Afghanistan : un général français critique se fait sanctionner

Afghanistan : un général français critique se fait sanctionner

Est-il possible de critiquer, au sein de l’armée française, la stratégie américaine en Afghanistan? Apparemment, non. Une semaine après l’affaire McChrystal, un autre général, français celui-là, Vincent Desportes, a été vivement rappelé à l’ordre vendredi pour avoir affirmé dans une interview au Monde que la stratégie américaine «ne semble pas fonctionner» et que le président américain n’avait pas l’air «très sûr de ses choix». Ces propos ont suscité la colère du chef d’état-major des armées, l’amiral Édouard Guillaud, qui les a qualifiés vendredi sur Europe 1 d’«irresponsables». Estimant que le général Desportes a commis «une faute», il l’a convoqué vendredi «pour venir s’expliquer». À l’issue de la rencontre, le dossier du général à été transmis au ministre de la Défense «pour suite à donner».

À la tête du Collège interarmées de Défense (CID), l’ancienne École de guerre, auteur de nombreux livres de réflexion, Vincent Desportes, qui s’apprête d’ailleurs à quitter le service actif, n’a jamais été un adepte de la langue de bois. Bien au contraire. Dans l’interview qu’il a donnée au Monde, il s’abstient de critiquer les actions de l’armée française en Afghanistan et n’attaque aucune autorité politique. Il ne fait en outre que dire ce que de nombreux experts, officiers compris, pensent tout bas, ou même tout haut, comme au Quai d’Orsay. Après neuf ans de guerre en Afghanistan, la coalition piétine. La stratégie de contre-insurrection mise en place par McChrystal n’a pas pour l’instant produit les effets escomptés, sauf peut-être dans le secteur français, qui ne représente que 5% du territoire afghan. Dans le reste du pays, comme le note Vincent Desportes, «la situation n’a jamais été pire». Quant au limogeage du commandant des forces alliés en Afghanistan, Stanley McChrystal, qui avait critiqué les responsables de son pays, il a visiblement provoqué une sorte de désarroi à Washington.

Tout cela est vrai. Comme l’est aussi la constatation faite par le général Desportes que la guerre est avant tout américaine et que les Français, «actionnaires à 1%», n’ont guère le droit à la parole en matière de stratégie. Tout cela est vrai mais n’a apparemment pas le droit d’être dit au sein de l’armée française, où le débat sur l’Afghanistan ne franchit généralement pas les murs de l’École militaire.

Les choses sont bien différentes aux États-Unis. Certes, McChrystal a été démissionné après une interview donnée au magazine Rolling Stone, mais ses propos étaient si caricaturaux que beaucoup se demandent s’il ne l’a pas fait exprès, pour «secouer le cocotier». Pour le reste, les officiers généraux américains ne se privent pas de critiquer les choix stratégiques de leur pays, non pour l’affaiblir, mais pour nourrir un nécessaire débat. C’était le cas en Irak, où la conduite de la guerre a été contestée en une de plusieurs grands quotidiens nationaux par des généraux. C’est aussi le cas en Afghanistan. Dans le dernier numéro de la revue officielle de l’armée de terre, Joint Force Quarterly, on peut ainsi lire côte à côte deux articles. L’un de l’officier de réserve John Nagl, spécialiste de la contre-insurrection, qui défend la stratégie officielle qui s’est selon lui «montrée à la hauteur». L’autre du colonel Gian Gentile, membre de l’Académie militaire de West Point, qui affirme au contraire que cette stratégie est «loin d’être parfaite» et regrette que l’armée américaine n’ait pas encore révisé sa doctrine sur le sujet. Aux États-Unis, tout le monde trouve cela normal. Comme le disait vendredi un colonel français: «L’omerta, ça n’a jamais conduit nulle part». Le Figaro

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