Faire exception à l’État de droit

Faire exception à l’État de droit

Voici quelques mois, les attentats de Paris conduisaient le Président de la République à réclamer l’état d’urgence.

À cette occasion, j’avais appelé à « penser l’état d’exception ».

Aujourd’hui, lorsque droite et gauche s’opposent autour de la question du respect de « l’État de droit », c’est en réalité de ce même sujet qu’il s’agit.

Nul ne pense évidemment qu’il soit pertinent de placer l’action de l’État « hors le droit », mais nul ne peut nier la nécessité de répondre aux enjeux présents en faisant évoluer la constitution.

Aujourd’hui, l’article 36 de la constitution permet de transférer un certain nombre de pouvoirs à l’autorité militaire en déclarant « l’état de siège » et l’article 16 permet une concentration temporaire des pouvoirs, afin de rétablir le fonctionnement régulier des pouvoirs qui aurait été interrompu.

La seule utilisation de l’article 16 eut lieu du 23 avril au 9 septembre 1961. Ce choix du général de Gaulle avait porté à polémique pour deux raisons : sa longueur mais aussi, et peut-être surtout, son bien-fondé.

À l’époque, le Président du Con­seil constitutionnel, Léon Noël, avait d’ailleurs émis un avis né­gatif sur le recours à l’article 16, avis dont le Président ne tint pas compte. Dans l’arrêt Rubin de Servens du 2 mars 1962, le Conseil d’État expliqua que le choix de mettre en application l’article 16 relevait d’un acte de gouvernement et ne pouvait, dès lors, pas faire l’objet d’un contrôle d’opportunité de la part du Conseil d’État.

Ce n’est pas seulement là un débat de constitutionnalistes, mais bien une affaire politique : l’opportunité d’ajourner l’application du droit régulier est, en soi, une affaire de gouvernement et, par là même, de bonne administration du pays.

Or, état de siège et pleins pouvoirs représentent des circonstances spécifiques, mais aussi des interdits idéologiques pour la gauche.
Face à ces deux écueils techniques et idéologiques, l’inscription dans notre constitution de l’état d’urgence, un temps suggéré par François Hollande, n’aurait pas eu le moindre effet positif. Les mesures contenues dans ce dispositif, qui bénéficie déjà d’un cadre législatif précis, visent pour la plupart à limiter la liberté de circulation des Fran­çais et à élargir le champ d’action des préfets.

Cela reste sous-dimensionné pour un pays qui sait avoir sur son sol et en son corps un nombre important de combattants ennemis décidés à le frapper.

Le fond de la difficulté se trouve résumé par les mots de François Hollande devant le Congrès : la gauche voulait « un statut en tous points conformes avec le respect des libertés publiques ». Or, état de siège, pleins pouvoirs, et dans une certaine me­sure état d’urgence sont des états spécifiques qui inscrivent dans l’État de droit de nécessaires sacrifices aux libertés individuelles. Que serait un État d’exception qui ne ferait aucune exception à l’état du droit habituel ?

Charles Péguy écrivait en son temps que la « capitulation est essentiellement une opération par laquelle on se met à expliquer au lieu d’agir ». Depuis le discours du 16 novembre 2015 au Congrès, le gouvernement a-t-il agi ou bien commenté ?

Ce que nous ne prévoyons pas, nous le subirons.

Ce phénomène n’est pas nouveau : depuis la Rome antique et le fameux concept de « dictature républicaine », les pouvoirs tempérés ont connu des situations de crise exceptionnelles, nécessitant parfois des réponses tout aussi exceptionnelles.

Aujourd’hui, le danger est grand qu’une inaction gouvernementale devienne le berceau d’une violation du droit. À trop vouloir nier les réalités et leur urgence, celles-ci ressurgissent parfois de façon cruelle et hors de tout cadre légal maîtrisé. Les dispositions constitutionnelles d’exception visent justement à éviter de tels dangers.

Une réforme constitutionnelle d’importance, répondant aux besoins actuels, est nécessaire, afin de permettre à l’exécutif de recourir aux pouvoirs exceptionnels. Un état d’exception qui placerait, temporairement et de façon encadrée, un certain nombre de prérogatives de sécurité publique entre les seules mains de l’exécutif permettrait de ga­rantir l’action publique dans des cas de crise grave.

Mais les institutions, fussent-elles exceptionnelles, ne seront, au final, que ce que les hommes en feront. Or, les hommes ne sont, hélas, pas tous exceptionnels !

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