L’émergence de la notion de guerre économique – version libre
En 2010, Jean-Marc Huissoud et Frédéric Munier avaient codirigé la sortie d’un rapport sur la guerre économique. Pascal Gauchon compléta ce panorama par un numéro hors série de la revue « Conflits ». Il existe aujourd’hui en France une véritable dynamique de réflexion. Les centres de production de connaissances se diversifient grâce aux travaux du CF2R animé par Éric Dénécé, en particulier sur l’affaire Alstom, les écrits d’Hervé Juvin sur l’utilisation offensive du principe d’extraterritorialité du droit, la réflexion d’Éric Delbecque sur la sécurité économique, ainsi que la dynamique éditoriale impulsée par Nicolas Moinet à partir de l’IAE de Poitiers…
La guerre économique est restée longtemps un sujet tabou. Le grand apport d’Ali Laïdi est d’avoir reconstitué le cheminement historique des différentes étapes de progression de la guerre économique dans l’histoire des civilisations humaines. Il met en perspective l’intérêt de la guerre économique comme concept.
La prise en compte de ce concept n’a pas été simple. Les personnes les plus concernées auraient dû être les représentants académiques du monde anglo-saxon, connus pour être très prolixes sur la réflexion touchant à l’économie. Mais toute référence aux rapports de force économiques révélant des stratégies de puissance était perçue comme une pensée négative et contraire aux principes de l’économie libérale. Et des pays comme la Grande-Bretagne et les États-Unis n’avaient aucun intérêt à rendre publiques leurs pratiques de guerre économique.
Pour ne pas déplaire à leurs pairs d’outre-Atlantique, les instituts d’études politiques et les écoles de commerce de l’hexagone ne cherchèrent pas à développer une pensée structurée sur le sujet.
Historiquement, la réflexion sur la guerre économique est marquée par des séquences précises dans l’organisation des échanges :
– la période du mercantilisme (XVIe-XVIIIe),
– le débat sur l’ouverture des marchés après l’Europe napoléonienne,
– la remise en cause des protectionnismes nationaux sous la pression de l’Angleterre victorienne,
– les contradictions entre l’essor du marché et la construction de la puissance des nations au cours de la première moitié du XXe siècle,
– l’échec de la remise en cause des affrontements économiques par la mondialisation des échanges.
Au cours de chacune de ces séquences, ce n’est pas la question de la guerre économique qui est formalisée en tant que telle, mais plutôt des divergences d’intérêts sur l’organisation du commerce entre les pays.
Les débats d’idées qui ont dominé les XIXe et XXe siècles ont enfermé le débat sur la guerre économique dans des considérations purement idéologiques – comme les réflexions de Lénine sur l’impérialisme.
En opposition à cette grille de lecture idéologique, les réflexions générées en Europe avant la première guerre mondiale ont mis en exergue un mode de pensée libéral qui a rendu quasiment illisible la réalité des affrontements économiques entre puissances.
En revanche, la question des matières premières et de l’énergie a rendu plus lisibles les aspects économiques sous-jacents aux conflits politiques et militaires.
Le début du XXIe siècle est marqué par l’émergence d’un monde multipolaire, au sein duquel les rapports de force économiques prennent une place de plus en plus structurante dans les relations entre les États. Si le poids du pétrole dans les relations internationales reste encore prédominant, d’autres enjeux majeurs sont appelés à prendre une importance croissante. Le premier d’entre eux est le monde immatériel.
La Chine ne veut pas se plier à la mainmise américaine sur Internet. L’Union européenne est obligée de réagir devant les pratiques fiscales des grandes multinationales de l’économie numérique.
Les stratégies des champions nationaux asiatiques remettent en cause les visions libérales du monde occidental…
Au croisement de ces lignes de force se situe l’application du concept de guerre économique.
Directeur de l’École de Guerre Économique
Dernier ouvrage paru : « Les fabricants d’intox » (Lemieux)
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