La méthode incantatoire du Premier ministre

La méthode incantatoire du Premier ministre

Dans pas moins de trois éditoriaux, le journaliste Alexis Brézet du Figaro a loué la méthode de gouverner du Premier ministre : « Et si c’était cela, au fond, la « méthode Villepin ? » Poser, par un discours toujours équilibré, des gestes dont la portée à terme passe de loin l’effet immédiat. Le contrat nouvelles embauches pour dynamiter le Code du travail. Le bouclier fiscal pour désarmer l’ISF. Le contrôle des mariages blancs pour endiguer l’immigration. L’apprentissage à 14 ans pour en finir avec le collège unique. Une manière d’utiliser l’évènement pour faire bouger les choses par petites touches, sans provoquer de crise. Et de dessiner, mois après mois, un bilan. »
En 2003, le journal Le Monde avait consacré un éditorial ironique intitulé « La marche en crabe » à propos de la méthode employée par Raffarin. Le Premier ministre s’avançait par voie de presse sur un dossier, sondait les syndicats et, quand il sentait une résistance de la part des « forces vives de la nation » ou une quelconque irritation du président de la République pour la manière « maladroite » dont il s’y serait pris pour dialoguer avec les syndicats, s’empressait d’abandonner la réforme au milieu du gué.
La presse française a souvent reproché à Raffarin sa timidité à mener des réformes. À présent, elle encense son successeur, alors qu’il ne fait rien de plus. La cohérence n’est pas la vertu première du marigot parisien. Certes, la tache d’un Premier ministre n’a jamais été facile dans ce pays. Il a le devoir de réformer sans déclencher de crise et si, par miracle, il y parvient, ne doit pas faire de l’ombre au président. C’est l’effet pervers d’un exécutif bicéphale dans une constitution que le monde entier nous envierait…
Comme son prédécesseur, le Premier ministre a choisi la méthode homéopathique pour soigner une nation schizophrène. La grande grève des cheminots de l’automne 1995 plane comme une épée de Damoclès sur la fausse droite française. Les députés Godillot se sont couchés, lorsque le président de la République a mis son veto à leur proposition de loi d’instaurer un service minimum dans les transports en commun. La soupe est trop bonne à l’Assemblée nationale pour se risquer à faire valoir une liberté fondamentale. Aux Etats-Unis, le président n’hésite pas à brandir son droit de veto à la proclamation d’une grève dans les transports publics. Outre-Atlantique, le droit de circulation des citoyens est reconnu comme une liberté fondamentale…
Tout est une affaire de style dans une nation imbue de rhétorique. L’ancien Premier ministre a enfoncé des portes ouvertes avec des slogans qui faisaient ricaner le marigot ; le nouveau a choisi la méthode incantatoire. Selon la définition donnée par le dictionnaire Larousse, l’incantation est une formule magique récitée pour obtenir un effet surnaturel sur les esprits. Ainsi l’apprentissage à 14 ans serait la panacée pour régler le dossier du collège unique, tout comme le contrat « nouvelles embauches » le serait pour réduire le chômage. Miracle du calendrier électoral, on ne connaîtra les statistiques de cet énième avatar du Code de travail qu’après l’échéance de 2007 !
Alors que le feu fait rage dans les banlieues, que la dette publique gonfle inexorablement et que les retraites des fonctionnaires ne sont pas provisionnées comme l’a confirmé la commission Pebereau, la classe politique est frappée d’autisme. Cette dernière ne s’intéresse qu’à sa survie sous les lambris dorés d’une république qui ressemble à s’y méprendre au faste de l’Ancien Régime.
La méthode incantatoire utilisée par Villepin consiste à faire croire à un public outré que ses doléances seraient prises en considération. C’est ainsi qu’il faut interpréter l’agenda du Premier ministre. La situation du gouvernement français ressemble à celle d’une équipe de surveillance qui vient de découvrir une fissure dans un barrage. Elle communique sur un ton martial avec les médias de la gravité de la situation et se contente de colmater la brèche avec de l’argile en priant le ciel que le barrage ne cède pas. Le printemps 2007 pourrait bien ressembler à celui de 1959 lorsque le barrage de Malpasset sur le Reyran céda et dévasta la ville de Fréjus.
Comme le disait Alexis de Tocqueville, le moment le plus dangereux pour un gouvernement incompétent, c’est lorsqu’il entame des réformes. Ne serions-nous pas proches de ce moment de vérité qui a trop longtemps été reporté par de fausses alternances entre la vraie gauche et la fausse droite ?

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Comments (4)

  • gigi Répondre

    Cher monsieur Martoïa, Merci pour l’explication que vous donnez du mot “marigot” et merci aussi à Lestoret. Oui, je suis canadienne et une lectrice des 4Vérités. En effet, il manque pas mal de points de vue féminins sur cette gazette. Je lis les 4Vérités parce que je suis très “tannée” de la presse gauchisante et de la pensée unique de nos principaux journaux québécois. Bien à vous!

    26 janvier 2006 à 3 h 31 min
  • Bernard Martoïa Répondre

    chère Gigi je vous remercie pour votre compliment et vous confirme par la présente et comme l’indique le deuxième intervenant, qu’il s’agit d’un petit marais. Dans mon esprit, cela fait allusion au quartier du Marais à Paris avec ses beaux hôtels particuliers où se complaisent nos élites sous leurs lambris dorés. Seriez-vous canadienne ? Si c’est le cas, je me sens doublement flatté d’être lu par une aussi lointaine lectrice. Ne pensez-vous pas qu’il manque de femmes qui s’expriment dans cette gazette ? Chères lectrices, prenez votre courage à deux mains et écrivez à la direction car il me plairait de vous lire non pas dans le courrier des lecteurs mais dans un article. Cordialement vôtre

    23 janvier 2006 à 19 h 41 min
  • LESTORET Répondre

    A GIGI – Chère gigi (c’est une façon de parler bien sûr) le mot marigot existe bien dans le dictionnaire. Vous pourrez sans doute le vérifier. Il concerne dans les régions équatoriales une dépression de terrain inondée pendant la saison des pluies, ou le bras mort d’une rivière. J’ai toujours entendu parler de marigot pour des mares ou étangs vaseux remplis de crocodiles qui se bouffent entre eux. Je pense que c’est plutôt à cela que fait allusion Mr Martoïa en parlant de marigot parisien. Ceci dit, il est vrai qu’il faut pour un gouvernement de droite comme de gauche, être très courageux pour tenter des réformes sérieuses. Le français adore les réformes faites chez le voisin, il ne les aime pas pour lui-même. Or, pour être très courageux un gouvernement a besoin d’être très fort; il l’est en général dans les premiers cent jours et les réformes qu’il ne fait pas dans cette période ne le seront jamais. Rares sont les gouvernements qui ont échappé à cet usage. Villepin comme les autres. Mais Villepin a quelque chose de plus: le discours. Il est très fort en la matière mais ses exploits s’arrêtent là car il est loin d’avoir le courage de faire ce qu’il dit. Présidentielles 2007 obligent.

    23 janvier 2006 à 13 h 18 min
  • gigi Répondre

    Un bon article, monsieur Martoïa! Mais, c’est quoi au juste un “marigot”. Vous définissez le mot incantation qui est bien dans le Larousse, mais “marigot” non, je ne l’ai vu ni dans le Larousse ni dans les canadianismes bien sûr. Bonne semaine!

    23 janvier 2006 à 2 h 01 min

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