La mort et le bilan de Margaret Thatcher, ou l’Angleterre des années 80

La mort et le bilan de Margaret Thatcher, ou l’Angleterre des années 80

 Il était triste, comme l’a dit le Premier ministre britannique David Cameron, de faire un film sur la Dame de fer alors qu’elle est encore vivante, tout en faisant allusion – et même plus qu’allusion – à sa démence. C’était lui faire peu de justice, tout cela pour encourager un peu plus l’idolâtrie d’une actrice déjà nominée quarante fois aux oscars.

Je n’ai pas envie de juger le bilan de Margaret Thatcher : quand on voit ce qu’est devenu le Royaume-Uni, on se dit qu’il n’est pire ni meilleur que celui de, mettons, François Mitterrand. Lorsque la décadence frappe une partie du monde, pour des raisons spirituelles, démographiques, puis économiques, on ne peut plus faire grand-chose. Thatcher n’avait sauvé son pays ni de l’immigration (elle avait eu des paroles courageuse en son temps et elle avait défendu dans ses mémoires le grand Enoch Powell), ni de la désindustrialisation, ni du nivellement des valeurs morales qui avaient fait la force de la Grande-Bretagne depuis toujours. Je ne sais pas seulement si on peut l’en rendre responsable ou si simplement, comme disent les bédouins au colonel Lawrence, « c’était écrit ».

Non, j’ai plutôt envie de parler du charme de l’Angleterre sous le gouvernement de la dame de fer. Il succédait, il est vrai, à l’Enfer crade et médiocre des travaillistes du temps de Wilson, fumiste qui avait décidé de prendre sa retraite politique le jour de ses soixante ans ! Tant mieux d’ailleurs !

Chaque fois que j’y allais, en Grande-Bretagne, il y avait du beau temps. Et l’art de vivre le plus éclairé du monde. On découvrait les rameurs d’Oxford, les pubs écossais ; on assistait au festival de Glyndebourne. On voyait les banquiers de la City reprendre leur assurance et faire admirer leur carrure dans le grand Londres. On découvrait que cette ville impériale était une des plus belles capitales du monde. On retrouvait des atmosphères dignes du Seigneur des anneaux, de Hitchcock, du Prisonnier ou bien de Chapeau melon et bottes de cuir de nos huit ans. On était dépaysé tout en étant charmé.  Il y avait des immigrés, mais c’était des sikhs impériaux bien éduqués qui vous délivraient votre journal saumon ou les sucreries qui enchantaient le grand Nabokov.

C’était aussi l’époque où une génération géniale, d’ailleurs très hostile à Thatcher, occupait tous les charts du monde. On avait la Cold Wave, Human league, Spandau Ballet, OMD, Pet Shop Boys. Si cette musique qui n’a pas trop vieilli ne plaisait pas, on avait les usines à tubes comme Phil Collins ou Peter Gabriel ; et puis on avait les magiciennes celtes, les géniales Kate Bush ou Enya, sans oublier l’immense Mike Oldfield avec lequel je traversais les Highlands, je me rendais en Irlande du Nord (Belfast, ville fascinante à l’époque avec les 4 pièces à soixante mille francs !) ou je courais dans les landes du pays de Galles. Le renouveau celtisant était aussi visible au cinéma : on avait les Dark crystal, le Labyrinthe, Legend, le dernier Burt Lancaster et bien sûr Brazil, le film sur la dystopie qui prophétisait ce que l’Angleterre mondialisée, comme le monde mondialisé, allait devenir : une prison payante réservée à des imbéciles.

