Le testament chrétien de Clint Eastwood

Le testament chrétien de Clint Eastwood

Sergio Leone disait de Clint Eastwood qu’il avait deux expressions : l’une avec son chapeau, l’autre sans… Notre bon cow-boy zen (ou janséniste ?) a depuis dépassé son maître qui avait redonné ses lettres de noblesse au western. À 78 ans, il redonne ses lettres de noblesse au cinéma en composant (plus que réalisant) chaque semestre un chef-d’œuvre crépusculaire qui décrit, mieux que tout le carnaval de Cannes et des oscars, l’état eschatologique du monde actuel.

Depuis quand Clint Estawood est devenu un génie ? On peut penser comme l’incontournable Jacques Lourcelles que c’est au moment de Joshua Welles, quand, en 1974, notre anar des grandes plaines quitte l’armée des confédérés, mitraille avec délectation un escadron de la mort yankee, rencontre un chef indien un peu chamane et s’en va pour un pays où l’on n’arrive jamais, plus loin encore que le petit prince ou un héros de Jules Verne.

Eastwood n’est pas dupe du cinéma post-moderne : il faut une bonne histoire, comme disait Sam Fuller, et de bons méchants, comme disait Hitchcock. Il faut peu de caméras, dit Clint, sinon cela prouve que l’on n’est pas metteur en scène, puisqu’on ne sait pas où la poser. Après tout, Racine a eu besoin de peu de mots pour composer Phèdre. Enfin, il ne faut pas d’effets spéciaux : on laissera cela aux garnements de Pixar et aux techno-chamanes mal élevés.

Par contre, on parlera de ce qui concerne les gens : la violence des enfants (Mystic river) et l’auto-justice imbécile ; le rapt d’enfants et l’indifférence de la police (Le Changement, filmé dans des décors sublimes avec une excellente Angelina Jolie) ; la boxe pour pauvres femmes blanches et l’euthanasie (Million dollar baby) ; et, bien sûr, l’immigration, l’écroulement de l’industrie automobile et l’insécurité des banlieues ruinées de l’Amérique de Bush (Gran Torino). Clint est le dernier à parler de « concret ». Dans le même élan, je dirais que, d’une manière stupéfiante, il n’a jamais incarné un bourgeois…

Gran Torino n’a rien à voir avec ce que dit la critique. Les grenouilles ont évoqué l’inspecteur Harry… Et pourquoi pas le bon, la brute et le truand ou le Médecin malgré lui ? Gran Torino parle de deux choses, qui crèvent l’écran, mais le crèvent sans doute trop pour nos laïcards : la fin du monde et la manière chrétienne d’y répondre. Le film commence et finit par une messe, et personne ne l’a dit… Je précise qu’Eastwood, qui n’est pas un chrétien modèle, n’est pas non plus un catholique. Mais, dans ce film, il nous fait la leçon, plus que Mgr Williamson.

La fin du monde, c’est ce rustbelt (la ceinture de rouille de l’ancienne Amérique industrielle) en crise, cette Amérique big and flat, ruinée par le libre-échange et envahie par une immigration incontrôlable. La fin du monde, c’est la violence des gangs ethniques et la misère qui s’installe partout, l’impossibilité de tondre son gazon. C’est la fin des « belles américaines » qui, comme la Ford Gran Torino, nous faisaient tant rêver…

Et la réponse chrétienne, c’est de faire avec, et d’aimer malgré tout son prochain, de laisser tomber ses préjugés, et de se rapprocher de ceux qui nous ressemblent spirituellement plus que de notre famille, quand, pour celle-ci, tout n’est que piercings, rancoeurs, avarice et égoïsme. La réponse chrétienne, c’est le sacrifice de soi, de type messianique : car notre fameux Harry va se faire tuer, se sachant condamné par la médecine (autre sujet d’actualité, non ?), pour sauver ses jeunes voisins hmongs venus d’extrême-orient. Et il en a remontré à son curé qu’étrangement, on n’a pas accusé de pédophilie. Cela faisait longtemps ! Quel est donc le vin qui se bonifie aussi bien que Clint Eastwood en vieillissant ?

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Comments (8)

  • Frédéric Bastiat Répondre

    <<<Eastwood est un cinéaste extrèmement complexe, admirable et contestable, qu’il est bien aventureux de qualifier de "Chrétien" (comme on pourrait le dire de John Ford), mais doit plutôt être considéré comme un pessimiste agnostique.>>>

    Peut-être un protestant athée comme un certain Jospiniais?

    24 mai 2009 à 18 h 56 min
  • Florin Répondre

    Au Spectre : l’immigration évoquée dans le film est certes légale (les Hmongs sont arrivés avec des visas d’immigration) mais il ne faut pas s’y tromper : la vieille immigrée asiatique, assise sur sa terrasse, fait grief, en sa propre langue, au vieil Américain (blanc, mais lui-aussi d’origine étrangère !) , d’être encore là, de ne pas avoir quitté le quartier COMME LES AUTRES Américains …

     Très symbolique tout cela, dans un endroit somme toute paisible, où les voisins s’invitent à déjeuner et se passent les casseroles remplies de bonne bouffe par dessus le pas de porte.

