peut parler de la banalisation de la folie médiatique. Le charnier de Timisoara est passé par là, les armes de destruction massive aussi ; l’opinion peut tout avaler. La folie peut avancer. Folie qui ne prend plus de gants et se permet maintenant de retraiter négligemment n’importe qu’elle image. C’est la télé-vision. Les gens la regardent de moins en moins, mais c’est encore elle qui détermine la folie de nos élites. Ils s’y croient.

En sortant du Goulag Soljenitsyne a dit que les occidentaux ne savaient plus s’ils étaient vivants. Comme dit le cuistot dans Apocalypse now, à propos des indigènes du colonel Kurtz, « ils sont tellement drogués qu’ils ne se rendront même pas compte qu’on les tuera ». On verra pour nous, puisqu’il est clair que la mondialisation prépare un beau plan de dépeuplement planétaire.

En attendant, il se fait avoir quand même, le cuistot. Et faites votre devoir en allant bien voter. Comme le peuple russe.

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Comments (1)

  • François Répondre

      Bien vu, Monsieur Bonnal, surtout le début…
     Cela fait plaisir de voir qu’il n’y a pas que le Kamarad Méluche le bagout pour jauger les limaces baveuses et leur rendre ce qui leur appartient…

    16 avril 2012 à 18 h 33 min

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