Il y avait aussi cette Angleterre des campagnes encore vivante à cette époque, de la chasse au renard, des demeures ancestrales et des Bed and Breakfast à neuf livre sterling (aujourd’hui c’est soixante). Bref, on avait toutes les raisons de s’enchanter de la découverte de l’Angleterre de Tolkien et de Purcell, le génie musical de la Restauration britannique. On avait l’impression de vivre encore parfois (pas toujours : mais parfois, c’est souvent mieux que toujours) au pays des conservateurs initiatiques, de Vaughan Williams, des Chesterton et autres Belloc. On en croisait encore, des vieux Anglais avec  des têtes de Hobbits, ou de fières jeunes filles, avec des têtes d’elfes. Pour un jeune traditionnel comme moi épouvanté par les avanies du mitterrandisme en France, l’Angleterre se muait en un Port-Royal des Champs (j’aimais surtout la Cornouaille et la région des lacs avec ses cercles de pierres – celui de Keswick – pour amateurs éclairés).

 Il m’était bien sûr difficile de décréter que ce paradis si british était l’œuvre de Margaret Thatcher ; ou qu’elle n’avait simplement pas touché ce qui avait été préservé et créé par d’autres, qui n’étaient certes pas travaillistes. Mais c’était un peu un âge d’or, où l’on croisait les Roadster, les Lotus, les Morgan, les Aston Martin au caractère si bien trempé, à l’image de la grande ministresse. Je me souviens d’une superbe interview de Von Hayek dans le journal l’Independent. Quel optimisme lui aussi ! Vingt ans de plus de Margaret Thatcher et vos problèmes seront réglés, disait-il. On a vu. Faillite culturelle, invasion migratoire, nihilisme religieux virant au satanisme de masse, dette exorbitante, comptes au rouges, déclin tous azimuts. On peut mieux faire, voyez la France. Les deux pays venaient de haut.

Rien ne sert de polémiquer. Madame Thatcher est morte, Sara Montiel aussi, et je vieillis. Tout cela est bien loin maintenant. Tout comme est bien loin cette femme immense, emportée par la pire des maladies, la vieillesse. C’était bien le thème de la littérature du Graal d’ailleurs : la maladie, la vieillesse. Margaret Thatcher, esprit si brillant, finit comme dans la fameuse tirade presque francophone de Shakespeare, « sans teeth, sans taste, sans eyes, sans everything ». Ce n’est plus de la peine que j’éprouve, c’est de la peur.

Le monde entier est une scène de théâtre.

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Comments (22)

  • Bruno Vallée Répondre

    Comique, tout de même. Au Québec, où je vis, on a présenté pour la mort de Chavez des photos de foules en larmes. Et pour la mort de Margaret Thatcher, la photo d’un poster idiot, sur lequel était écrit « Ding ! Dong ! The witch is gone ! », en prenant soin de souligner que tout le monde, en Grande-Bretagne, était loin d’être triste… Comme quoi la gauche a la « décence » et la « retenue » à géométrie variable…

    14 avril 2013 à 3 h 01 min
  • Jean-Pierre Répondre

    “le bilan de Margaret Thatcher : quand on voit ce qu’est devenu le Royaume-Uni, on se dit qu’il n’est pire ni meilleur que celui de, mettons, François Mitterrand” en effet pendant que Maggie dégraissait le mammouth à tours de bras, mitterand, lui, finnissait de soviétiser la France, c’est comme chirac qui comparait le libéralisme au communisme.
    Même la corée du nord peut nous envier une pseudo droite aussi nulle.

    13 avril 2013 à 20 h 53 min
    • Jaures Répondre

      Admettons, J.Pierre.Il y a effectivement deux fois moins de fonctionnaires en Angleterre qu’en France. Mais pour quel résultat ? Moins de déficits ? Moins d’austérité ? Moins de misère ?
      Pourquoi soutenir des mesures qui, à l’arrivée n’apportent rien de positif dans la vie des gens ? N’est-ce pas cela que l’on appelle le dogmatisme: appliquer une politique non par ce qu’elle améliore la situation du peuple mais parce qu’on la juge conforme à ses propres convictions ?