    Qu’est-ce que cela doit être sous d’autres cieux, où le voisin met feu à votre voiture pour vous obliger à quitter le quartier … et sans que vous ayez un flingue, comme Clint Eastwood, pour vous y opposer …

    Très symbolique aussi l’image que le film donne du Blanc (à l’exception notable du vieux ronchon, qui appartient, lui, à un autre monde, disparu comme les dinosaures) : ce Blanc est lâche et veule, ignoble, obsédé par l’argent (même les enfants ne font pas exception, voir la réplique de la jeune fille, papi, t’en feras quoi de tout  ça quand tu seras mort ? – pour ceux qui n’ont pas vu le film, la connasse a tout de même 16 ans).

    Le personnage principal vit un drame poignant, celui de devenir étranger sur sa propre terre, étranger car entouré de gens qui ne parlent pas votre langue, étranger, aussi, car porteur de valeurs morales disparues avec le temps et l’évolution de la société.
    Etranger aussi par une souffrance, une blessure jamais refermée d’un passé lointain que personne n’a pu vraiment comprendre  – et que la plupart ont superbement ignoré autour de lui.

    La voiture qui donne le nom et sert de prétexte au film est aussi un symbole, celui d’un passé récent où l’Amérique était autrement plus grande que sous le regne de l’autre qui n’arrive même pas à produire son certificat de naissance … (et nous nous plaignons de nos sans-papiers, en France !!!).

    Cette Amérique-là, des belles voitures et de la liberté, est en train de mourir. On y voit de plus en plus de petites voitures européennes, et le Kamarade-messie a décrété que toute voiture devrait faire 39 miles avec un gallon d’essence … (avec ma Clio, je peux encore y arriver, remarque). Pour ce qui est de la liberté, je regardais l’autre jour sur Fox News la pauvre Miss Californie, se défendant dignement après des attaques ignobles venant de toutes parts (elle avait osé dire publiquement que le mariage, c’est entre un homme et une femme … Gageons que pour un tel hate-speech, on saura s’occuper de son cas, dans la nouvelle Amérique où l’équivalent de la loi Gayssot est en cours de préparation).

    Oui, Clint Eastwood est un génie visionnaire, et ses visions sont très sombres, presque apoqualiptiques. Masi tellement justes, au fond …

    24 mai 2009 à 3 h 39 min
  • Magny Répondre

    Film magnifique , à voir absolument .

    Délicieusement non correct et pas bien pensant , là où ne l’attend pas . Il m’a fait pensé à "Chute libre"mais en moins démonstratif . Il y a de la force tranquille non hollywoodienne dans ce cinéma .

    23 mai 2009 à 12 h 00 min
  • Jaures Répondre

    Bonnal a une lecture quelque peu lapidaire de l’oeuvre de C.Eastwood. Dire que "Mystic River" traite de la violence des enfants est un parfait non-sens. Si les questionnements de Clint sont souvent mystiques, ils n’ont pas grand chose de religieux. Eastwood est bien plutôt le cinéaste de du tragique, du peu de prise de l’individu sur son propre destin ( " Bird", "million Dollars baby", "La route de Madison",..) ou sur celui de la société ("Impitoyable", " Un monde parfait",…). Une vision pessimiste ("crépusculaire" comme dit Bonnal) du monde tel qu’il advient, mais également une reflexion sur ce qui l’a mené à cet état.

    Eastwood est un cinéaste extrèmement complexe, admirable et contestable, qu’il est bien aventureux de qualifier de "Chrétien" (comme on pourrait le dire de John Ford), mais doit plutôt être considéré comme un pessimiste agnostique.

    23 mai 2009 à 9 h 41 min
  • Franckie Répondre

    "Albert le Troll" : ça c’est un commentaire constructif !!!
    A part ça, Clint a déjà évoqué ses "questionnements" envers l’église dans "Million Dollar Baby"…
    Dans "Gran Torino", j’ai relevé une autre image significative à mon sens : la position qu’il a lorsqu’il tombe au sol, raide mort… pour moi c’est une pure image de crucifixion !… plus le sang qui coule sur le poignet…
    Et si vous voulez tout savoir sur cette légende du cinéma américain, rendez-vous sur le site français qui lui est consacré : http://eastwoodclint.free.fr et sur le forum associé http://clintophiles.les-forums.com/forums/ pour discuter avec les clintophiles !

    22 mai 2009 à 10 h 50 min
  • Anonyme Répondre

    Peut etre est ce la version francaise de Gran Torino, mais Bush jr ou l’immigration incontrolee n’a pas grand rapport avec le contexte de Gran Torino.

    Detroit n’a pas attendu Bush jr pour s’effondrer, cela fait deja bien 30 ans que GM est parti et que la premiere crise petroliere au debut des annees 70’s a frappe Detroit l’a transformant en ville fantome.

    Les Hmongs sont en Amerique parcequ’ils ont aide la CIA et l’armee US contre les Viet-congs. 100 000 d’entre eux ont ete acceuillis par les USA, et ne sont donc pas venus illegalement.

    Certe ce film est tres bon et profondement chretien, mais de la a en detourner la portee pour en faire l’outil d’une propagande…C’est purement malhonnete.

    22 mai 2009 à 7 h 56 min
  • ALBERT LE TROLL Répondre

    testaments chrétiens de Grepon,  Mancney et Hans:

    BANG   BANG   BANG   BANG   BANG   BANG   BANG   BANG   BANG   BANG   BANG   BANG….. CLIC   CLIC   CLIC….( reload)….   BANG   BANG   BANG   BANG   BANG   BANG   BANG…  und so weiter…

    LE TROLL

    21 mai 2009 à 16 h 35 min

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