One Gallon, marcheur de légende

One Gallon, marcheur de légende

En cette période de fêtes, la gastronomie envahit les gazettes. À défaut de lasser le palais des gourmets, cette litanie de mets fins ne brille guère par son originalité. Aussi, sortons des sentiers battus pour évoquer le pancake, une spécialité américaine, qui, à défaut d’une grande finesse culinaire, peut se consommer, pour certains, de manière gargantuesque…
One Gallon est une légende en Amérique dans la petite communauté des randonneurs. L’intéressé a reçu ce surnom en référence à un « exploit » qu’il a accompli, en 1984, sur le chemin des Appalaches qui relie la Georgie au Maine.
Tous les docteurs préconisent à leurs patients obèses de se lancer dans la marche avant d’être victimes, un jour, d’un accident cardio-vasculaire. À raison de dix heures de marche par jour, One Gallon est confronté à un problème opposé. Comme il brûle six mille calories par jour, son obsession est de manger autant que possible lorsqu’il fait une halte dans la civilisation. Pour les profanes, la distance entre deux bourgades américaines représente une semaine de marche. Aussi le marcheur est contraint de n’emporter que le strict nécessaire et il passe une bonne partie de son temps à rêver de la composition de son prochain repas gargantuesque.
Si aucun marcheur n’échappe à la contrainte calorique, l’appétit de One Gallon est hors norme. En 1984, l’intéressé fit halte à Damascus en Virginie. Affamé, il mangea de la glace au beurre de cacahuète. Son goût n’est pas fameux, mais elle contient beaucoup de calories. Aiguillonné par les autres marcheurs présents en ville, il finit par avaler un gallon de glace, soit l’équivalent de 3,785 litres ! Ainsi a-t-il acquis son surnom.
Le 10 août 2005, j’ai croisé par hasard One Gallon sur le chemin des crêtes du Pacifique qui relie la frontière mexicaine à celle du Canada. C’est le plus long chemin d’Amérique avec 4 200 kilomètres.
La veille de cette rencontre, One Gallon avait réussi un autre « exploit ». Le propriétaire du seul restaurant de Seiad Valley offre un repas gratuit au kamikaze qui ingurgite cinq pancakes. Le pancake en question pèse une livre. C’est une bonne publicité pour l’établissement qui est dans le guide Guinness des records insolites. Personne n’a gagné l’épreuve en 2004, mais deux marcheurs y sont parvenus l’année suivante. Le premier est Dot, un mince asiatique, et le second n’est autre que One Gallon.
One Gallon a épaté par son aisance, alors que les autres concurrents agonisent dès le deuxième pancake. Il a avalé sa première bouchée à 9 h 17 et enfourné la dernière à 10 h 52. Il n’a pas cédé à la tentation de tremper le pancake dans le sirop d’érable. Certes, le sirop aide la descente dans l’œsophage, mais il écœure rapidement le goinfre. One Gallon a comprimé et avalé sec chaque bouchée. D’après le propriétaire du restaurant qui surveille le bon déroulement de l’épreuve, il avait encore de la place dans l’estomac. Les vainqueurs éliminent ce monstrueux gavage par une rude montée de 1 400 m de dénivellation juste à la sortie de Seiad Valley. Ce hameau est au bord de la rivière Klamath où viennent pondre, en été, les saumons du Pacifique.
One Gallon est un marcheur tenace. Il est parti, en février, de San Francisco et il s’est rendu à Campo à la frontière mexicaine – 1 200 miles plus au Sud – où il a rejoint, deux mois plus tard, les marcheurs au départ du chemin des crêtes du Pacifique. La fin du mois d’avril est la fenêtre idéale pour une traversée du désert de Mojave. Lorsqu’il est parvenu au col Walker en juin – 650 miles au Nord – One Gallon a esquivé la Sierra Nevada qui était trop enneigée. Il s’est rendu en bus à la frontière canadienne où il a recommencé immédiatement à marcher vers le Sud. Je l’ai croisé alors qu’il était à mille miles de la frontière du Canada. Il n’avait pas l’intention de s’arrêter au col Walker mais de poursuivre jusqu’à Campo. Il était excité par un événement qui devait se produire le lendemain de notre rencontre. À Etna Summit, One Gallon a célébré son tour du globe à pied !
One Gallon est né en 1960 à Des Moines dans l’Iowa où il a toujours résidé. Comme nombre de gens du MidWest qui ne peuvent accrocher leur regard dans ces mornes plaines, il est attiré par la beauté des montagnes du Far West. Il travaille d’arrache-pied en hiver. Il mène une vie frugale pour se payer six mois de vacances par an. Avec son pécule, il repart au printemps et ne s’arrête de marcher qu’aux premières grosses chutes de neige à l’automne. À 45 ans, ce solide marcheur n’envisagerait pour rien au monde de changer de mode de vie…

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Comments (1)

  • Jean-Claude Lahitte Répondre

    Un page apaisante au milieu des pages donnant matière à contestations ou à polémiques comme celles de Pierre Lance et de Guy Millière. Et qui m’aura redonné le goût (oublié) des pankakes (au sirop d’érable !) que j’appréciais au Québec. En même temps que le regret de ne plus les mériter à cause de mon (relatif) sédentarisme. Avec mes meilleurs voeux, cordialement, Jean-Clauee Lahitte

    12 janvier 2006 à 11 h 47 min

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