      14 avril 2013 à 9 h 49 min
  • BRENUS Répondre

    Moi aussi, je vais fête cela, en me souvenant avec nostalgie des gloires passées de l’autre bord, si chères à jauraisse : Pol Pot, Staline, Trotzky. Que de vrais assassins auprès desquels “Magie” fait figure de bisounours. Mais, après tout, il faut choisir son bord. Comme certains veulent choisir leur sexe avec la théorie du genre que prone la gauche.

    13 avril 2013 à 0 h 47 min
    • Jaures Répondre

      Vous vous trompez complètement. Je trinquerai volontiers avec vous pour fêter la disparition des dictateurs que vous citez comme de ceux que vous ne citez pas.
      Maggie n’en était d’ailleurs pas un: elle a été élue, réélue et s’est retirée une fois battue. Elle fut la représentante d’une idéologie exécrable qui a jeté des millions de gens dans le malheur mais elle a joué le jeu démocratique.

      13 avril 2013 à 11 h 18 min
  • Jaures Répondre

    ” Lorsque la décadence frappe une partie du monde, pour des raisons spirituelles, démographiques, puis économiques, on ne peut plus faire grand-chose. ” écrit Bonnal.
    Ce marronnier de la décadence revient régulièrement chez Bonnal, comme chez d’autres intervenants, sans jamais se donner la peine de nous préciser à partir de quelle apogée cette décadence s’est amorcée. Quel âge d’or avons-nous donc connu en comparaison duquel notre sort d’aujourd’hui nous semblerait si funeste ?
    Car ce que nous cite Bonnal comme symboles du “charme” disparu de l’Angleterre nous parait bien dérisoire quand on connait la misère noire dans laquelle se sont retrouvés durant la même période les ouvriers de Liverpool ou de Manchester, les Gallois et Ecossais délaissés par une Maggy qui les méprisait.
    Ce que regrette Bonnal, et c’est bien naturel, c’est sa jeunesse. On trouve toujours tout plus beau quand on a 20 ou 30 ans et on a donc tendance à confondre la décadence du monde et sa propre décrépitude.

    12 avril 2013 à 13 h 49 min
    • quinctius cincinnatus Répondre

      Alors là vous n’y allez pas avec le dos de la fourche ! mais vous n’avez pas tout à fait tort !
      Penser, comme beaucoup, que Maggy ,conservatrice ( c’est à dire dans l’acceptation anglaise, libérale convaincue ), n’a apporté que du bonheur dans l’U.K., relève plus de l’ignorance politique et économique que de la désinformation dogmatique… les seuls a avoir véritablement tirés profits de ses gouvernements sont … les financiers et les banquiers, c’est à dire et sans y regarder de prêt, tous ceux qui nous ont mis ” in the shit “

      13 avril 2013 à 11 h 25 min
      • Bruno Vallée Répondre

        Simple question : un gouvernement travailliste aurait-il beaucoup mieux fait ?

        14 avril 2013 à 3 h 22 min
        • Jaures Répondre

          Voilà mon cher qui relève de l’uchronie.

          14 avril 2013 à 16 h 39 min
        • quinctius cincinnatus Répondre

          nous aurons d’ici peu la réponse avec ce gouvernement, et je ne pense pas que cela sera pire que si le Grec s’était perpétué .. mais pour moi ce n’est pas ce que je souhaite pour mon pays !

          15 avril 2013 à 13 h 52 min
    • quinctius cincinnatus Répondre

      j’ajoute une chose à ce que je viens d’écrire concernant Maggy :

      Les lecteurs des ” 4V²” appartiennent,je pense, en majorité à la classe moyenne… de sorte qu’il serait stupéfiant que celle qui a fait DISPARAÎTRE la classe moyenne dans l’U.K., trouve ses plus fidèles laudateurs dans cet hebdomadaire !

      mais je sais, aussi, que la France a la droite la plus bête du Monde !

      13 avril 2013 à 12 h 38 min
      • quinctius cincinnatus Répondre

        comme je n’ai pas l’intention de passer des concours administratifs de haut niveau je me fous de savoir ( bien que je le sache,et que j’ai relevé votre erreur ) qui en est l’auteurE bas-bleu !

        16 avril 2013 à 13 h 42 min
    • Bruno Vallée Répondre

      Vous dites : « Quel âge d’or avons-nous donc connu en comparaison duquel notre sort d’aujourd’hui nous semblerait si funeste ? »

      Cette affirmation me semble étrangement contradictoire chez un socialiste qui ne cesse de dénoncer les méfaits du « néo-libéralisme »… La crise provoquée par les
      « banquiers » ne serait donc pas si terrible, si je comprends bien… Ah, mais j’oubliais : la gauche a le droit exclusif à la nostalgie…

      À partir des années 1980, par ailleurs, le cinéma français donne une image de plus en plus sinistre de la France : drogue, itinérance, criminalité, violence… Pourtant, c’était les merveilleuses années de ce grand « humaniste », François Mitterand…

      14 avril 2013 à 3 h 47 min
      • Jaures Répondre

        Et quelle image de la France donnaient-donc les romans de Céline ou de Balzac ? Quelle image de la France donnait le film de Marcel Ophuls “Le chagrin et la Pitié” ?
        Quelle image de Taiwan donnent les films de Hou Hsiao-Hsien ? Quelle image des Etats-Unis donnent les romans de J.Ellroy ou les films des frères Coen ?
        Quand les artistes sont libres, ils peuvent critiquer le contexte dans lequel ils vivent. Il ne faut pas confondre cette liberté et la décadence sauf à penser qu’il suffirait de restaurer une censure intransigeante pour retrouver l’âge d’or.

        14 avril 2013 à 16 h 49 min
        • quinctius cincinnatus Répondre

          Les romans de Céline étaient ” contemporains ” , ceux de Balzac, à l’exception notable du ” Cousin Pons ” décrivaient un Monde qui venait de se terminer … la nostalgie de la Monarchie et des Bourbon !

          c’était ma chronique littéraire… la Littérature française vue par un médecin !

          15 avril 2013 à 8 h 51 min
          • Jaures

            Au “Cousin Pons”, vous pouvez ajouter “La cousine Bette”. Ces deux romans qui illustrent justement le contexte de Balzac sont parmi les plus féroces de l’auteur. Personne, aucun milieu n’est épargné. Balzac était lui aussi persuadé que le monde entrait en décadence.
            On peut ajouter Flaubert parmi les pourfendeurs de leur époque. Même Mme de Sévigné commence “La princesse de Clèves” d’un incipit nostalgique.
            Pardonnez cette intrusion dans votre chronique.

            15 avril 2013 à 15 h 28 min
          • Jaures

            Je voulais écrire, pour la “Princesse de clèves”, Mme de La Fayette, évidemment.
            Vous aurez corrigé de vous-même ce lapsus calami.

            15 avril 2013 à 21 h 32 min
  • ZISSU Sorel Répondre

    Bel article, avec des accents sthendaliens.
    Mais ce qu’il nous faut chez nous, en France, ce sont des dirigeants qui en ont, comme la grande dame de fer. Grandement besoin, mais on les cherche toujours

    12 avril 2013 à 8 h 41 min
    • quinctius cincinnatus Répondre

      je retiens surtout que :

      tous mes amis , gallois , écossais et irlandais ont fêté ça à la bière ( sans jeu de mot )

      12 avril 2013 à 14 h 36 min
      • pi31416 Répondre

        Qui se ressemble s’assemble.

        15 avril 2013 à 15 h 47 min
        • pi31416 Répondre

          En latin: mentula mentulam fricat

          15 avril 2013 à 15 h 48 min
          • quinctius cincinnatus

            Vous avez quelque chose contre les …Celtes ?

            16 avril 2013 à 13 h 44 min

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